Propositions


Michael Dummett

Philosophie de la logique

Traduit de l’anglais et présenté par Fabrice Pataut


1991
Collection Propositions 148 pages
ISBN : 9782707314017
15.15 €


Les objets des théories mathématiques sont-ils indépendants de l’activité et du langage des mathématiciens ? Leurs propriétés sont-elles bien déterminées ? Pour répondre à ces deux questions, il nous faut une théorie de la signification pour le langage mathématique. Le concept central de cette théorie ne pourra être celui de vérité, tel que les réalistes l’on traditionnellement analysé. Il faudra lui substituer celui d’assertabilité.
Que vaut cette réponse, non seulement pour le langage mathématique, mais pour les autres secteurs du langage en général, notamment pour le langage des sciences de la nature et pour le langage ordinaire ?
On trouvera ici une analyse des concepts de vérité et de signification, au cœur même de la philosophie de la logique. Mais également au cœur d’une théorie de notre pratique linguistique dans ses aspects les plus généraux. Que faisons-nous lorsque nous prouvons un théorème ? À quoi nous engageons-nous lorsque nous l’assertons ? Qu’est-ce qui justifie notre recours à certaines règles d’inférences plutôt qu’à d’autres pour établir sa vérité ? Qu’est-ce que comprendre la signification d’un énoncé, et, plus particulièrement, d’une conjecture, d’un énoncé dont la vérité n’a pas encore été établie ?
On nous propose ici une remise en cause de nos pratiques inférentielles classiques, fondée sur une réflexion sur la nature de l’activité rnathématicienne et la notion de preuve. La lecture de Frege et de Wittgenstein, les pères fondateurs du courant analytique, et des intuitionnistes, est au centre de ces réflexions.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑


Avant-propos de l’auteur à l’édition française

Préface : Le fondement sémantique des questions logiques et métaphysiques. 1. L’approche des problèmes métaphysiques – 2. La question de l’interprétation de la théorie de la vérité de Tarski – 3. Le rôle et la place du concept de vérité dans une théorie anti-réaliste de la compétence sémantique – 4. L’argument dummettien ne peut en aucun cas présupposer le bien-fondé du vérificationnisme – 5. La question de la révisabilité des lois de la logique – 6. Une solution aux problèmes métaphysiques?
Note sur l’origine des chapitres – Remarques sur la traduction de quelques termes – Liste des symboles logiques utilisés

Chapitre 1 : La vérité. 1. La théorie de la vérité-redondance – 2. Vérité et fausseté – 3. La bivalence
Post-scriptum : Section 1 – Section 2 – Section 3 – Section 4 – Section 5 – Section 6 – Section 7

Chapitre 2 : La base philosophique de la logique intuitionniste. 1. La signification comme usage – 2. Le holisme – 3. Signification et compréhension – 4. La métaphysique des mathématiques et du béhaviorisme – 5. La notion de vérité – 6. Qu’est-ce qu’une preuve? – 7. Ce dont nous avons besoin pour la vérité mathématique

Références – Index des noms et des œuvres principales – Index des notions

Marc Ragon (Libération, 9 janvier 1992)

Un Anglais et le continent
 
 La philosophie a ses familles, ses histoires de famille, ses querelles de famille et ses codes de bonne conduite. La philosophie analytique en est un exemple typique. Elle a son territoire – l’Angleterre, une généalogie et des règles de discours qui lui sont propres. Michael Dummett, né en 1935, professeur de philosophie et de logique à Oxford. en est l’un des “ parrains ” contemporains. Vient d’être publié en français l’essai qu’il a consacré aux Origines de la philosophie analytique (Éditions Gallimard) : un ouvrage qui retrace la filiation intellectuelle à laquelle il appartient, et qui révèle une surprenante paternité, outre celles de Gottlob Frege et Franz Brentano, en la personne d’Edmund Husserl. Surprise car, du même coup, les philosophes anglo-saxons deviennent subitement de proches cousins. Pourtant, la différence paraissait jusqu’ici radicale vis-à-vis de la philosophie européenne dite “ continentale ”. La philosophie analytique se définit comme “ l’analyse de la pensée au moyen de l’analyse du langage ”, nous rappelle Michael Dummett. Ce n’est pourtant ni une linguistique à la manière d’un Jackobson, ni une psychologie à la manière d’un Lacan. Pas plus que ces Origines de la philosophie analytique n’en sont une “ histoire ” à proprement parler. Du reste, les racines husserliennes que Michael Dummett attribue à la philosophie analytique ne rapprochent en aucune façon cette dernière de la phénoménologie. Pour comprendre l’intention de Michael Dummett, il faut en somme se préparer à une révision radicale du vocabulaire que l’on emploie communément.
En premier lieu, sa généalogie de la philosophie analytique repose sur une vision (ouvertement) récurrente de l’histoire : il montre que sa problématique a été formulée et explorée avant que le monde anglo-saxon ne se l’approprie et qu’elle soit baptisée du nom de “ philosophie analytique ”. Du moins en partie. Car Michael Dummett a conscience de négliger ici l’influence proprement anglo-saxonne d’un Russell ou d’un Moore sur la famille analytique. Raison pour laquelle “ il ne s’agit là nullement d’une recherche historique au sens propre ”. Surtout, cette branche allemande qu’il exhume n’apparaît qu’en filigrane dans les œuvres de ceux-là mêmes qui la constituent : Frege, Brentano et Husserl. C’est la caution d’une démarche qui s’intéresse plus “ à l’histoire des pensées qu’à celle des penseurs ”.
“ Telle que je la définis, la philosophie analytique est apparue sitôt accompli le tournant linguistique ”, déclare Michael Dummett. Ce tournant se dessine au fur et à mesure d’une enquête qui progresse à la manière d’un Sherlock Holmes de la pensée, traquant la distinction inaugurale entre “ sens ” et “ référence ” d’un mot ou d’une expression, recherchant le moment où s’ajoute la notion de “ signification ”, et décelant la fondation d’un “ troisième monde ”, non subjectif, des pensées, dans le tissu des textes de Frege. Brentano et Husserl. Si ces Origines de la philosophie analytique ne sont pas l’œuvre d’un historien, elles n’en progressent pas moins au rythme d’une histoire dont l’intrigue se dévoile au fil des pages. L’ouvrage se rattache du même coup à une tradition philosophique proche des Méditations de Descartes, plus proche encore des Méditations cartésiennes de Husserl et d’une universalité qui domine toutes les divisions familiales. Car il ne ressemble pas aux œuvres de Descartes et de Husserl sur le seul plan formel. Michael Dummett y croise le questionnement cartésien jusque dans ses détails : comment peut-on distinguer le rêve et l’hallucination de la perception sensible “ objective ”, à quel monde objectif nos pensées appartiennent-elles...
Peut-être le lecteur “ continental ” reconnaîtra-t-il le même sentiment d’étrangeté qu’il éprouve habituellement au contact des œuvres de philosophie analytique. Celui d’une problématisation d’apparence désuète, métaphysique, qui semble ignorer superbement l’évolution et les acquis des sciences “ dures ” ou “ humaines ” concernant précisément le fonctionnement de la pensée ou les lois du langage. Mais si la philosophie analytique peut passer, au-delà du monde anglo-saxon, comme un bavardage se complaisant dans des chicanes stériles, preuve est donnée dans cet ouvrage qu’à tout le moins la problématique sur laquelle elle repose est d’une rare beauté intellectuelle. Cette “ étude de la pensée au moyen d’une étude du langage ”, restituée à travers un parcours (méta-)historique, montre qu’une “ troisième voie ” authentiquement philosophique permet d’échapper à l’emprise des sciences humaines, et à l’alternative de la psychanalyse ou de la linguistique pour accéder à une connaissance de la pensée.
Elle rend par la même occasion plus accessible et plus attrayante la Philosophie de la logique, du même Michael Dummett, qui paraît simultanément aux Éditions de Minuit : une série d’essais, cette fois rédigés dans le plus pur style analytique, répondant à la question de l’ontologie des objets mathématiques. Cet ouvrage fonde la réputation de Michael Dummett, qui passe pour un conciliateur entre le logicisme linguistique initié par Frege, et l’étude du langage ordinaire dont Wittgenstein puis Austin furent les fers de lance. Il montre surtout que la philosophie du langage joue un rôle fondateur dans la tradition analytique, égal au rôle de la connaissance dans la philosophie “ continentale ”.
En guise de conclusion aux Origines de la philosophie analytique, Michael Dummett répond à une série de questions posées par son traducteur allemand, Joachim Schulte : “ J’ai fait mes études à Oxford peu après la guerre, de 1947 à 1950. Les gens y étaient incroyablement prétentieux et extraordinairement bornés. Les philosophes étaient persuadés que tout ce qui était intéressant avait lieu à Oxford ”, a-t-il la franchise de lui avouer. Une même autosatisfaction “ continentale ” a probablement découragé la curiosité philosophique pour ces cousins d’outre-Manche. Les temps mériteraient de changer, bien que Michael Dummett ne soit pas dupe de la difficulté qu’engendrent les divisions familiales. Entre la phénoménologie et la philosophie analytique, “ il est inutile de vouloir faire comme si le fossé n’existait pas, admet-il. Naturellement les philosophes ne tomberont jamais d’accord. Mais il est dommage qu’ils ne puissent jamais parler ensemble ni se comprendre ”. L’un des terrains sur lesquels la philosophie analytique a peut-être des leçons à nous donner. c’est celui de l’engagement politique de l’intellectuel. À l’instar du pacifisme opiniâtre de Russell, Michael Dummett s’est engagé dans un combat quotidien contre le racisme. Il ne voit cependant “ qu’un rapport lointain ” entre cet engagement et sa pensée philosophique. À ceci près que les professeurs d’université, et les philosophes en particulier, ont a ses yeux “ le devoir d’être attentifs aux problèmes de société. Et lorsqu’ils voient l’occasion d’intervenir, ils doivent immédiatement passer à l’acte, car, d’une certaine façon, ce sont des privilégiés. Ils ont le temps de réfléchir, et, même très occupés, ils peuvent disposer de leur temps plus facilement que d’autres ”. Un principe socratique qui dépasse également les clivages familiaux. 

Christian Delacampagne (Le Monde, 10 janvier 1992)

La logique de Dummett
Disciple de Wittgenstein, le savant britannique se refuse à penser la philosophie analytique en terme de rupture.
 
 Michael Dummett est l’un des grands philosophes britanniques d’aujourd’hui. Sa renommée n’est pas le fruit d’une mode récente, puisque ses premiers articles datent du début des années 50. Loin de se limiter au microcosme d’Oxford, où Dummett enseigne la logique, elle s’étend d’ailleurs à l’ensemble des universités anglo-saxonnes. Malgré cela, Dummett, dont le travail s’inscrit dans le sillage de Frege et de Wittgenstein, reste encore pratiquement inconnu en France, où deux de ses livres viennent seulement d’être traduits.
Curieusement, Les Origines de la philosophie analytique (Éditions Gallimard, 1991) nous arrivent d’Allemagne – où elles furent publiées en 1988 à partir d’une série de conférences données à Bologne. Quant à l’ouvrage baptisé Philosophie de la logique, il ne regroupe en fait, avec une préface de Fabrice Pataut, que deux articles (sur le concept de vérité et les fondements de la logique intuitionniste) extraits du livre de Dummett, Truth and Other Enigmas, datant de 1978. Mais ne faisons pas la fine bouche : même insuffisantes, ces traductions offrent de quoi méditer à ceux qui cherchent à échapper aux ornières dans lesquelles, actuellement, s’enlise la philosophie dite “ continentale ”, française ou allemande.
L’opposition entre le “ continent ”, d’une part, et le monde anglo-saxon, de l’autre, n’est-elle pas, du reste, l’un de ces blocages absurdes que la démarche de Dummett permet de faire sauter ? Le but de ses travaux récents est, en tout cas, de rappeler que, contrairement à ce que croient la plupart des spécialistes, la philosophie dominante aujourd’hui dans le monde anglo-saxon ne procède pas seulement de l’empirisme anglais (Hume, Berkeley) ni du pragmatisme américain (James, Peirce), mais aussi et peut-être d’abord d’un courant de pensée typiquement germanique, qu’on peut rapidement baliser des quatre noms suivants : Bolzano, Brentano, Frege, Husserl.
Adversaire de Kant, Bolzano est, après Leibniz, l’un des fondateurs de la logique moderne, formelle et symbolique. Dominicain, Brentano s’efforce de comprendre, à travers le concept d’intentionnalité dont il est l’inventeur, le mécanisme par lequel la conscience donne un sens aux choses. Philosophe et mathématicien, Frege dégage les fondements logiques de l’arithmétique et, simultanément, tente d’élever l’étude des lois de la pensée au rang de science objective. Quant à Husserl, après avoir cédé dans ses premiers écrits aux tentations du psychologisme, il s’en libère (grâce, entre autres, à Frege) dans les Recherches logiques – même si c’est pour effectuer, dans son œuvre ultérieure, un retour quelque peu décevant à “ l’intuition ” cartésienne.
De cette famille d’esprit jalonnant le XIXe, et le début du XXe siècle, des gens comme Moore, Russell et Wittgenstein surent retenir l’inspiration fondamentale qu’on peut résumer par ces trois maximes : arracher la logique à la psychologie ; aborder l’analyse de la pensée par le biais de celle du langage ; rattacher la question de la vérité à celle, plus fondamentale encore, de la signification.
Ces trois maximes sont celles qui, depuis cinquante ans, président à l’essor de la philosophie analytique et lui ont permis d’atteindre, dans quelques domaines, des résultats non négligeables. En rappelant leur origine “ continentale ”, Dummett montre combien cette philosophie, loin de s’être instaurée à partir d’une rupture absolue, s’enracine dans une tradition, celle de la réflexion post-kantienne. Une telle conclusion peut ne pas plaire à tout le monde, mais présente un avantage certain. En refusant de céder à l’illusion de la nouveauté radicale, Dummett finit par nous convaincre que la philosophie a une histoire marquée par des progrès réels, quoique nécessairement lents et toujours limités. À l’heure où tant de voix la prétendent morte, cette vision à la fois optimiste et prudente n’a-t-elle pas quelque chose de réconfortant ? 

Paul Loubière, (Magazine littéraire, décembre 1991)

Éloge de la philosophie analytique
 
 Dans le monde anglo-saxon, Michael Dummett est aussi connu que Derrida en France. Seule différence : le second est abondamment traduit en anglais depuis longtemps tandis que le premier demeure totalement inconnu. Et pour cause : il n’a jamais été traduit en français. Cette injustice flagrante prend fin aujourd’hui avec la parution de deux ouvrages, Les Origines de la philosophie analytique (Éditions Gallimard) et Philosophie de la logique (Éditions de Minuit). En France, tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une pensée étiquetée “ anglo-saxonne ” est mal vu : la philosophie analytique est considérée comme, sinon inaccessible, du moins limitée à des techniques confirmées de la logique. Mais surtout, on lui reproche de ne pas s’occuper des “ vrais problèmes de la philosophie ”. La lecture du premier ouvrage débarrassera l’honnête homme de ce préjugé. Qu’est-ce, en effet, que la philosophie analytique ? Ce qui la distingue des autres, répond Michael Dummett, c’est en premier lieu la conviction qu’une analyse philosophique de la pensée est possible, et en second lieu la conviction que c’est là la seule façon de parvenir à une explication globale. En clair, l’analyse du langage est la seule voie qui permette non seulement une clarification de la pensée mais qui aboutisse à une représentation cohérente du monde.
Le propos de Michael Dummett est aussi polémique. Il veut démontrer que le courant analytique n’est pas anglo-saxon et que la philosophie anglaise ou américaine est d’origine allemande ou autrichienne, au même titre que la philosophie française d’après guerre. Paradoxe ? Pas tout à fait. Si on veut bien accepter que Frege est “ le grand père de la philosophie analytique ” tout s’éclaire. “ Frege et Husserl, pense le philosophe anglais, sont à l’origine de deux courants philosophiques fondamentalement différents... ils ne sont pas profondément opposés mais plutôt ils ont deux pensées d’orientation tout à fait analogue malgré nombre d’intérêts divergents. On pourrait les comparer avec le Rhin et le Danube qui naissent à proximité l’un de l’autre, font un bout de chemin parallèle, roulent ensuite dans des directions totalement différentes et finissent par déboucher dans des océans différents ”. Quel est donc l’obstacle qui les a éloignés ? Leur analyse du sens. En d’autres termes, Husserl, en étendant la notion de sens à tous les actes mentaux, rend impossible le tournant linguistique. Au contraire, Frege, Wittgenstein et leur filiation admettent que le sens dépend de son expression linguistique.
Le second livre de Dummett, plus technique, s’attaque au problème de la vérité lequel débouche tout naturellement sur la notion de preuve. S’agit-il simplement d’une pratique dont l’usage fonde le droit ? Peut-on, au contraire, par une analyse de type wittgensteinien, trouver la signification d’un énoncé avant que la vérité de cet énoncé ait été établie ? Bref, Michael Dummett nous invite à peser soigneusement la structure logique et la signification de nos assertions avant de prouver quoi que ce soit. Ce qui n’est peut-être pas toujours apprécié de nos intellectuels nationaux. 

 




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