Romans


Juan Benet

L'Air d'un crime

Traduit de l'espagnol par Claude Murcia


1987
280 pages
ISBN : 9782707311443
12.04 €


* Titre original : El aire de un crimen (1980).

L'action de L'Air d'un crime se situe à Région, scène imaginaire et habituelle des romans de Benet. L'apparition d'un cadavre, l'évasion de deux conscrits, les interférences entre le monde militaire et celui de la délinquance et de la prostitution viennent troubler quelque temps l'existence routinière du village. Mais les habitants ne tarderont pas à recouvrir de leur silence les événement insolites dont ils ont été les témoins.
On ne raconte pas L'Air d'un crime. Non certes que l'intrigue, avec ses personnages pittoresques, ses dialogues acérés et ses multiples rebondissements risque de paraître le moins du monde ennuyeuse. Mais au contraire parce que le secret de l'œuvre réside, au-delà de l'anecdote et d'une écriture superbement protéiforme, dans la construction diabolique du récit. Le lecteur n'aperçoit qu'à la fin - lorsqu'il en est sorti – le piège dans lequel il était tombé. Dès lors les démêlés du capitaine Medina avec son supérieur, l'étrange colonel Olvera, s'éclairent d'un jour nouveau.
Il y a plusieurs façons de lire L'Air d'un crime. On aurait tort d'en privilégier une seule, au risque de négliger l'ambiguïté profonde de l"œuvre.

Jean-Didier Wagneur (Libération, 12 novembre 1987)

Juan Benet, ingénieur des ponts et des crimes
La Région : l’espace imaginaire d’une Espagne emblématique. Le roman : une machination policière. Le tout : L’Air d’un crime, un piège ourdit par un romancier enfin traduit en français.
 
 (…) Juan Benet s'est offert son propre espace littéraire: la Region, territoire imaginaire en marge des cartes et que, depuis une nouvelle parue en 1958, il édifie pièce à pièce, jusqu'à en publier pour son dernier projet romanesque une authentique carte d'état-major au 1/150 000e. L'Air d'un crime se déroule ainsi dans cet espace exemplaire qui s'est imposé à lui au cours d'un séjour qu'il fit dans le nord de l'Espagne au début de sa carrière d'ingénieur (...)
Region c'est, " à échelle réduite ”, la figure emblématique de l'Espagne rurale du vingtième siècle marquée à jamais des cicatrices de la guerre civile et presque en dehors de l'Histoire. Démiurge méthodique et rigoureux – il est capable de parler avec la précision d'un horloger suisse de la différence entre la description d'une fleur et d'un moteur à explosion –, Juan Benet s'est fait au fil de ses livres le chroniqueur de Region (...)
C'est là donc, entre les villages de Bocentellas, Burgo-Mediano, Region et le château pentagonal de San Mamud que va se jouer L'Air d'un crime. La découverte d'un corps adossé à la fontaine de la place de Bocentellas ; la cavale de deux déserteurs auxquels le capitaine Médina donne la chasse ; les amours clandestines de ce dernier avec Chiqui, une jeune prostituée ; une histoire de passeur et de planque montée par le milieu barcelonais ; le viol d'une fillette ; les rapports ironiques et ambigus d'un colonel aux arrêts de et rigueur et de ce capitaine naïf et/ou idéaliste, et enfin la puissance occulte d'une dynastie de propriétaires, vont constituer les différents vecteurs à l'intersection desquels se dessinera I'aire d'un crime. Car cette histoire policière (qui relève aussi d'une tout autre enquête) repose sur une narration que Juan Benet perturbe et déconstruit à loisir.
Cet écrivain expert dans “ la retenue ” du sens (influence des barrages... ?) opère dans ce roman un savant brouillage de pistes, principalement de la chronologie des événements, dont la conséquence sera un suspense qui ne faiblira pas jusqu'à un épilogue qui en surprendra plus d'un. En fait, Benet manipule son lecteur comme le colonel le capitaine Medina. Il est donc préférable de lire lentement L'Air d'un crime si l'on ne veut pas s'enfermer soi-même dans un labyrinthe bâti à coups de simulacres et de faux-semblants.
En fait L'Air d'un crime n'est qu'une machination ourdie dans le droit fil de la tragédie grecque et ce d'autant plus que le livre mêle de façon discrète l'irrationnel et la légende à la “ réalité ”. Le roman comme la Region ne sont qu'un seul et même piège où viennent s'enliser tout idéalisme et toute possibilité de rédemption d'un univers marqué par la culpabilité. Les personnages n'auront d'autres issues que la folie et la mort ou, tels le docteur Sébastian, Tinacia, Fayon, l'acquisition d'une attitude lucide : “ Ne vous laissez pas mener à l'échec, arrivez-y par vos propres moyens. 
Se déroulant au bord d'une catastrophe permanente, miné par les eaux de la mémoire, l'univers poétique de Juan Benet a lieu à la frontière de celui, définitivement “ catastrophique ”, de Beckett. 

Claude Couffon (Magazine littéraire, décembre 1987)


Découvrir Benet
 
 (…) Dans les romans de Juan Benet, chaque protagoniste est un solitaire perdu dans les brumes d'un destin vide qui l'écrase. “ Le pire de la solitude, dira le docteur Sebastian, c'est qu'elle supprime tout désir, y compris celui de la compagnie. Elle écrase tout ; c'est une dalle funèbre qu'aucune jouissance ne peut soulever, elle ne te laisse même pas une minute de répit ”.
Ces solitaires, ce climat désolé, ce paysage étrange de Région, nous les retrouvons dans le plus récent roman de Juan Benet : L'Air d'un crime (1980), enfin traduit en français. Un livre qui sacrifie, si l'on veut, à la mode, puisqu'il s'agit d'un roman policier. Mais là encore il nous faut compter avec l'originalité de l'auteur. Car, contrairement aux lois du genre, il s'agit d'un roman policier sans détective. Le commissaire, c'est ici le lecteur qui, par rapprochements et recoupements, reconstruira et tentera peu à peu d'éclaircir le mystère criminel proposé.
Au départ, un cadavre est découvert adossé à une fontaine, sur la place du village de Bocentellas, dans la province de Région, isolé par une précoce chute de neige. Pendant deux jours le village commente et suppute avant de laisser retomber une lourde chape de silence sur le crime. Les différents protagonistes poursuivent leurs activités, leurs réalités ou leurs chimères, comme indifférents, comme étrangers à l'événement, comme s'ils avaient d'autres chiens à fouetter. Pourtant, tous sont liés, et impliqués de près ou de loin dans l'affaire. Ce que comprendra en particulier, mais trop tard et pour son malheur, le capitaine Medina, responsable du fort de San Mamud, qui fouille la campagne à la recherche de deux délinquants fugitifs... Ce que découvrira aussi, d'une certaine manière, le lecteur qui, s'il ne dévoile que partiellement le mystère, aura respiré avec délice “ I'air d'un crime ” et même de deux crimes, à travers un récit dont l'écriture éblouissante nous est merveilleusement conservée dans la traduction de Claude Murcia. ”

 




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