Romans


Anne Godard

Une chance folle


2017
144 pages
ISBN : 9782707343673
14.00 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Magda a été gravement brûlée lorsqu’elle avait quelques mois. Elle ne se souvient pas de l’accident, mais sa mère en a noté les circonstances dans un carnet. Toute son enfance, les opérations, les pansements, les cures thermales se succèdent. Sa mère se consacre à elle, on lui dit qu’elle est bien soignée. En somme, elle a une chance folle.

ISBN
PDF : 9782707343703
ePub : 9782707343697

Prix : 9.99 €

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Florence Bouchy, Le Monde, vendredi 1er septembre 2017

Anne Godard soulage la douleur

Magda raconte son histoire, celle d’une enfant victime d’un grave accident domestique. « Une chance folle », cathartique et salutaire

Dès son premier roman, L’Inconsolable (Minuit, 2006), Anne Godard s’était imposée comme une voix à la musicalité tout aussi subtile que puissante, capable d’emporter le lecteur dans les tourments d’une âme en peine, sans l’y noyer. Il aura fallu attendre plus de dix ans pour la retrouver, toujours aussi riche en modulations suggestives, un peu plus douloureuses encore, peut-être, mais bien décidée à reprendre la main sur une partition qui s’est trop longtemps écrite sans elle.
Relire son histoire, se libérer de la version qu’on lui avait imposée aussi bien que de celle qu’elle s’était racontée à elle-même jusque-là : la narratrice d’Une chance folle en a enfin les moyens ou le courage quand s’ouvre le roman, même si elle ne sait plus « par où commencer »« Plus tard, je m’étais promis de l’écrire, se rappelle-t-elle. (…) Et j’attendais ce jour, je m’y préparais, croyant qu’il suffisait d’écrire, en suivant le fil jusqu’à ce que la bobine soit dévidée. (…) Je ne m’étais pas doutée qu’une fois mon fil entièrement déroulé, je découvrirais qu’il n’était qu’une partie de l’histoire, et qu’il y en avait d’autres, que je venais d’entortiller autour de moi, si serrés, si emmêlés, qu’il faudrait tout reprendre, tout recommencer, et tâtonner comme au début. »
Relire son histoire, c’est d’abord faire un sort à cette « chance folle » qu’on lui attribue depuis qu’enfant, par accident, l’eau brûlante d’une bouilloire s’est déversée sur son cou et le haut de son corps, lui valant une disgracieuse et douloureuse cicatrice, mais épargnant – par chance – son visage. Rien de démonstratif dans la relecture qu’entreprend la narratrice de cette version de l’histoire véhiculée par les récits familiaux. Anne Godard redonne aux mots leur puissance, en fait résonner le sens plein pour dynamiter les carcans dans lesquels leur sens figé enserre Magda, la narratrice.
Une blessure jamais cicatrisée
C’est bien une version « folle » de son accident qu’on lui impose depuis son plus jeune âge. Goutte après goutte, comme le pus d’une blessure jamais cicatrisée ne cesse de s’écoule, le récit dit la douleur de l’enfant à qui toute plaine était interdite. Sa souffrance n’étant rien, lui faisait-on comprendre, à côté de celle de sa mère, qui avait dû dès lors consacrer tout son temps et son énergie aux soins nécessaires à sa fille. « Ah oui, comme elle a dû souffrir, ironise la narratrice, quand les plaies s’infectèrent, quand il fallut découper une à une les croûtes qui commençaient à suppurer, quand la fièvre a monté et que pendant quelques jours elle n’a plus pu me faire avaler ma cuillère de compote. » Dans un premier temps, Une chance folle s’énonce comme un discours cathartique et salutaire, une façon de remettre les choses à l’endroit pour se sauver, grâce au langage, d’une parole maternelle dévoyée.
Pourtant, le récit de Magda – et c’est la force surprenante qu’affirme progressivement le roman d’Anne Godard – n’est pas un simple règlement de comptes à l’égard d’une « répartition des rôles » imposée par une mère à sa fille, dans laquelle « la place [lui] manquait, écrit-elle, si l’on peur dire, pour exister ». Mais une ouverture soudaine, au détour des mots et des silences, aux perceptions qu’ont pu en avoir les autres membres de la famille. Quand l’enfant se croyait seule à endurer les effets de sa brûlure, seule à subir l’enfermement imposé par l’attention constante que lui portait sa mère, elle avait un père et un frère qui s’en accommodaient en silence. Il est trop tard pour le leur dire. Mais pas pour l’écrire avec une élégante clairvoyance.




Marine Landrot, Télérama, 6 septembre 2017

Brûlée quand elle était bébé, Magda grandit avec une blessure qui peine à se refermer. Au fil de pages sensibles, elle se réapproprie son histoire.

Il y a pire que le non-dit : le trop dit, le redit, le mille fois dit. D’où vient cette cicatrice, florissante comme un buisson de flamboyants, qui parchemine tout le haut de son corps, à l’exception de son visage de madone ? Magda ne compte plus le nombre de fois où sa mère lui a raconté l’accident domestique qui a transformé sa peau de bébé en champ de bataille, après la chute d’une bouilloire remplie d’eau à 90 degrés. Elle ne compte plus les récits qu’elle a dû présenter à chaque nouvelle personne croisée dans sa vie, comme autant de billets d’excuse, de factures acquittées, de permis de séjour dans la normalité. « Pardon pour la laideur infligée, j’étais petite, je ne me souviens plus, mais vous avez le droit à des explications, ma mère m’en a légué tout un sac, tenez, écoutez, et ensuite laissez-moi passer, je ne veux pas déranger. »
Voilà le tableau, vu de l’extérieur. Mais ce qui intéresse surtout Anne Godard, c’est l’envers du décor, vu de l’intérieur. Ce que personne ne voit, quand le spectacle bat son plein, que le sensationnalisme dicte sa loi. Ce que personne n’entend, quand le discours officiel tonne, et que les plaintes croupissent dans le silence.
Guérisseuse clairvoyante, la romancière dépèce et caresse, nettoie et console. Elle fait sienne cette réplique que François Truffaut mit à plusieurs reprises dans la bouche de ses héroïnes de films : « Ce papier est ta peau, cette encre est mon sang, j’appuie fort pour qu’il entre. » Son écriture est un frisson qui court sous l’épiderme abîmé de son héroïne, tentant de forcer les zones d’insensibilité de la greffe, et de laisser affleurer les émotions contenues depuis trop longtemps. Ses phrases humbles, faussement détachées, presque aseptisées, s’abattent en rafale, pour mettre à nu la vérité d’une femme en lambeaux.
A la fois transparente et encombrante, invisible et trop voyante, Magda ne s’est jamais octroyé le droit d’exister. Comment se constituer une identité avec un corps « découpé comme en lopins de terre, rouge brique et gris poussière » ? Elle a grandi sans aspiration personnelle, figée dans l’injonction maternelle qui a inspiré le beau titre du livre : tout subir, tout accepter, au nom de sa « chance folle » de survivante. Anne Godard lui offre une deuxième chance, tout aussi folle, mais plus secrète, plus salutaire : celle de se réapproprier son histoire, et de refermer définitivement une blessure que son enfance et son adolescence n’ont cessé de maintenir ouverte, au gré d’opérations et de cures thermales dévastatrices. Elle la pousse à carboniser son statut de grande brûlée, pour faire peau neuve et avancer seule.
A sa manière, Anne Godard est, elle aussi, une survivante. La romancière eut la chance folle d’obtenir un succès fou avec son premier roman, L’Inconsolable, paru en 2006 (1) . Un livre fort, où une mère affichait sa douleur comme un passe-droit, après la mort de son fils. Déjà une histoire de maternité empoisonnée, de chagrin légitime et déviant. Puis Anne Godard a disparu de la scène littéraire. Après dix ans de silence et de distance, elle tente une deuxième chance, avec ce bijou mat et vibrant. Un roman plein comme un œuf où tout se tient, dans une symbiose fragile. Les événements s’imbriquent et s’agglomèrent, les êtres se cimentent et s’empêtrent. Jusqu’à ce qu’une craquelure apparaisse, et que l’éclosion ait lieu. Souhaitons que ce récit d’une renaissance fête aussi celle d’une femme de lettres trop rare, si chère.


 

Frédérique Roussel, Libération, 9 décembre 2017

Une enfance à vif

Cicatrices et légende familiale, deuxième roman d’Anne Godard

Magda a été gravement brûlée alors qu’elle n’avait que neuf mois et qu’elle se mouvait encore à quatre pattes. Pendant un moment d’inattention de sa mère, occupée à ramasser une boîte d’épingles renversée par son frère, Magda a tiré sur le fil de la bouilloire. L’accident s’est déroulé chez sa tante Charlotte, mais elle ne s’en souvient pas. «Car bien avant que je puisse parler, bien avant que je puisse moi-même la questionner, et bien avant encore que ce soit moi qu’on interroge, il lui avait fallu dire ce qui s’était passé. Et dès le début, ce qu’elle racontait, ce n’était pas comment j’avais été brûlée, mais comment je m’étais brûlée.» Voilà qui induit une forme de relations entre la mère et la fille. Une mère qui a refusé de considérer sa propre culpabilité et qui a inventé un récit où elle se dédouane sur son enfant. D’ailleurs, la fille ne pouvait que se féliciter d’avoir eu une «chance folle». Après tout, son visage n’avait pas été abîmé. Et elle avait un âge où on ne peut pas se souvenir. La narratrice semble se chercher une voie au travers d’éléments épars, entre l’envers du discours maternel consigné dans un carnet et ses propres émotions. Il lui faut cheminer entre ce qui a été raconté et ce qui a été vécu, ôter couche après couche ce qui l’a constituée au fil des années pour savoir qui elle est. Si la cicatrice demeure le témoignage indélébile de cette épreuve sur la moitié de son corps, la blessure est aussi morale. C’est la parole de quelqu’un qui a vécu à la place qu’on lui avait assignée.
Quand un nouveau bébé arrive soudain, il sonne comme un renouveau inespéré. «Notre petite sœur nous réconciliait autour de l’exigence de ne pas faire peser sur elle ce à quoi elle n’avait aucune part.» Mais une forme de fatalité semble s’abattre sur cette famille. La petite Aurore s’est endormie à jamais. Le frère et la sœur font du bruit pour montrer qu’ils existent ; ils dérangent. «Nos parents, eux, ne veulent pas nous entendre, pas un murmure, pas un souffle. On dirait qu’ils ne supportent plus qu’on soit vivants. Nous, c’est le silence de notre sœur qu’on ne veut pas avoir à écouter.» Après, la mère redouble d’attention pour réparer sa fille brûlée, constamment réopérée, régulièrement hospitalisée et envoyée tous les étés en cure thermale. «Ma mère me panse, elle pense pour moi et pense à tout, les bandes, les compresses, les huiles, les crèmes.» Magda restitue ces heures de souffrance physique, avec le sentiment d’être toujours à vif, et jamais elle-même. La nuit, des bêtes imaginaires remontent du fond du lit pour lui ronger la peau. Avec cette chance folle, «imméritée», d’être la survivante. Donc de devoir subir sans protester. Au fil du roman, la fillette se transforme en une adolescente à cran avec l’image de son corps et les regards. Mais la voix erratique s’affermit au fil de cette sorte de beau monologue intérieur, deuxième roman d’Anne Godard.

 




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