Théâtre


Sophocle

Antigone

Traduction de Jean et Mayotte Bollack


1999
80 pages
ISBN : 9782707316622
9.50 €


 Antigone est la fille d'un roi maudit, Œdipe, et de la femme qu'il épousa sans savoir qu'elle était sa mère, Jocaste. La pièce qui porte son nom fut sans doute écrite vers 440 avant J.- Chr., avant Œdipe-roi.
À l'aube où commence le drame, Thèbes est sortie d'une guerre très dure qui a vu s'affronter et mourir les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice. Ils se sont tués l'un l'autre dans un combat singulier. Le premier défendait la ville sur laquelle il régnait, le second, Polynice, était l'assaillant. Le nouveau roi, Créon, oncle des enfants d'Œdipe, veut rompre avec le passé, en réinstaurant une loi fondée sur le civisme, Il interdit d'enterrer le corps de Polynice, bien qu'il soit fils d'Œdipe, parce qu'à ses yeux l'agresseur est toujours un criminel et doit être puni même dans la mort. Nous savons que l'Athènes de Sophocle a plus d'une fois prononcé l'interdiction de sépulture.
Antigone n'accepte pas cette rupture. La décision de Créon a force de loi. Elle la brave, et va recouvrir de terre le corps gisant de son frère. C'est un acte outrecuidant. Elle y est poussée soit par la force du lien familial, soit par son attachement à la mémoire trahie d'Œdipe, soit par un désir de gloire qui l'amène à se battre comme un héros et comme un homme, soit par l'attrait irrépressible du refus, qui caractérise son personnage d'antagoniste et lui fait préférer la mort à la vie. Dans l'intrigue, et avec les indications que livre la pièce, Antigone se bat pour elle-même, pour la reconnaissance de son identité de fille et de femme. L'exclusion de Polynice outrage le nom de son père et nie sa qualité de fille ; elle lui enlève même Hémon, son amant, fils de Créon, en la privant de son lieu et de son origine. Pour se défendre, elle engage sa propre vie. Créon et Antigone se défient et s'obstinent. Leur acharnement devient un délire qui se nourrit de leur rage réciproque.
La jeune fille doit mourir. Les paroles passionnées d'Hémon, qui la défend auprès de son père, précipitent sa perte. Et Créon recueille les fruits de son erreur : Antigone se suicide, Hémon, la découvrant morte, se tue sur son corps, Eurydice sa mère, apprenant sa mort, se suicide à son tour. Il paye l'échec d'une innovation législative. Ce n'est pas seulement qu'il ait méconnu la puissance de l'irrationnel, qui se déchaîne contre lui. C'est qu'il a été lui-même emporté par sa violence, et qu'il se déchaîne dans le moment même où il le reconnaît.
Cette Antigone n'est pas seulement ajustée à la langue et à la vision que nous avons aujourd'hui, instruits par nos lectures et par notre histoire. Elle est aussi résolument sophocléenne, calquée au plus près sur l'image que fournit un texte et les possibilités de ses mots. La traduction de la pièce de théâtre est conçue pour la représentation. 
Jean Bollack

* Création à la Maison de la Culture de Bourges, le 8 janvier 1999, dans une mise en scène de Marcel Bozonnet et Jean Bollac, et repris à Paris, au Théâtre de la Bastille, en février 1999.

Michel Cournot (Le Monde, 13 février 1999)

Antigone, ou l'absolu de la loi du sang
La pièce de Sophocle revisitée par la traduction de Mayotte et Jean Bollack
 
Dans la grande salle du Théâtre de la Bastille, Marcel Bozonnet, directeur du Conservatoire national d'art dramatique, joue et met en scène, en compagnie de Jean Bollack, cette nouvelle traduction d'une pièce qui est l'un des piliers fondateurs du théâtre. Un texte qui fera date, même si le choix de quelques mots disent à la fois les chausse-trapes de l'art de la traduction et le génie de Sophocle.
 
 “ Sang commun, sang fraternel ! ” Tels sont, traduits par Jean et Mayotte Bollack, les tout premiers mots lancés par Antigone, et cela montre, d'entrée de jeu, la sûreté d'esprit de ces deux traducteurs, puisque c'est la loi du sang, l'absolu de cette loi, qui commande, tous sentiments mis en réserve, la conduite d'Antigone. Eût-elle vu par terre le corps de son mari, précisera-t-elle plus tard, elle l'eût laissé pourrir sur place, mais son frère, son frère de sang, non ! Pas question de ne pas l'honorer ! Antigone, par là, choisit sa propre mort, elle le sait.
Antigone, de Sophocle, c'est la genèse du théâtre. L'un des piliers de sa fondation. Aussi chaque nouveau traducteur prend-il une option, un risque. Jean et Mayotte Bollack n'ont pas démérité. Ils sont fidèles, clairs, énergiques. L'une des plus belles traductions accomplies jusqu'à ce jour. Et plus un traducteur a su faire des miracles, plus l'envie titille de le taquiner. Allons-y ! Quand Créon, au dire du messager, s'écrie “ O talas ego ” (transcription phonétique approximative du grec, excusez-nous), et que Jean et Mayotte Bollack traduisent “ Pauvre de moi ”, bravo ! Lorsqu'ils reprennent “ Pauvre de moi ” pour traduire “ Oïmoï ”, pourquoi pas ? Mais c'est moins proche, et surtout cette expression “ Pauvre de moi ”, répétée, fleure un petit peu son pastis, son accent de notre Midi, Raimu chez Pagnol. Oh ! c'est juste un soupçon de garrigue, sans plus.
II y a aussi, dans tout monument antique comme Antigone, une ou plusieurs lignes difficiles. Le propos n'est pas évident. Le traducteur est “ attendu au tournant ”, c'est presque un jeu de société. Dans l'Antigone de Sophocle, c'est, dans le long récit final du messager, la mort de Hémon. Inusable débat. “ Le pauvre garçon tourne sa fureur contre lui-même (...), il tend le bras et enfonce l'épée dans ses côtes jusqu'en son milieu ”, traduisent Jean et Mayotte Bollack, c'est très bien dit, encore une fois bravo ! À ceci près que “ O düsmoros ” pourrait être traduit plus simplement par “ l'infortuné ”, par exemple, alors que “ le pauvre garçon ”, c'est, là aussi, un petit peu familier, un petit peu Canebière, mais passons... Le passage “ coton ”, ce sont les lignes suivantes : Sophocle a-t-il voulu dire que le sang de Hémon s'égoutte sur la joue blanche d'Antigone, ou que Hémon, visage blanc (livide), crache du sang sur Antigone ? Ne souriez pas, vous butez là sur l'un des débats éternels de l'art de la traduction.
Jean et Mayotte Bollack écrivent : “ Il crache une pluie acérée, des gouttes de sang sur une joue blanche. ” La joue semble bien être la joue d'Antigone, mais ce n'est pas dit fermement, c'est traduit sur la pointe des pieds. N'insistons pas trop, semblent se dire nos traducteurs. En revanche, la pluie “ acérée ”, c'est osé, c'est même l'épithète à la fois la plus “ ciblée ” et la plus aventurée de cette très belle traduction. Nous disons “ très belle ” parce que c'est vrai, mais aussi par prudence, parce que les traducteurs, d'habitude, il ne faut surtout pas mettre en doute un seul de leurs mots, ça se termine dans le sang, comme chez notre “ pauvre garçon ”.
Et voilà ! Ouf ! La très belle traduction de Jean et Mayotte Bollack est l'essentiel de cette reprise d'Antigone. Le reste, décor, mise en scène, interprétation, est de belle tenue. Devant une superbe toile peinte – un horizon marin très noir, les vagues blanches tout près –, les acteurs, bien vêtus dans l'esprit du temps mais sans note trop appuyée, disent les mots célèbres, sous la conduite fer-velours de Marcel Bozonnet. Entre les épisodes, un danseur exécute des figures gymniques superbes. Certaines lignes du chœur sont enregistrées, l'effet est intéressant, d'autres sont dites par un coryphée vêtu d'un complet d'été clair et coiffé d'un panama dont il incline, d'un geste quelque peu voyou, le bord pendant la dernière réplique : c'est là l'“ acéré ” de la mise en scène, le clin-d'œil-coup d'éclat de ce superbe spectacle strict. 

 

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Voir aussi

Sur Sophocle :
* André Green, Un œil en trop. Le complexe d'Œdipe dans la tragédie (Minuit, 1969).




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