Euripide
Les Bacchantes
Traduction Jean et Mayotte Bollack suivi de Notes critiques
2005
96 pages
ISBN : 9782707319005
12.00 €
Dionysos, dieu et homme, fils de Zeus, et d'une mortelle, Sémélé, arrive de l'étranger à Thèbes, sa ville natale, pour se faire reconnaître. Le Dieu se querelle avec des hommes, qui ne peuvent rien contre lui. Le jeu tourne à la farce, plus sinistre que toute tragédie. II soumet d'abord des femmes à son dessein, et les ayant rendues folles, il les envoie dans la forêt. Le roi Penthée lui résiste. La puissance divine se manifeste dans ce conflit : le roi est isolé, ridiculisé subjugué, et, à la fin, travesti en femme, livré aux femmes. Le dieu s'est fait connaître. La cruauté tourne à sa gloire. Qu'est-ce qu'un dieu ?
Euripide, le dernier des grands tragiques, commence sa carrière en 455 avant J.-C., au moment de la mort du premier d'entre eux, Eschyle. II a quitté Athènes à la fin du siècle en 408 pour la cour de Macédoine ; il y écrit Les Bacchantes, représentées à Athènes après sa mort en 406, et qu'on pourrait considérer comme son oeuvre testamentaire. Sophocle est son contemporain et son rival. Ils s'influencent mutuellement. Euripide a changé la forme et la langue dont il a hérité, il a rendu l'intrigue plus libre, plus franche et plus violente. Sa critique et ses innovations étaient telles qu'il n'a pas souvent remporté la première place au concours tragique. Dans les temps modernes, il a été peu joué à cause de sa hardiesse. On sait qu'il a composé environ quatre-vingt dix pièces ; dix-neuf nous sont parvenues, qui renouvellent en profondeur les sujets traditionnels.
* Création à la Comédie-Française, salle Richelieu, le 11 février 2005, dans une mise en scène d’André Wilms.
A la Comédie-Française, André Wilms dévide l'écheveau des « Bacchantes » grâce à une traduction et une direction d"acteurs d’une intelligence aiguë.
René Solis, Libération, samedi 19 et dimanche 20 février 2005
C’est encore l’histoire d’un mortel qui s’oppose aux dieux et le paie cher. Dans les Bacchantes d’Euripide, Penthée, le jeune roi de Thèbes, veut restaurer l’ordre et la raison perturbés par un nouveau culte : « J’apprends que des malheurs viennent de se produire dans cette ville, / Que nos femmes ont quitté la maison / Pour des fêtes soi-disant bachiques ; elles courent / Dans des bosquets de la montagne, elles honorent par des danses / Ce dieu nouveau venu, Dionysos, Dieu-le-fils, quel qu’il puisse être. »
Histoire de famille. Dionysos, qui a pris apparence humaine, est fait prisonnier par Penthée. Mais il s’évade et se venge : Penthée est déchiqueté par les Bacchantes. Comme dans toute tragédie grecque, il s’agit aussi d’une histoire de famille. Penthée et Dionysos sont cousins - leurs mères, Agavé et Sémélé, étaient sœurs –, et ils ont pour grand-père Cadmos, l’ancien roi de Thèbes. Mais la famille s’est refusée à croire que Dionysos était fils de Zeus : « Les sœurs de ma mère, dit le dieu dans le prologue de la pièce, auraient dû être les dernières / A dire que Dionysos, fils de Zeus, n’était pas né de Zeus, / Que Sémélé, engrossée par un homme inconnu, / Faisait porter à Zeus la faute de ses amours. » Considéré comme un bâtard et rejeté, Dionysos réserve à sa famille humaine un chien de sa chienne en orchestrant un infanticide. C’est Agavé qui, à la tête des Bacchantes, met à mort et dépèce son fils Penthée, qu’elle confond avec une bête féroce. Sur la scène de la Comédie-Française, la traduction de Jean et Mayotte Bollack dévide l’écheveau, clarifiant les événements sans les simplifier. N’hésitant pas à intégrer dans les dialogues ce qui, normalement, est renvoyé en notes. Ainsi, ce jeu de mots essentiel : « Il fabriqua ce Dionysos, fils de la querelle d’Héra / Et le lui livra comme un gage, un " homéros ” ; avec le temps, / Les hommes disent de lui qu’il a grandi dans la cuisse “–mèros–” de Zeus : / Ils ont changé le sens du mot “homéros”, “gage”, et inventé une histoire. » Repassant par le grec pour éclairer la phrase, les traducteurs « inventent » eux aussi une histoire et tordent le cou à la notion d’« intraduisible ». Mais leur travail va plus loin, il restitue par-delà les mots l’angoisse qui les nourrit. Et qui porte un nom : « le Bachique ».
Du Bachique. C’est ainsi que Dionysos est nommé, mais le terme dépasse sa personne. Quand le Messager vient faire le récit de la mise à mort de Penthée, il décrit Agavé « possédée par le Bachique ». On sait que Dionysos, rebaptisé Bacchus par les Romains, était dieu de l’ivresse. Et le terme « bacchanale », dans son acception moderne, recouvre celui d’orgie. Mais les Bacchantes nous forcent à entendre la nature du Bachique. Source de grande excitation, de transe, il est d’abord et avant tout terrifiant. Dans les forêts du Cithéron, loin des regards profanes, se déroulent des mystères qui dépassent l’entendement et dont pourtant les Bacchantes nous révèlent le secret : le meurtre du fils par la mère. Indissociable d’Œdipe, Penthée est celui qui porte la jouissance incestueuse à son comble ; habillé en femme sur le conseil de Dionysos, envisageant sans trembler la « débauche » dans les bras de sa génitrice, il est démembré par elle qui brandit fièrement sa tête arrachée, telle celle d’un lion. C’est Cadmos qui dessille les yeux de sa fille – « Je vois une extrême souffrance. Ah ! Que je suis malheureuse ! » – et l’aide à reconstituer le cadavre. […]