- Alors qu'est-ce que vous faites dans la région, dites-moi un peu, s'inquiète le commandant Parker.
- Disons que c'est pour un film que je suis en train de tourner, indique Robert. Comme vous voyez.
- On ne m'en avait pas averti, regrette le commandant, mais voilà qui m'intéresse beaucoup. Et quel genre de film, au juste ?
- Toujours pareil, expose Robert, l'amour et l'aventure. Avec l'Afrique et ses mystères, vous voyez le genre.
- Ah oui, soupire le commandant Parker, je vois en effet très bien le genre. Et pour votre histoire d'amour, vous avez pris quelle actrice ?
- Céleste, dit Robert. Céleste Oppen.
ISBN
PDF : 9782707355942
ePub : 9782707355935
Prix : 13.99 €
En savoir plus
France Inter, La 20e heure avec Eva Bester, 6 janvier 2025
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Le Monde, Raphaëlle Leyris, 3 janvier 2025
Télérama, Nathalie Crom, 1er janvier 2025
Le Point, Valérie Marin La Meslée, 2 janvier 2025
Libération, Philippe Lançon, 4 janvier 2025
Politis, Christophe Kantcheff, 9 janvier 2025
Les Lettres françaises, Didier Pinaud, décembre 2024
Le cinéma d’Echenoz
Jean-Patrick Manchette lui avait écrit, le 13 juillet 1979 : « Cher Jean Echenoz, je veux vous remercier de l’aimable envoi que vous m’avez fait de votre Méridien de Greenwich. Je viens seulement de le lire, parce que j’avais d’abord été rebuté par son appartenance manifeste à la littérature d’Art. Or j’ai passé deux soirées intéressantes, et notamment à rire comme un bossu » (Lettres du mauvais temps, correspondance 1977-1995, Éditions de La Table Ronde, 2020). Et ce sera vrai encore pour Cherokee (1983), pour L'Equipée malaise (1987), pour L'Occupation des sols (1988), pour Lac (1989) ... Au fond, Manchette est mort de rire, en 1995 — quand Echenoz publiait Les Grandes blondes, et il publie aujourd’hui un nouveau roman où il raconte notamment une petite blonde du nom de Céleste Oppen, en train de lire un roman de Georges Bernanos, dans un avion...
On ne parlera pas pour autant du chrétien Echenoz comme du chrétien Bernanos... Mais Jean Echenoz est catholique à ses heures quand il traduit les deux Livres de Samuel, celui de Daniel – et Josué, Jacques – dans la Bible de Frédéric Boyer (Bayard, 2001). Reste que son héros – le dénommé Bristol – n’est pas très « catholique » quand on le voit sortir de son immeuble sans même prêter attention au corps de l’homme nu qui vient de tomber à ses pieds, comme Jean-Patrick Manchette lui avait écrit, le 13 juillet on le lit dès l’incipit du roman, intitulé précisément Bristol. Il paraît évidemment chez Minuit – dont Echenoz est à lui tout seul « une archive » ; une archive et un grand succès de la maison d’édition : prix Goncourt en 1999 pour Je m’en vais et prix Médicis en 1983 pour Cherokee. Jérôme Lindon l’avait d’ailleurs tout de suite considéré comme « un auteur d’envergure », comme le dit son fils Mathieu Lindon qui réédite aujourd’hui le récit où il raconte son père à l’œuvre aux éditions de Minuit – dans le récit précisément intitulé Une archive (Folio Gallimard).
En 1989, Jérôme Lindon avait réuni Toussaint, Deville, Oster et Echenoz sous le terme de « romanciers impassibles », qui n’aurait cependant pas le même écho que celui de « Nouveau Roman ».
Mais Manchette avait raison : Echenoz n’appartient pas seulement à la littérature d’Art, car il frôle également le polar – le méta-polar référentiel (dans Un an, l’héroïne Victoire s’éveille un matin de février sans rien se rappeler de la soirée, puis découvre Félix mort près d’elle dans leur lit ; elle fait sa valise avant de passer à la banque et elle prend un taxi vers la gare Montparnasse).
Sommes-nous là pour jouer ou pour être sérieux ? C’est une vieille question, celle de l’homo ludens, comme le disait le grand historien Johan Huizinga – « Si l’on analyse à fond la teneur de nos actes, il se peut qu’on en vienne à concevoir tout agir humain comme n’étant que pur jeu. » C’est bien ce que l’on voit dans chacun des romans de Jean Echenoz – et plus que jamais dans Bristol, qui nous fait encore beaucoup voyager, en avion, en auto, sur les lieux du tournage d’un film – « à Bobonong, chef-lieu du sous-district de Bobirwa, dans le bassin versant de Limpopo », où un éléphant surgit pour se ruer vers la place du village – « ivre de rage ou de rut, peut-être aussi du vin de palme dont il vient de vider trente jarres disposées par un malafoutier à l’entrée du hameau »...
C’est l’histoire du tournage de L'Or dans le sang – titre que la production a jugé plus vendeur que Nos cœurs au purgatoire, roman majeur d’une certaine Marjorie des Marais. Mais c’est peut-être plutôt Rudyard Kipling qui est en vérité derrière tout ça – pour qui, à l’origine, « les éléphants étaient dotés comme vous et moi d’un simple nez qui n’était pas du goût des crocodiles » – et « ceux-ci, en tirant de toutes leurs forces sur cet appendice, l’ont élongé au point de transformer le nez en trompe par un effet de distension ligamentaire » ...
Après quoi, vous avez le roman de Jean Echenoz – Bristol – qui est donc aussi un film en train de se faire, qui sortira en salles, mais qui sera rapidement retiré du circuit commercial ; et qui est donc un peu aussi un polar, car qui est cet homme qui a enlevé ses fringues avant de se balancer par la fenêtre ? (ce qui ne sera peut-être pas non plus un grand succès pour l’inspecteur Julien Claveau, qui au lieu d’être promu sera muté à Belfort). Car Jean Echenoz, c’est quand méme d’abord la littérature d’art (ingénieuse) –et « c’est épatant » (dirait Manchette)...
En attendant Nadeau, Claire Paulian, 7 janvier 2025
L’intrigue du nouveau roman de Jean Echenoz, Bristol, est mince comme un papier à cigarette. L’auteur nous balade, pauvres fétus de paille que nous sommes. Mais, tout baladés que nous sommes, la magie opère. Est-ce parce que l’année 2024 fut si lourde, si pleine de ruptures politiques ? Toujours est-il qu’on lit Bristol avec une sorte de reconnaissance au double sens du mot. D’une part, on reconnait les thèmes echenoziens, comme on reconnait un classique ; et d’autre part, on est reconnaissant à l’auteur de nous offrir ce nouvel opus. On y trouve du réconfort, et même une forme de reconnexion. Mais à quoi ?
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Le Nouvel Obs, Jérôme Garcin, 2 janvier 2025
Jean qui rit
Je me souviens avoir réuni en 2012, au « Nouvel Obs », pour un entretien croisé, deux grands écrivains chers à mon cœur, qui s’estimaient, mais ne se connaissaient pas : Patrick Modiano et Jean Echenoz. À la fin de cette rencontre, le second demanda au premier comment il trouvait les noms de ses personnages : « Ils sont toujours si bien choisis qu’à leur seul énoncé ils suffisent à les décrire physiquement. » « Oh, c’est très simple, lui répondit Modiano, j’utilise les noms de personnes réelles, dénichés dans un annuaire ou dans ma mémoire, et que je détourne... » On renvoie le compliment à Jean Echenoz. Dans son quinzième, savant et hilarant roman, Marjorie des Marais est la « femme aux trois cents best-sellers », parmi lesquels « Nos cœurs au purgatoire », une sorte d’Harlequin en terre africaine, que le réalisateur Robert Bristol s’apprête à porter à l’écran avec la fameuse Nadia Saint-Clair, bientôt remplacée par la jeune Céleste Oppen. On rencontrera aussi Micheline Sévère, dite Michèle Severinsen, une actrice de théâtre remarquée autrefois dans « la scène 7 d’un acte V » ; un rebelle botswanais lourdement armé, le commandant Milton Parker, incollable sur le cinéma allemand des années 1970 ; et l’officier de police Julien Claveau, qui enquête sur le suicide d’un homme tombé, nu, du 5e étage d’un immeuble parisien de la rue des Eaux, d’où sortait alors Robert Bristol. Mais, indifférent au drame, il continua sa marche vers la Seine. C’est le début d’une histoire loufoque, au cours de laquelle le cinéaste va échouer dans tout ce qu’il entreprend. « Bristol » est un roman très réussi sur un raté exemplaire et une variation virtuose sur la scoumoune. Une fois encore, l’auteur de « Je m’en vais » excelle dans l’art de la fuite et du coq-à-l’âne. On apprend ici qu’il existe 1579 espèces de drosophiles, que le Séneçon blanchâtre est une espèce menacée, que le fleuve Limpopo est bordé d’arbres à fièvre, que l’abus de vin de palme est dangereux pour la santé des éléphants et que si la tortue luth se nourrit de grosses méduses céruléennes, elle goûterait volontiers aux muscles scalènes de Robert Bristol. Et c’est ainsi qu’Echenoz est grand.
Territoires romanesques, Jean-Claude Lebrun, 2 janvier 2025
« Bristol », le vingt-et-unième livre de Jean Echenoz, se présente comme une façon de quintessence de l’œuvre qui, à la fin des années 1970, a fait souffler un vivifiant air de nouveauté dans une littérature de langue française alors tétanisée par les injonctions les plus contradictoires. Depuis celles des théoriciens de la mort du roman et de l’auteur jusqu’à celles des tenants de l’absolue fidélité au modèle balzacien. On l’aura compris : dans « Bristol » Jean Echenoz se montre à son tout meilleur. Régal de lecture assuré.
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Du même auteur
- Le Méridien de Greenwich, 1979
- Cherokee, 1983
- L’Équipée malaise, 1987
- L’Occupation des sols, 1988
- Lac, 1989
- Nous trois, 1992
- Les Grandes blondes, 1995
- Un an, 1997
- Je m'en vais, 1999
- Jérôme Lindon, 2001
- Au piano, 2003
- Ravel, 2006
- Courir, 2008
- Des éclairs, 2010
- 14, 2012
- Caprice de la reine, 2014
- Envoyée spéciale, 2016
- Vie de Gérard Fulmard, 2020
- Les éclairs, Opéra, 2021
- Bristol, 2025
Poche « Double »
- L’Équipée malaise , 1999
- Je m'en vais , 2001
- Cherokee , 2003
- Les Grandes blondes , 2006
- Lac, 2008
- Nous trois , 2010
- Un an, 2014
- Au piano, 2018
- Envoyée spéciale, 2020
- Vie de Gérard Fulmard, 2022
- 14, 2024
Livres numériques
- Cherokee
- Courir
- Des éclairs
- Je m'en vais
- Jérôme Lindon
- L’Équipée malaise
- L’Occupation des sols
- Lac
- Le Méridien de Greenwich
- Les Grandes blondes
- Nous trois
- Ravel
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