Romans


Monique Wittig

Le Corps lesbien


1973
192 pages
ISBN : 9782707300973
18.50 €


Le Corps lesbien a pour thème le lesbianisme, c’est-à-dire un thème dont on ne peut même pas dire qu’il est tabou, il n’a aucune réalité dans l’histoire de la littérature. La littérature homosexuelle mâle a un passé, elle a un présent. Les lesbiennes, elles, sont muettes – comme d’ailleurs toutes les femmes en tant que femmes à tous les niveaux. Quand on a lu les poèmes de Sapho, Le Puits de solitude de Radclyffe Hall, des poèmes de Sylvia Plath, d’Anaïs Nin, La Bâtarde de Violette Leduc, on a tout lu. Seul le mouvement des femmes a été capable dans un contexte en rupture totale avec la culture mâle de faire naître des textes lesbiens, textes écrits par des femmes uniquement pour des femmes insoucieuses de l’approbation masculine. Le Corps lesbien est dans cette catégorie.

LA POITRINE LES SEINS LES OMOPLATES LES FESSES LES COUDES LES JAMBES LES ORTEILS LES PIEDS LES TALONS LES REINS LA NUQUE LA GORGE LA TÊTE LES CHEVILLES LES AINES LA LANGUE L'OCCIPUT L'ÉCHINE LES FLANCS LE NOMBRIL LE PUBIS LE CORPS LESBIEN.

ISBN
PDF : 9782707348319
ePub : 9782707348302

Prix : 8.99 €

En savoir plus

Madeleine Chapsal (L’Express, 26 novembre 1973)

« Le Corps lesbien : le titre pourrait inquiéter certains lecteurs, plus soucieux de préserver leur idée de la moralité que d'aventure littéraire.
C'en est une, pourtant, et tout à fait exceptionnelle qu'offre aujourd'hui Monique Wittig, L’auteur si doué de L'Opoponax (prix Médicis 1964) et des Guérillères.
Le thème, le lesbianisme, est ici traité, non pas sur le plan anecdotique ou romanesque, mais poétiquement, comme l'une des dimensions niées, ignorées de la vérité féminine.
Délire au présent, superbement organisé et d'une écriture magistrale, où le corps féminin est énuméré dans toutes ses parties mais aussi violé dans ses viscères, son fonctionnement organique, utilisé dans ses plus étranges possibilités fantasmagoriques.
En fait, le texte se présente comme une série de poèmes qui font d'abord penser à Sappho (d'ailleurs invoquée), puis aux grands chants d'amour mystique, Lettres de la religieuse portugaise ou Cantique des cantiques : “ Tes pieds nus touchent les calices bleus des anémones en marchant. ”
Toutefois, L’amour fou le devient littéralement, l'invocation pâmée fait place au carnage surréaliste, les doigts s'allongent jusqu'à traverser de part en part l'autre corps, la peau se couvre de longs poils fins qui rendent le nu à nu impossible, L’amante, vidée de son sang, aussi aplatie qu'une image, est alors punaisée contre un mur.
Mais, pour l'auteur, ce texte à l'imagerie jaillissante est également un manifeste : celui de la révolte féminine. Écrit par une femme, “ uniquement pour des femmes ”, que Monique Wittig nomme les “ fictives ”, car elles n'ont leur place que mutilées dans le langage et le symbolisme masculins, il utilise une orthographe destinée à marquer et à refuser en partie l'aliénation : J/e au lieu de Je, M/on et M/oi au lieu de Mon ou Moi.
J/e pense toutefois que le côté “ politique ” d’un écrit, quand il existe ne peut se prouver qu'avec le temps, c'est-à-dire l'accumulation des lectures.
Ce qui est sensible dès à présent, c'est la force de ce corps à corps moins avec un autre qu'avec soi-même. La férocité et le carnage poétiques exaltant alors jusqu'au mirage l'impuissance à rencontrer, étreindre, et définir sexuellement son propre corps vécu comme un étranger. »

Jacqueline Piatier (Le Monde, 15 novembre 1973)


Sapho d’aujourd’hui
 
« De la poétesse de Lesbos il ne nous reste que des fragments épars. Ils ont manifestement inspiré Monique Wittig, qui, après nous avoir donné, dans Les Guérillères, L’épopée parfois joyeuse de ces Amazones d'antan et de demain en lutte contre la tyrannie mâle, voue ce nouveau recueil de proses poétiques à la “ Gehenne dorée adorée noire ” des amours saphiques.
Les hommes ont maintenant disparu de ces îles où les femmes vivent entre elles, par elles et pour elles dans une ségrégation si absolue que seules les femelles des animaux, chattes, guenons, “ serpentes ”... sont appelées à se mêler à leurs danses, à leurs joutes passionnées. Et pourtant l'ombre des hommes plane encore. Si attachée qu'elle soit à donner par l'écriture existence et réalité au “ corps lesbien ”, à ses organes, à ses humeurs, à ses sanies et à décrire, d'une façon inédite. la jouissance féminine, Monique Wittig remploie les grands rêves que lui ont légués les mâles. Elle se contente d'en féminiser les héros, tant Orphée, Achille, Zeus que le Christ. Une entreprise de rapt et de détournement qui ne va pas sans malice, mais qui est une faiblesse dans la provocation.
Car, provocant, ce texte veut L’être d'un bout à L’autre et dès le prière d'insérer qui le charge de tant, de trop d'intentions. L'auteur parle, y lit-on, au nom du mouvement des femmes, seul “ capable dans un contexte de rupture totale avec la culture mâle de faire naître des textes lesbiens ”. Elle s’y explique sur sa curieuse façon, fort désagréable pour le lecteur, d’imprimer “ j/e, m/a, m/ /aime ”. “ Je comme sujet générique féminin ne peut qu’entrer par effraction dans un langage qui lui est étranger. ” Entendons que ce langage a été créé par les hommes. “ J/e est l'indice de cette expérience vécue déchirante qu'est m/on écriture, de cette coupure en deux qu’est à travers l'écriture l'exercice d'un langage qui ne m/e constitue pas comme sujet. ”
À quoi servent, grands dieux ! ces naïvetés théoriques quand justement Monique Wittig fait preuve d'une souveraine originalité dans le maniement de ce verbe emprunté ? À travers lui, elle apporte une expression peu commune, dans sa richesse et sa violence, du désir, du plaisir féminins à leur paroxysme.
“ Eros briseur de membres ”, chantait déjà Sapho, qui rendait les fureurs de l'Amour à travers ses effets physiques : la langue qui se brise, le feu sous la peau, les yeux sans regard, le bourdonnement des oreilles, le ruissellement de la sueur, les affres de la mort… Monique Wittig ne fait qu’exaspérer le procédé. Partout ici on retrouvera le corps tantôt de l’amante, tantôt de l'aimée – car elles sont tour à tour “ bourrelle ” et victime, – fouaillé, fracturé, dépecé, dévoré, consumé, dispersé. C'est un jardin des supplices que ce livre d'où sont bannis “ l'affection, la tendresse et le doux abandon ” – provocation adressée cette fois à la traditionnelle littérature féminine – et qui s'ouvre, à l'instar de “ la Charogne ” de Baudelaire, sur une femme gisant le ventre ouvert, les paupières révulsées. Mais c’est aussi un palais des mirages : le squelette sous la chair est appréhendé ; comme le vent, comme la pluie, comme le feu, la volupté s'empare de l'être, le convulse, L’anéantit ; L’amante se fait papillon pour butiner L’aimée dans son sommeil ; L’aimée devient louve, chatte ou chienne pour caresser L’amante ; deux lunes montent au ciel dans des paysages grecs que cerne la mer et ponctue l’olivier.
Si crus que soient les mots, si putrides certaines images, un souffle parcourt ces poèmes, et l'on est emporté par leur beauté sauvage, par l'étrangeté des visions. Tout cela baroque, excessif, composé, porté au noir, au rouge, au blanc, ou baigné dans la couleur, violette qui était celle de Sapho et pourtant coulé dans une langue nette, concrète, presque clinique, dans sa précision anatomique ; et botanique. Le contraste est saisissant.
Féministe agressive, lesbienne proclamée, Monique Wittig est, mieux encore, un écrivain des plus doués. Je m'excuse auprès d’elle de ce masculin impavide, mais je souris d'avoir à m'en excuser. »

Michel Cluny (Combat, 1973)


« Ce livre dont je veux parler serait le plus singulier, le plus neuf, le plus vivifiant, le plus beau dans sa langue qu'on aurait lu depuis longtemps s'il n'avait été annoncé, il y a trois ans, par un autre roman-poème du même auteur, Les Guérillères. Le Corps lesbien, le troisième livre de Monique Wittig, reprend les thèmes et le langage des Guérillères, développant un second volet profondément lié au précédent, et sans aucun souci de scandale ni de provocation.
Monique Wittig entend écrire – de ce qu'elle connaît, ce qu'elle aime – écrivant ainsi contre ce qu'elle refuse.
Mais l'œuvre ne se construit pas sur un discours polémique. On est aussi éloigné de la littérature de consommation que de la littérature de démonstration. Dans le champ de la création littéraire, L’œuvre de Monique Wittig rompt avec toute attache, toute tradition, et fonde l'unité de son langage à partir de l'unicité de son objet. L'homme séduisant encore, bataillant contre ou avec Les Guérillères a disparu cette fois et jamais son nom n'est plus prononcé. »

 




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