Thomas Clerc
Paris, musée du XXIe siècle - Le 18e arrondissement
Prix Wepler - Fondation La Poste 2024
2024
624 pages
ISBN : 9782707355362
25.00 €
Le 18e arrondissement compte 425 rues, squares, places, avenues, cités, jardins, villas, boulevards, impasses et passages que Thomas Clerc a entrepris d’arpenter depuis qu’il y a emménagé récemment. Description totale, née de ses déambulations, dérives et notations, ce livre n’omet rien de ce que la ville laisse voir, entendre et ressentir.
De Montmartre aux abords du périphérique, des habitants de ses quartiers aux touristes égarés, des cafés aux darks stores, de la nuit au jour, l’ancien faubourg de Paris, insurgé sous la Commune, ne cesse de changer d’apparence, quand ce n’est l’auteur lui-même qui le refaçonne au gré de son périple. Le 18e se déroule comme une toile géante où chaque rue est un tableau vivant.
ISBN
PDF : 9782707355386
ePub : 9782707355379
Prix : 17.99 €
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France Culture, Le Book club, 2 décembre 2024
Cette semaine, le Book Club explore des livres qui questionnent l'écriture des lieux. Notre invité, le romancier et essayiste Thomas Clerc ouvre cette série pour nous raconter sa dernière aventure narrative dans le 18ème arrondissement de Paris.
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Le Nouvel Obs, Elisabeth Philippe, 17 octobre 2024
Pas de quartier !
Nez au vent, l’air ailleurs, le flâneur se fait hélas bien rare de nos jours. On peut même avancer dans un élan technophobe assumé que les portables et les GPS ont fait de lui une espèce en voie de disparition. Dans nos paysages urbains peuplés de silhouettes voûtées, tête penchée sur les écrans, Thomas Clerc, écrivain balado-inspiré, a tout de la précieuse incongruité. Après avoir arpenté de fond en comble le 10e arrondissement de Paris et en avoir tiré un livre, le voilà qui remet ça avec le 18e, quartier dans lequel il a déménagé et dont il se fait fort d’écumer les 425 rues, squares, impasses et autres villas, de la Chapelle à la butte Montmartre, en passant par la Goutte-d’Or. « Malade atteint de détaillitose » ainsi qu’il s’autodiagnostique – admirable lucidité –, Clerc consigne ses moindres observations : laideurs architecturales (dites « AFS » pour « à faire sauter d’urgence »), graffitis, présence de « dileurs », mérites comparés des différents barbiers du coin... Il agrémente sa déambulation obsessionnelle et fantaisiste de multiples « bornes », soit des micro-exercices de style de deux ou trois lignes telles les « performances chiens » qui consistent à noter une rencontre canine avec description et nom de l’animal ; des « voix off » qui délivrent des vérités mélancoliques sur l'époque (et qu’on imagine débitées avec la voix de Godard) ; ou encore des performances au sens artistique du terme. Exemple : l’auteur recouvre une BMW abandonnée d’affichettes où est inscrit « cette voiture appartient à Rachida Dati ». Héritier de Walter Benjamin ou de Guy Debord, Thomas Clerc pérégrine carnet en main, entre les bobos, les toxicos et les clodos. Loin de sombrer dans un parisianisme ethnocentré, il compose un livre-monde esthète et dandy, qui nous apprend mine de rien à poser un autre regard sur ce qui nous entoure. Du flâneur, Charles Baudelaire écrivait : « Chaque pays, pour son plaisir et pour sa gloire, a possédé quelques-uns de ces hommes-là. » Pour notre gloire et pour notre plaisir, nous possédons Thomas Clerc.
Philosophie Magazine, Arthur Dreyfus, novembre 2024
Si Montmartre m’était compté
Tout le monde écrit la même chose - sauf Thomas Clerc.
Tout le monde raconte des histoires qui ont lieu dans un décor. Thomas Clerc raconte des décors qui ont lieu dans des histoires. L’artiste oulipien s’était attaché, en 2013, à recenser pièce par pièce, l’intégralité de son appartement de 50 mètres carrés (Intérieur). Le voici sorti de chez lui, mais tout aussi obsessionnel pour le plus grand bonheur de ses lecteurs ; et pas seulement les habitants du 18e, Car les 425 rues, squares, places, avenues ou impasses de cette division s’avèrent ici moins peints par un géomètre compulsif que par le fils spirituel de Tati, de Perec, de Queneau. Ainsi les serial killers des années 1980 de côtoyer un général exécuté par la Commune, ou La Complainte de la Butte « qui contribue à enduire Montmartre d’une pâte lourde », de tutoyer un embouteillage de camions poubelles. Sans oublier un « marchand d’habits qui s’intitule marchand d’habits », ni l’immeuble que scrutait depuis sa fenêtre le petit Nicolas (Sarkozy).
L'écriture de Clerc est pulsionnelle : les mots jaillissent tels des bruits, des oiseaux, des flashes mémoriels. Et font éclore autant d’existences parallèles. Guyotat ne pouvait voir « une fenêtre allumée sans le regret de n’être pas l’une ou l’un de ceux qui y vivent ». Clerc résout ce problème à la Sophie Calle, en campant mille rôles par promenade : « J’entre au 12, j’ai réussi à me faire passer pour un visiteur en me glissant derrière une femme qui n’est pas rassurée et que je devrais rassurer mais que je ne rassurerai pas, car pour que je le fasse il faut que j’accélère le pas, ce qui lui ferait peur. » Oui c’est drôle. L’auteur - qui n’omet pas de saluer Pierre Dac dans la voie qui porte son nom - fait éclater de rire à chaque page : « Il reste encore une petite marchande de journaux à son poste : j’apprends ce jour qu’Enrico Macias est dans un état désespéré et que Line Renaud n’a plus peur du regard des autres. » Clerc est un fieffé râleur, distribuant à l’envi les diplômes d’IPPP (immeuble le plus pourri de Paris) et les arrêtés d’AFS (à faire sauter), mais un râleur irréductible à son antimodernisme : « Quand est-ce qu’on comprendra que les “espaces ingrats” sont justement les plus beaux de Paris ? » On parle avec lui comme au café. On payerait volontiers l’addition. Dans mille ans, ce génial livre-monde prouvera à qui le redécouvrira que Paris n’était pas un rêve. Et la vie non plus.
Art Press, Jérôme Duwa, novembre 2024
Thomas Clerc - retrouver la rue
Après avoir décrit, en 2007, le 10e arrondissement de Paris, Thomas Clerc reprend son projet monumental de dérive systématique dans la capitale en déménageant cette fois-ci dans le 18e arrondissement.
Comment faire échapper autant que possible la rue parisienne aux forces qui entendent la réduire à un pur espace de circulation et de spéculations financières ? Thomas Clerc répond : par |'acte d'écriture, comme mise en jambes, dans un territoire circonscrit, qui est avant tout un lieu dont il convient de défendre la vitalité. À la toute fin de son livre, Clerc salue Louis-Sébastien Mercier, l'auteur du Tableau de Paris (1781-1788), lequel a lui-même revendiqué qu'il « écrit avec les jambes ». Que ce soit en période prérévolutionnaire, donc, ou pendant les quatre années de rédaction de ce volume de Paris, musée du 21e siècle - au temps de l'épidémie de Covid-19, de la préparation des Jeux Olym- piques et du projet du Grand Paris —, l'écriture s'entend comme un exercice proprement physique. Puisqu'on a beaucoup glosé sur la littérature aux prises avec le corps (cette abstraction), il faut en dire davantage sur ce qui caractérise la méthode Clerc et ce qui se passe concrètement dans les pages de ce « montreur de vues » du 18e arrondissement.
La première des vigilances pour l'explorateur méticuleux consiste à se garder d'un point de vue de surplomb à l'égard de son objet à décrire. « Descendre dans la rue » : l'expression est à suivre à la lettre. Se confronter à sa singularité changeante, à ses aspérités, ses hauts, ses bas et, du côté de la Butte Montmartre, cette réalité s'impose également sur un plan strictement topographique. Mais ce n'est pas tout. Le résidant de la rue Marc-Seguin le confie dès le bref chapitre d'ouverture; depuis cinq années, il habite ce quartier de La Chapelle qu'il a choisi en toute connaissance de cause malgré sa mauvaise réputation, parce qu'il aspirait à un « territoire nouveau », l'esprit débordant de « songes de modification du réel ». Ce terrain d'écriture, contrairement à d'autres arrondissements gentrifiés, reste ouvert pour l'action ou ce que l’écrivain nomme ses Performances : elles sont multiples et, le moins qu'on puisse dire, est que le lecteur les attend au fil des pages comme autant d'occasions de s'exalter, de s'agacer, de s'émouvoir, de s'inquiéter et de rire, aux dépens de l'auteur ou d'un quidam. Citons, parmi une vingtaine d'autres, les performances « chien », « on boit un verre ? », « j'aide mon prochain », « trottinette », « pharmacie » ou « j'abats un hélicoptère ».
Projet naturaliste
Contre la ville aseptisée, en version Amélie Poulain, le métier d'écrivain tel que l'entend Thomas Clerc est celui d'un révélateur d’« ambiances », au sens situationniste de ce terme. La ville redevient un terrain d'aventures à condition d’oser endosser le rôle de l'aventurier. Cela se traduit d'un point de vue littéraire par un rythme d'écriture ponctué d'expériences multiples, indiquées dans le texte même par des « Bornes » en caractères italiques. Si l'on veut bien s'y rendre attentif, la « forme d'une ville » fourmille en signaux variés et agit diversement sur notre perception aux aguets et notre cœur de mortel. Ainsi, une page de Clerc palpite de sollicitations tourbillonnantes : Contact, Danger, Banalité de base, Poème de site, Franchissement de seuil, Vie antérieure, L'ignoriez-vous ?
Le péril, on l'aura compris dès le titre, s'appelle muséification de Paris. Tout y prédispose, mais Clerc met son énergie en jeu pour lutter contre ce devenir. Le grand chantier inachevé de Walter Benjamin s'intitule Paris, capitale du 19e siècle. Le livre des passages. Comme le philosophe allemand, Thomas Clerc se montre, tout au long de son odyssée, très attentif à l’architecture, classant celles qu'il remarque en BAC (Belle architecture contemporaine) ou en AFS (A faire sauter avec plus ou moins d'urgence), sans négliger également le Mobilier de norme, comme ces immondes pots de fleurs géants qui poussent artificiellement ici et là. Cette attention portée à une ville en mutation était aussi au cœur du projet naturaliste de Zola, qu'on croise souvent au cours de notre déambulation, notamment dans le troisième chapitre consacré au quartier de la Goutte-d'Or, où se déroule l'action de l’Assommoir (1877). Avec Zola, la question de la pauvreté et de la misère dans ses formes plus ou moins aiguës se trouve posée par la littérature depuis un arrondissement où il faut s'aveugler consciencieusement pour ne pas la voir. Alors Clerc regarde intensément en s'approchant au plus près, conscient que l’erreur majeure (littérairement et politiquement) consiste à généraliser plutôt que de se rendre disponible à ce qui est particulier, donc unique.
Pénétrer toujours plus avant, infatigablement, sans oublier une seule rue de cet arrondissement-monde, riche en contradictions et surdéterminé par une tragédie familiale (rue Ramey), telle est la voie du salut pour conjurer le risque d'une transformation urbaine appauvrissante et garantir, ainsi, qu'il se passe encore quelque chose dans la rue.
L’Humanité, Sophie Joubert, 24 octobre 2024
La flânerie est une question de méthode
Après le 10e arrondissement et son appartement parisien, Thomas Clerc tente d'épuiser le 18e, où il a élu domicile. Une promenade performance dans un quartier populaire mal-aimé de la littérature, en lice pour le prix Médicis.
Après avoir refermé ce livre, on ne regardera plus la ville de la même façon. Soudain frappé d'une curiosité pointilleuse, le piéton de Paris sera tenté de ralentir le pas, de franchir chaque porte d’immeuble ou d’échoppe et d’interagir avec son prochain, humain ou non. En 2007, Thomas Clerc, marchant sur les traces de Walter Benjamin (Paris, capitale du XIX siècle), inaugurait un projet fou : documenter les moindres recoins du 10e arrondissement, où il vivait alors. Ont suivi Intérieur, méthodique tentative d’épuisement de son appartement parisien, puis Cave, faux appendice visant à réparer un oubli du précédent opus et exploration de sa propre psyché. Avec Paris, musée du XXIe siècle, le dix-huitième arrondissement, l’auteur, qui a entre-temps déménagé, revient à la flânerie urbaine. De la rue Marc-Séguin, dans le quartier de la Chapelle, où il vit, aux Abbesses, il a pendant trois ans quadrillé d’est en ouest cet arrondissement où se côtoient, sans se mélanger, la richesse et l’extrême pauvreté, les restes du Paris historique et une modernité avec ou sans charme.
Rigueur scientifique et coqs à l’âne
Pour venir à bout de cette entreprise, l’écrivain avait besoin d’une méthode. Sur un plan, il a divisé en quatre son terrain de jeu : la Chapelle, la Goutte-d’Or, Clignancourt et Montmartre, les Grandes-Carrières. Pour introduire du hasard dans une démarche très structurée (structuraliste ?), il a imaginé 99 bornes dont il donne la liste en fin d'ouvrage : des performances - « Performance chien », « Performance grivèlerie », « Performance je suis un marchand belge » -, des chansons - « Air de Paris » -, des visites inopportunes — « Franchissement de seuil », « Visite d’appartement » -, des poèmes minute... Autant de surprises qui viennent pimenter l’infraordinaire cher à Perec.
S’il n’évite pas toujours le surplomb dont il se méfie, Thomas Clerc réussit un livre étonnamment captivant, toujours surprenant et traversé par un regard politique sur la gentrification. Scène de théâtre et tableau vivant, le 18e arrondissement se dévoile en suivant l’auteur narrateur, chaussé de baskets ou de souliers, acteur et spectateur d’une promenade ininterrompue. Ni vraiment anthropologique ni tout à fait sociologique - la rigueur scientifique étant largement compensée par le goût de l’auteur pour les coqs à l’âne, les pharmacies et le numéro 39 —, la description met au jour des strates d’histoire : la mémoire de la Commune, la rafle du Vél’d’hiv ou des films avec Ginette Leclerc.
À l’approche de la rue Ramey, où vécurent pendant cinquante ans les grands-parents paternels de Thomas Clerc et où naquit sa tante, la féministe Thérèse Clerc, les souvenirs intimes prennent le relais de la stricte observation participative. C’est peut-être là, dans cette artère populaire coincée entre Barbès, Château-Rouge et la butte Montmartre, que se trouve la véritable source de ce livre-monde, portrait de l’auteur en flâneur scrupuleux.
Les Échos, Alexandre Fillon, 29 octobre 2024
Dans les rues de Paris avec Thomas Clerc
Thomas Clerc poursuit son projet d’une description de la capitale par arrondissement. Après avoir arpenté le dixième, le voici passant au crible le dix-huitième, en plus de 600 pages. « Paris musée du XXIe siècle » est un livre taquin et effervescent à la lecture stimulante.
Les visites proposées par Thomas Clerc sont toujours un régal. L’écrivain excentrique qui se présente comme « post-conceptuel » ou comme « écrivain de performance » avait déjà ouvert la porte de son appartement de cinquante mètres carrés qu’il disséquait pièce par pièce. Puis, s’apercevant qu’il avait oublié la cave, il consacra ensuite un livre entier au sous-sol de son immeuble. Le voici poursuivant un autre vase projet, intitulé Paris, musée du XXIe siècle, entamé en 2007 avec un volume consacré au 10e arrondissement où il habitait alors. Soit cent cinquante-cinq « rues, places, quais, squares, cités, avenues, jardins, boulevards et passages » qu’il avait décidé d’arpenter méthodiquement.
Sa description générale de la ville se poursuit aujourd’hui avec un fort volume dévolu cette fois au 18e arrondissement. Un champ d’observation et d’action presque trois fois plus important par sa taille que le précédent. Le natif de Neuilly-sur-Seine l’a connu enfant, ses grands-parents Yvonne et René Clerc y vécurent de 1939 à 1992. Depuis mars 2018, il loge lui-même rue Marc-Séguin, après avoir visité soixante-douze appartements avant de se décider. Thomas Clerc tient du promeneur, de l’observateur et de l’historien. La rue est son élément.
Incursions dans « le monde fictif »
L’oeil grand ouvert, il ne perd jamais une miette du spectacle autour de lui, attentif au renouvellement des enseignes, aux petits trafics et aux grands commerces, aux esclandres et aux petits bonheurs. Aux salons de massage, aux épiceries bio et aux cafés. Aux marginaux et aux bobos. En étant prêt à l’échange et à la conversation chemin faisant. Celui qui confesse ignorer « l’usage du fer à repasser » et utiliser les services d’un barbier avance chaussé de baskets Puma ou d’une paire de boots marron qu’il possède depuis onze ans. Notre homme monte et descend, entre et sort, traverse et bifurque.
Il lui arrive de s’autoriser des incursions dans « le monde fictif » ou de pratiquer le « geste votif ». Toujours aussi singulier et fascinant dans sa démarche et dans la manière dont il la réalise, Thomas Clerc fait feu de tout bois dans ce texte au long cours commencé « pendant le confinement qui autorisait à sortir de zone à condition de ne pas dépasser un kilomètre ». En se montrant tour à tour érudit, taquin, son Paris s’avère un livre effervescent, sans cesse en mouvement, plein comme un œuf, à la lecture stimulante et nourrissante.
Lire Magazine, Bernard Quiriny, octobre 2024
Le 18e mode d’emploi
Le nouveau livre de Thomas Clerc se présente sous la forme d'un solide parallélépipède blanc, noir et bleu (186 x 136 x 39 mm), long de 624 pages ; sous le titre Paris musée du XXI siècle et le sous-titre Le dix-huitième arrondissement. Il consiste en une déambulation méthodique dans les 425 rues, squares, places et autres voies publiques de La Chapelle, la Goutte-d'Or, Montmartre et autres quartiers de cet arrondissement parisien que traversent, nous indique Wikipédia, quatre lignes de métro et une ligne de tramway.
Antécédent : cet ouvrage est le deuxième d’une série commencée en 2007 avec le 10e arrondissement, à l’époque où l’auteur habitait rue Saint-Martin, dans un appartement que décrit son livre Intérieur (2013). Il a déménagé depuis rue Marc-Séguin et, logiquement, il devra changer encore dix-huit fois d’adresse s'il veut compléter la série en habitant chaque fois l’arrondissement arpenté. Méthode : je rédige cette chronique en m'inspirant du dispositif d’écriture imaginé par l'auteur, un collage de constatations visuelles, d’impressions et de considérations diverses, classées sous des rubriques récurrentes signalées en italique. En résulte un texte infiniment varié, qui procède par associations d'idées et brisures, en reflétant la continuité de la promenade aussi bien que la diversité du décor. Influences : difficile de ne pas songer à Perec, né dans le 18e (page 387), mais aussi aux livres-installations d’Édouard Levé, à Sophie Calle, à Alain Fleischer.
Genre : c’est à la fois un Piéton de Paris 2.0, une tentative d’épuisement, une radiographie de la capitale, un traité d'urbanisme, un livre-objet, une performance, un livre-jeu, un autoportrait. Apparitions : Thomas Clerc croise quelques célébrités au fil de ses déambulations, Pierre-Yves Bournazel, Nina Bouraoui, Olivier Besancenot ; mais les vraies vedettes de son livre sont les anonymes, les barbiers afghans, les concierges d’hôtel, les promeneurs de chien, les vendeurs à la sauvette, les clochards, ainsi que la tragique cohorte des zombies sous crack qui traînent leurs silhouettes fracassées autour de la porte de Clignancourt.
Performance : refaire l’itinéraire, pousser les mêmes portes, entrer dans les mêmes magasins, et découvrir si on ne croise pas les mêmes gens prêts à avoir les mêmes conversations. Humour : l’auteur n’en manque pas. « On arrive sur la minuscule placette que l’ironie du sort a baptisé Michel-Petrucciani. » Une voiture-crampon stationne durant un mois au croisement Évangile-Séguin ; il la recouvre nuitamment d’affiches : « Cette voiture appartient à Rachida Dati » et découvre le lendemain qu'elle a disparu. Jeu : il y a une coquille page 72, saurez-vous la retrouver ? Idées poétiques : elles fourmillent, par exemple une ville dans laquelle les numéros des immeubles refléteraient le style de leur époque, pompidolien au 70, primitif au 1, baroque au 18. Installation : disperser 425 exemplaires dans les 425 rues et places parcourues, avec un signet à la page correspondante.
Marianne, Philippe Petit, 30 septembre 2024
Vivant, hétéroclite, imprévisible : le XVIIIe arrondissement de Paris réinventé sous la plume de Thomas Clerc
Description totale de l’arrondissement parisien le plus hétéroclite de la capitale – le XVIIIe –, le dernier livre de l’écrivain Thomas Clerc se présente comme une suite de tableaux vivants qui emporte le lecteur dans une dérive enivrante aux accents surréalistes. Un vrai choc littéraire.
Thomas Clerc est un écrivain obsessionnel. Il ne fait pas les choses à moitié. Il y a dix-sept ans, il a publié un livre consacré au Xe arrondissement de Paris où il a vécu pendant quinze ans. Il récidive avec un livre dévolu au XVIIIe arrondissement, moins chic, plus populaire, plus cosmopolite, que le précédent. Un quartier qui résiste à la gentrification, où l’on croise des Arabes, des Chinois, des Africains, des Pakistanais, des Afghans... mais aussi quelques « immigrés » de l’intérieur, dont l’auteur qui a emménagé depuis peu rue Marc-Séguin, dans le quartier de la Chapelle.
Pourquoi cette volte-face ? Pour des raisons économiques ? Pas seulement. Thomas Clerc est un Indien dans la ville. Une sorte d’espion qui a la manie de l’inventaire et le souci de tout connaître des rues, des squares, des ponts, des boutiques, des passants, qu’il croise en déambulant. Le XVIIIe qu’il parcourt de long en large, rue après rue, est devenu pendant trois ans, de 2021 à 2024, son terrain d’expérimentation, pour des raisons plus profondes. Il a voulu rompre avec le vieux Paris, avec le passé, celui des monuments et des beaux quartiers, pour se plonger dans une ville vivante, hétéroclite, imprévisible.
Réinventer le Paris de demain
Le XVIIIe arrondissement coche toutes les cases. C’est un arrondissement où il n’y a pas grand-chose à voir, hormis la butte Montmartre où vécurent de nombreux rescapés de la Commune, Picasso et Duchamp, les deux frères ennemis, l’écrivain Francis Carco, l’auteur de Jésus-la-caille (1914), Alain Bashung et Dalida. Cet arrondissement, c’est celui aussi du quartier la Chapelle et de la Goutte d’Or où vivait la Gervaise de l’Assommoir d’Émile Zola, il est de nos jours celui d’une ville-monde, dont les noms de Barbés ou de Clignancourt, résonnent comme autant de défis à l’autre Paris.
Cet arrondissement, il est désormais impossible de l’ignorer, il est désormais répertorié par Thomas Clerc qui réinvente Paris au gré de ses déambulations avec une précision d’arpenteur. Il guette. Il provoque le hasard, se met parfois en danger ou en porte-à-faux avec celles et ceux qu’il rencontre. Il expérimente. Il teste tous les barbiers du coin. Carnet en poche, il prolonge l’intuition et la pratique des surréalistes : laisser la vie surgir.
Chaque rue passée au peigne fin par Thomas Clerc, avec un mélange d’ironie et de provocation, relève du merveilleux quotidien. Hôtelier, coiffeur, commerçant, mais aussi migrant et même vendeur de drogues sont comme menés par une dynamique souterraine – au-delà de tout jugement moral – qui emporte le lecteur, et le soumet à un précieux devoir d’attention. Lequel devrait être la règle de celles et ceux qui ne se contentent pas d’observer, mais s’impliquent dans le Paris d'aujourd'hui et de demain.
Le Canard Enchaîné, Frédéric Pagès, 25 septembre 2024
Rêveries d’un promeneur solidaire
Poursuivant sa série “Paris musée du XXIe siècle”, Thomas Clerc s’installe dans le XVIIIe arrondissement. Auprès du peuple ?
Qu’est-ce qu’un « dix-huitièmiste » ? Un spécialiste du XVIII siècle littéraire mais aussi - pourquoi pas - un connaisseur du XVIIIe arrondissement de Paris. Après avoir visité pas moins de 72 appartements, l’auteur devient propriétaire dans une zone populeuse et notoirement fauchée : bienvenue à La Chapelle-Marx-Dormoy ! Et adieu le Xe et les bobos de son précédent livre !
La méthode est la même : « ne rien embellir », explorer rue par rue, mètre par mètre, non pas pour célébrer le patrimoine pittoresque mais pour saisir des instantanés, des silhouettes, des « figures locales » (commerçants, zonards, clochards, artistes), avec un œil avisé sur l’architecture, un de ses arts préférés.
Sur le papier, cela donne un flux rapide, télégraphique, piquant et addictif, riche en micro-événements baptisés « performances ». Ainsi, la performance « Grivèlerie » consiste à dérober un fruit à l’étalage d’une épicerie pour le donner au premier clochard rencontré. Dans la performance « Je vous offre un verre ? », l’auteur propose « à un inconnu de lui offrir un café afin de faire sa connaissance ». Méthodique, ce piéton « gyrovague » aime la précision : son supermarché favori est situé à « 508 pas de [s]es pénates ». S’apercevant que « la rue Ordener compte 22 agences immobilières, la rue Caulaincourt 24 et la rue de la Chapelle une seule », il se demande « où [il vaut] mieux habiter » et propose une mesure révolutionnaire : « Obliger Eric Zemmour et Renaud Camus à partager un deux-pièces sur le boulevard Ney. »
Ces nantis ne connaîtront jamais le dépôt Emmaüs, qui « ne désemplit pas », les « attroupements de dilers (sic), glandeurs, zonards », « les vendeurs de cigarettes à la sauvette psalmodiant “Marlboro Marlboro / détail / bled” ». Comment ignorer la beauté du pont Riquet - « endroit sublime qui justifie le quartier » ? Comment s’endormir sans n’être jamais bercé par le « bruit des trains qui ralentissent » (« Quel impact sur les rêves ? ») ?
La place Constantin-Pecqueur mérite un vrai alexandrin : « Ce quinconce agréable où vivent des platanes. » « Le tram poursuit sa route en s’ébranlant lentement comme un jouet indifférent » semble tout droit sorti d’Apollinaire. Tout en approfondissant le concept de « p’tit café sympa », Thomas Clerc classe les immeubles en AFS (« A Faire Sauter »), AFSU (« A Faire Sauter d’'Urgence »), sans oublier les BAC (« Belle Architecture Contemporaine »). Abîmée par le tourisme de masse et l’effet « Amélie Poulain », la butte Montmartre a néanmoins de beaux restes, avec « ses maisons très jolies, très pimpantes, qui donnent l’impression d'être sous-habitées ». Remarquable, l’avenue Junot n’offre « aucun bâtiment laid sur 450 mètres ».
Philosophons un peu : « Les avenues sont le symbole de l’élégance, le boulevard des batailles et les rues du peuple. » Et faisons les comptes : ce volume aura pris à l’auteur trois ans de sa vie (2021-2024) ; il lui reste 18 arrondissements à explorer. Épiciers, surveillez vos étalages !
Le Matricule des anges, Jean Laurenti, septembre 2024
Connaissance par les jambes
Héritier inclassable d’une longue généalogie d’écrivains-marcheurs parisiens, Thomas Clerc adopte une méthode d’investigation par laquelle la rue devient à la fois espace d’observation et théâtre d’intervention. Il en tire un objet littéraire d’une grande originalité.
Thomas Clerc est depuis longtemps un arpenteur et un scrutateur d’espaces en même temps qu’un expérimentateur de formes. Le livre qu’il consacre à l’exploration du dix-huitième arrondissement de Paris est le quatrième à naître de son observation méticuleuse de ses lieux de vie, considérés à différentes échelles. Le premier de ces livres, au titre programma- tique très proche de celui qui parait aujourd'hui, Paris, musée du XXI siècle. Le dixième arrondissement (2007), s’attelait à la description des rues — ainsi que de leurs façades, habitants, commerces, passants, inscriptions, obstacles, etc. - constituant cette portion de la capitale dans laquelle, primo-accédant, il avait acheté un appartement, rue du Faubourg-Saint-Martin. Appartement qui sera le protagoniste d’Intérieur (2013), livre dans lequel Thomas Clerc détaille de façon exhaustive, chaque pièce, meuble, objet, tirant des choses et de l’usage qu’il en fait la matière vive d’un autoportrait composite. Une pièce « oubliée » de cet appartement donnera lieu à un autre livre, Cave (2021). La description de ce modeste et trivial complément domestique, d'abord strictement matérielle, ouvrira sur une série de dispositifs puisant dans différents univers de la représentation pour mettre en scène une vision singulière de la sexualité humaine. Dans Paris, musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement, Cave réapparaît comme élément d’une « performance » inspirée par sa déambulation. Dans le quartier de La Goutte d’Or, au 32 de la rue de Laghouat, il a pris rendez-vous avec « maître Drame, mage africain installé au 6e étage (…) dont j’avais obtenu la carte sur le boulevard Barbès où ses psychopompes la distribuent. (...) je lui explique le motif de ma visite - l’insuccès de mon précédent livre, Cave, que je souhaite conjurer. » L’expérience tourne évidemment court et l'écrivain, après avoir observé un rituel magique et entendu les consignes destinées à lui faire trouver le succès de librairie, et plus sûrement à l’escroquer, peine à s’extirper de cette nasse. « Mystère social : le taux d’arnaque et celui de croyances propres à la profession de mage, dans quelles proportions ? »
Le livre tout entier, fort volume de plus de six cents pages multiplie les angles d'approche, les modalités d’observation et d’intervention pour rendre compte d’un périple qui sillonne la totalité de l’arrondissement. Il est traversé de questionnements d’une réalité urbaine et humaine dont l’auteur s’empare des signes pour faire entrevoir quelque chose du monde comme il devient. Le titre même du livre fait évidemment écho à l'ouvrage mythique de Walter Benjamin, Paris, capitale du XIX, livre monstre resté à l'état de chantier du fait de la mort tragique de son auteur. Benjamin avait cherché à saisir l'essence de la modernité dans le Paris du dix-neuvième siècle et le vieillissement précoce de ses créations les plus emblématiques (tels les passages parisiens) ; Thomas Clerc observe en ces temps postmodernes et à l’échelle d'un arrondissement parmi les plus peuplés de la capitale, les mutations d’une ville enracinée dans un passé toujours lisible mais dont le visage se transforme au gré des évolutions rapides de la sphère techno-économique, des modes de consommation et des usages de l'espace urbain. En cela son entreprise peut être rapprochée de celle menée par Iain Sinclair dans la métropole de Londres.
Comme c’était le cas pour son livre consacré au dixième arrondissement, c’est un déménagement et l’achat d’un appartement, cette fois-ci dans le quartier populaire de La Chapelle, qui sont posés comme point de départ de l’odyssée à venir. Celui sur lequel se porte son choix se trouve dans un immeuble d’un secteur connu comme pauvre, fréquenté par les « dileurs », mal famé ; une « zone de non droit » selon Le Parisien. Mais cela ne décourage pas le nouvel acquéreur : « J'aime le côté louche des choses ». C’est « une résidence construite en 1972, l’année de la ruine de mon père ». De l’autre côté du carrefour, à la diagonale du sien, s’élève un immeuble à l’architecture bien plus prestigieuse dans lequel il avait visité son premier appartement : « j'ignorais qu’il avait reçu la visite, en 1984, de Thierry Paulin, qui y assassina la pauvre madame Benaïm, dans cette suite de meurtres perpétrés pour la plupart d’entre eux dans le 18e arrondissement. » Ruine paternelle et meurtre sont deux des balises qui clignotent dans ce livre comme dans d'autres de Thomas Clerc. La première pour marquer la source indirecte de sa vocation d'écrivain (via le choix initial du métier de professeur-fonctionnaire pour se tenir au plus loin des lois de l’argent) ; la deuxième pour éclairer une scène fondatrice, l'assassinat de son arrière-grand-père Auguste Clerc commandité par son épouse, événement qui est le sujet de la dernière nouvelle et la matrice du recueil l’Homme qui tua Roland Barthes (2010). On y apprend que René, leur fils alors adolescent, avait reçu de sa mère la consigne de remettre une somme d’argent à deux hommes dont il ignorait qu’ils étaient les exécutants qu'elle avait recrutés pour ce crime, René Clerc, grand-père de Thomas, vécut avec son épouse et ses enfants durant plusieurs décennies rue Ramey, une artère du quartier Clignancourt, étape au même titre que les autres de ce voyage. L’entreprise, toutefois, ne saurait être autocentrée : « je ne dois pas m'appesantir sur “ma famille”, ce n’est pas le lieu ; j’émaille ce 18e de traces psychogénétiques. »
Cette forme d'observation de cette portion de la « ville-monde » assume pleinement la subjectivité, les improvisations et les moments de désordre qu’ils occasionnent. l’auteur soumet son propre regard à une autocritique empreinte d’auto-dérision. « Alloportrait : il changeait souvent d'avis, à la limite de la versatilité ». Il lui arrive aussi de commenter ses actes et leurs conséquences. Interpellé par une bande de zonards de La Chapelle qui veulent lui prendre son appareil photo (jetable) dont il vient de faire usage, il doit s’enfuir sous leurs insultes : « j’ai envie de tout laisser tomber, moi qui ne suis qu’un œil pour cette misère qui désole. L’éthique du regard, soudain, me paraît sans objet, le partage est trop inégal entre le regardeur et ses sujets. »
Pour parvenir à ses fins, l’auteur multiplie les dispositifs, les jugements architecturaux, souvent sans appel (« AFS : à faire sauter »), les visites chez les commerçants de toutes spécialités, origines et cultures du 18e… Et une pléthore de « performances », qu’il accomplit selon les opportunités offertes et dont il établit une typologie qui relève du jeu autant que d’un souci d'organisation, scandée par leur retour anaphorique. « Performance chien », « performance on boit un verre ? », « Performance j’améliore la rue » … « Performance clochard : à hauteur du croisement de la rue de l'Olive, je donne un euro à Thierry en échange de sa signature dans mon carnet. L'homme, petit métis édenté, intelligent, sympathique, s’exprime très bien, beaucoup mieux que tous Dans le quartier Montmartre-Clignancourt. « Une rue calme, habitée par des habitants », à quelques pas du Sacré-Cœur, les “SDF” que j’ai croisés jusqu’ici. (...) il me dit qu’il a faim. Performance j’aide mon prochain : je lui offre un repas aux bonnes grillades, le restau arabe où je ne suis jamais entré mais où grâce à lui je vais le faire. (...) je comprends vite qu'ils ne sont pas contents de voir un type comme moi avec un type comme lui chez des types comme eux (...). » Il y a en effet une évidente part de jeu (laquelle n’exclut pas celle de la colère à l'égard de ce que font de la ville ceux qui ont le pouvoir de décision) dans la démarche de Thomas Clerc, avec la possibilité qu'elle suscite l'incompréhension, de par le choix de ses coups de sonde comme de celui des mots choisis pour en rendre compte. Une sorte de défi per- manent lancé à lui-même, au déroulement de son entreprise un peu folle et bien sûr au lecteur, destinataire ultime qu’il aime aussi provoquer.
De fait, l'accompagner dans cette tentative d'épuisement de ces lieux parisiens - pour paraphraser Perec, l’une de ses sources d’inspiration - nécessite souffle et endurance. Mais en suivant ce flâneur « au carré », On se surprend à éprouver peu à peu avec lui l'existence matérielle des lieux qu’il nous présente. Les artères qui irriguent le quartier de La Chapelle bordé par le périphérique, perpétuellement greffé et transformé par les opérateurs du BTP (notamment olympique) et en proie à toutes sortes de trafics, deviennent veines puis veinules quand on approche de la butte Montmartre dont le Sacré-Cœur semble longtemps un mirage qui apparaît et disparaît au gré de la progression sinueuse qu'adopte l’auteur pour s’approcher puis s’éloigner d'un cœur finalement introuvable. C'est bien un corps qui prend forme sous nos yeux. Fait de pierre, de béton et de mots, d’histoires anciennes autant qu'actuelles, réactivées ou suscitées par l’écrivain. Où des visages et des silhouettes, brièvement entrevus, sont autant de possibilités de récits qui sont aussi sa chair. Un corps désirable et inquiétant, abimé mais vivant et en constante mutation, dont ce livre peut être vu comme une tentative de saisir un peu de l’énergie vitale.
Les Lettres françaises, Didier Pinaud, septembre 2024
L’arpenteur Thomas Clerc
Dans son Tableau de Paris du dix-huitième siècle, Louis-Sébastien Mercier dit qu’il « écrit avec les jambes » — n’est-ce pas merveilleux ? dit Thomas Clerc qui, lui, nous dresse le tableau du XVIIIe arrondissement de Paris, où il a emménagé rue Marc-Séguin, dans un endroit qu’il y a vingt ans encore on considérait comme « craignos »... et qui l’est sans doute toujours un peu car il qualifie son quartier de « cour des miracles » — où l’on pourrait compter le nombre de « freaks » (mais « hélas je ne suis pas cinéaste, juste un montreur de vues », dit-il). Thomas Clerc dit poursuivre une « quête sans objet », « flâner au carré » et, tel Claude Lévi-Strauss dans son village nambikwara, parle de beauté tropique... Il y a sans doute aussi du rire dans le récit de Thomas Clerc, où il est lui-même comme un nouveau cartographe, peut-être un peu à la manière de Michel Foucault — d’autant que l’on croise le philosophe du côté de la rue Marcadet, dans le quartier Clignancourt, où il avait rencontré pour la première fois Jean-Paul Sartre, nous dit Thomas Clerc — et qui lui aussi nous annonce, qu’il ne tiendra plus compte que des énoncés : moins les propositions et les phrases que les énoncés, comme dans une sorte de diagonale, de point de fuite où s’entrelacent le visible et l’énonçable, selon un certain dispositif... voire une méthode : « je synthétise parfois quelques morceaux d'expérience et d’écriture, j'assaisonne le présent avec le passé frais », dit-il ; ou encore : « il ne faut pas me confondre avec un appareil enregistreur, bien que je puisse avoir des points communs avec une machine »…
« Chaque rue est comme un tableau », répète Thomas Clerc — à l’image de la rue Letort qui va de la porte de Clignancourt à la rue du Poteau, « c’est-à-dire de l'Enfer au Paradis ». Mais en se proposant, quant à lui, de faire le chemin inverse, carnet en main — car, comme Dante le disait lui-même au Purgatoire : « Je suis quelqu’un qui note, / quand Amour me souffle, et comme il dicte / dedans, je vais signifiant. » C'est ce que fait Thomas Clerc tout au long des six cents pages de son récit : il va signifiant — il sait noter (qui est l’art suprême). Il raconte Rimbaud rue Nicolet chez Verlaine. Il passe tremblant devant l’adresse de Dora Bruder, l’héroïne de Patrick Modiano (boulevard Ornano). Il dit qu’en réalité le ghetto n’existe plus : « ni la rue des Rosiers ni Barbès ne se sont enfermés sur eux-mêmes, ils se sont au contraire ouverts, au péril de leur identité ». C’est la ligne du dehors dont parlait Melville, sans début ni fin, ligne océanique — comme pour la rue de Clignancourt, la rue Ramey des grands-parents de Thomas Clerc, la rue Steinkerque, la rue de Suez et son hôtel-foyer intitulé La Fanfarlo, du nom d’une nouvelle de Baudelaire, dont Thomas Clerc cite sans cesse aussi le poème La Vie antérieure, l’air de rien, mais où l’on est quand même moins dans le poème de Baudelaire que dans un film de John Carpenter ou de science-fiction apocalyptique, au milieu duquel Thomas Clerc égrène ce qu’il appelle ses Performances — comme par exemple de monter sur un talus, porte d’Aubervilliers, et de se retrouver à hauteur des automobilistes à qui il sourit « en prenant des poses, les saluant, adoptant de façon outrée l’air inquiet ou joueur, désespéré ou grotesque, d'un mannequin ou d’un prisonnier regardant les hommes piégés dans leur caisse, que j'aurai divertis quelques instants », dit-il — et qui dit aussi aider son prochain, comme quand il propose d’aider une touriste argentine qui cherche la rue des Poissonniers et qui s’est engagée dans une bien mauvaise direction que lui à soumise son Google Maps…
Au 12 de la rue Yvonne-Le-Tac est né le peintre pompier Henri Gervex, que Thomas Clerc dit signaler parce qu’il n’y a pas que de bons ou de mauvais peintres à Montmartre : « il y a aussi des peintres à succès », dit-il ; et c’est en regardant sa toile Rolla (au musée des Beaux-Arts de Bordeaux) que Thomas Clerc dit avoir compris la différence entre l’art pour l’art et l’art pour se caresser... (Ajoutons que quand Gervex avait fait son Rolla, Degas était venu le voir et lui avait dit : « Il faut qu’on comprenne que ta femme n’est pas un modèle. Où est la robe qu’elle a quittée ? Mets donc un corset par terre ! » La toile avait été refusée pour inconvenance : « Tu vois, lui avait dit Degas, on a compris que c’est une femme qui se déshabille. ») Dans Paris, musée du XXIe siècle Le dix-huitième arrondissement, Thomas Clerc dit soudain qu’il s’intéresse très peu aux drogues : « Je m'intéresse beaucoup plus au sexe. » …
Diacritik, Christian Rosset, 11 septembre 2024
Toujours aux Éditions de Minuit, Paris, Musée du XXIe siècle, le Dix-huitième arrondissement de Thomas Clerc est un formidable pavé de 600 pages qui, dans chacune de ses cinq parties – la quatrième se présentant en quatre sections et la cinquième en cinq –, n’opère aucun saut à la ligne, ce qui lui donne une densité remarquable, que la lecture ne cesse de vérifier. C’est un des seuls livres « de la rentrée » qui ne se prétend pas « roman » (on l’en remercie). Je l’ai lu en grande partie – par petites doses pour éviter l’épuisement du lecteur – au cours de ma virée estivale. Aujourd’hui, 6 septembre, je n’en suis pas encore venu à bout, ce qui ne signifie nullement que je n’y arriverai pas un jour ou l’autre.
De Thomas Clerc, je n’ai pas encore ouvert les ouvrages publiés à L’Arbalète / Gallimard. Il est vrai qu’en ce qui concerne L’Arbalète, j’en suis resté à ses années de fondation par Marc Barbezat : la superbe revue des années 1940, les débuts de Jean Genet ou d’Olivier Larronde – Les Barricades mystérieuses, 1946 –, trouvées chez un bouquiniste du Val André qui a hélas tiré rideau l’an dernier. Je constate qu’après Sylvain Prudhomme, il est le deuxième auteur de L’Arbalète / Gallimard à passer chez Minuit. De Clerc, j’ai cependant lu Hôtel Primavera (2023) en collaboration avec Jochen Gerner. Curieusement, bien que ma lecture de Paris, Musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement soit toujours en cours, je n’ai qu’une hâte : découvrir Paris, Musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement (2007), non pour rattraper un quelconque retard, mais parce qu’il est bien agréable d’avoir à portée de main plusieurs livres dont on peut lire au hasard quelques pages.
Après en avoir recommandé la lecture, j’aimerais insister sur ce qui, selon moi, devrait faire office de méthode : ne jamais aller jusqu’à saturation, marquer des pauses, laisse reposer le texte, le reprendre, dans la continuité (histoire de ne rien manquer) ou non ; ou encore en utilisant l’index des voies en fin de parcours. Méthode est d’ailleurs une des Bornes répertoriées à la fin du livre. Par exemple : « Méthode : mon œil est pris par toutes les lianes de cette forêt de signes, de gens, de choses ; par devers-moi, je pense que le nombre de faits que j’oublie est cent mille fois plus grand que ceux que je consigne comme une pauvre caméra de surveillance humaine. » Mais le regard caméra ne conduit pas toujours l’écriture ; il y a aussi les petites pensées, les souvenirs, et tout ce qui échappe au cadre ; car la « surveillance » – de la bonne tenue du texte, de l’effet d’entraînement qu’il produit, de ce qu’il invente à force de se frotter à ce qui se présente – est toujours humaine, c’est-à-dire faillible, même si en recherche d’exactitude. L’auteur se dépeint aussi bien à l’écoute, débordant d’empathie, qu’ironique, voire fuyant ; et ce qu’il note est aussi bien personnel, à la limite parfois de l’impudeur, qu’en recherche de neutralité, visant l’impersonnel.
On l’aura deviné, le projet de Thomas Clerc est d’épuiser un lieu, en l’occurrence ce dix-huitième arrondissement de Paris que pour ma part je connais bien, ayant passé mon enfance et mon adolescence à la lisière, du côté des Batignolles dans le dix-septième arrondissement, plus attiré par le nord et l’est de Paris (un de mes plus vieux amis habitait non loin du boulevard de La Chapelle ; du coup, j’ai souvent traversé le dix-huitième à pied pour le retrouver) que par les quartiers bourgeois au sud et à l’ouest. Une fois adulte, je me suis installé assez loin de mon quartier d’enfance, dans le vingtième arrondissement, avant de me décider à quitter Paris, sans pour autant m’en éloigner de plus de six kilomètres, et m’y rendant assez souvent, ne serait-ce que pour flâner. L’auteur et moi avons en commun d’être parisiens de naissance ; mais lui reste fidèle (reprise du thème), ce qui me semble étrange (vu ce que devient la ville) – et plutôt intéressant (le lisant, je vais aux nouvelles).
Donc l’épuisement d’un lieu – à la manière de Perec ? Oui et non. Les décalages (reprise du thème – bis) sont chez lui plus marqués. Il se montre assez souvent, au contraire de son célèbre aîné (c’est du moins l’image que j’ai gardée de lui dans le souvenir), en dandy, paradoxalement un peu « provincial ». Mais il faudra probablement vingt tomes – et plus de trois cents ans si leur l’écriture puis leur publication demande à chaque fois dix-sept ans de travail – pour que nous soit entièrement dévoilé le patrimoine génétique, émotionnel, intellectuel, sexuel – tant les joies que les peurs (il semble avoir une appétence du danger et un sens de la survie) – de celui qui, en virtuose du montage, ne cesse de noter dans ses carnets ce à quoi il se frotte. Grand art de la dissimulation, requérant de nombreuses mises à jour du logiciel approprié qui permet, paradoxalement, diverses formes d’identification. Je retrouve certaines adresses, comme celle d’une d’amie poète et danseuse dont le nom est écrit en toutes lettres ; ou me retrouve rue Berthe, le seul endroit où, après avoir quitté la capitale, j’ai passé une nuit dans un appartement, au premier étage du 24. « Montmartre du crime : au 33, un pharmacien s’est défenestré en 1912, l’année où mon arrière-grand-mère a fait assassiner son mari Auguste Clerc non avec du poison mais avec un révolver. Montmartre du plaisir : au 55 a vécu Piéral, le nain du cinéma français. Ses mémoires, Vu d’en bas, sont intéressants, notamment les passages où il se fait le sex-toy de certains et certaines. Esthétique matérielle : le 32, le 30 et le 34 sont pourvus d’interphones ; les 41, 43 et 26 de codes ; le code l’a emporté sur l’interphone parce que les chiffres l’ont emporté sur les lettres, mais aussi parce que l’homme d’aujourd’hui tient à son anonymat – une poétique de l’interphone pourrait faire un livre presque muet. » Au milieu des années 1990, le code pour entrer 24 rue Berthe était 83A57 (ce sera mon unique contribution à cet ouvrage d’encyclopédiste chevronné qui est aussi une « performance » – on en relève de nombreuses et de toutes sortes dans Bornes, dont : Performance attente, Performance chien, Performance clochard, Performance j’abats un hélicoptère, Performance j’aide mon prochain, Performance j’améliore la rue…). Pour l’ignorant que je suis, une vraie découverte ; et pour les aficionados, de belles retrouvailles.
En attendant Nadeau, 10 septembre 2024
Lorsqu’il a publié Paris, musée du XXIe siècle. Le Xe arrondissement, en 2007 (Gallimard), rien ne laissait présager que Thomas Clerc allait renouveler, dix-sept ans plus tard, son projet d’inventaire urbain. Il a fallu pour cela que l’écrivain déménage un peu plus au nord et qu’un confinement le pousse à s’approprier par la marche son nouveau quartier, dans le XVIIIe. Le récit de la ville qu’il tire de ses déambulations produit une émotion esthétique parmi les plus rares en littérature – et même un événement en cette rentrée littéraire. À quoi tient l’intense jubilation qu’il nous fait éprouver ?
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Le nouveau livre de Thomas Clerc, virtuose, touffu, passionnant, déborde les genres et les cadres de la littérature habituelle. Son « documentaire subjectif » dans le XVIIIe arrondissement de Paris nous emporte dans un flux descriptif enthousiasmant qui englobe le réel et sa personnalité dans un élan de lecture extrêmement rare. Avec une grande ambition et un humour inimitable, il prend le risque d’inventer des formes, des modalités d’écriture, des façons d’agir dans le livre. Il nous parle de ce projet ambitieux et nous entraîne dans ses innombrables ramifications.
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France Culture, Les Midis de Culture, 10 septembre 2024
Les deux critiques ont été absorbés par le livre, avec une grande joie.
Lucile Commeaux nous parle d'un "gros livre réjouissant d'anti-géographie, un livre performance". Le point de vue "à la fois extérieur et intérieur de l'observateur de la ville" lui rappelle "les Petits Poèmes en prose" de Charles Baudelaire (1869).
Johan Faerber acquiesce. Il décrit l'ouvrage comme "ludique, fin et jouissif", un "pavé d'une grande fluidité qui l’a totalement transporté". Pour le critique, l'auteur se positionne aussi comme "un archéologue des désastres du néo-libéralisme", et aucun détail n'est laissé au hasard.
Les deux critiques s'accordent : Thomas Clerc est un "original au sens littéraire". Il signe là un grand livre monde, intelligent et plein d'humour.
AOC, Cécile Dutheil de la Rochère, 9 septembre 2024
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Le Monde, Tiphaine Samoyault, 6 septembre 2024
Sérendipité à Paris
Il y a beaucoup de références derrière le projet de Thomas Clerc d'épuiser les arrondissements de Paris en les écumant rue par rue, zone par zone : Perec bien sûr, Aragon, Baudelaire, Breton... Mais c’est surtout au cinéma qu’on pense, à un film de Chantal Akerman, composé de longs et très lents travelings qui avalent une rue, ses détails, les personnes qui la traversent, s'y arrêtent ou y vivent. Après le 10e, où il a vécu quinze ans (Paris, musée du XXIe siècle. Le 10e arrondissement, Gallimard, 2007), c'est le 18e qu'il choisit d'arpenter. Alors que dans le premier volume, il tapait contre les immeubles des années 1970, souvent affublés du sigle AFS (à faire sauter), il s'installe cette fois (« J’avais changé d'avis ») dans une résidence construite en 1972, au 14-16 de la rue Marc-Séguin, près du métro Marx-Dormoy. La rue Philippe-de-Girard, qui relie le 18e et le 10e en sillonnant l’un et l'autre, fait aussi le pont entre les deux livres, « c’est la seule qui fasse le lien entre ces deux mondes ».
Dans Paris, capitale du XIXe siècle (Cerf, 1989), autre référence à laquelle Thomas Clerc rend hommage dans son titre, Walter Benjamin (1892-1940) distingue deux figures du quadrillage des villes modernes : le flâneur, nez au vent, randonnant dans la ville comme dans la nature, et le collectionneur, le chiffonnier, scrutant le sol à la recherche de trouvailles parmi les rebuts. Leur marche les distingue : l’une est vague, rhapsodique, impulsive, l’autre est méthodique et compulsive. Thomas Clerc combine les deux : comme le flâneur, il déambule dans son quartier, va à la dérive, confiant dans le hasard objectif (auquel il donne le nom contemporain de « sérendipité »), ouvert à la rencontre, à la surprise et à la rêverie ; comme le collectionneur, il accumule avec méthode détails et trouvailles : prospectus, graffitis, conversations téléphoniques, chansons, cris, dialogues ordinaires, provocations, affiches, objets perdus. Les puces de Saint-Ouen sont à la limite nord de son secteur et il ne s'y rend pas (dans le livre), mais on apprend qu'il s'y fournit régulièrement en mobilier et en vêtements.
Le 18e arrondissement est beaucoup plus grand que le 10e – il compte 425 rues, places, avenues ou squares, alors que son voisin, plus central, n'en a que 155 – il est beaucoup plus peuplé également, donc le livre est ici beaucoup plus gros (600 pages, contre 260 pour le précédent). Thomas Clerc a le sens des proportions. A quoi tient qu'on ne s'ennuie jamais en lisant ces descriptions hyperdétaillées de lieux ordinaires et de situations banales ? Sans doute au fait que l'écrivain a aussi le sens des disproportions. L’attention maniaque à tout a un pouvoir quasi hypnotique. On se laisse absorber par la description sans pouvoir en sauter une ligne car, si la ville est démesurément approfondie, grossie, elle l'est avec une méticulosité qui tient de la miniature. Chaque détail est un feuilleté de temps et de langage, prétexte à jeux de mots, souvenirs personnels, histoires partagées.
Les promenades documentaires partent du quartier de La Chapelle, où Thomas Clerc réside, et quadrillent méthodiquement les trois autres zones administratives de l'arrondissement : la Goutte-d'Or, Clignancourt et les Grandes-Carrières, la plus à l'ouest. On croise beaucoup d'immeubles qui postulent pour l’« IPPP » (l'« immeuble le plus pourri de Paris »), mais il y a aussi des « BAC » (« belle architecture contemporaine ») et des monuments historiques : par exemple la cité Véron, où vécurent Boris Vian et Jacques Prévert, mais surtout Montmartre, dont quantité de rues de l'arrondissement donnent des « visions dodécaphoniques », faisant apparaître le Sacré-Cœur sous les angles les plus variés. Le choix du 18e donne une couleur singulière au projet de « musée » contenu dans le titre : le quartier contient certes l'un des monuments les plus visités de la capitale, mais il est aussi un quartier populaire, bruyant, ouvert à tous les trafics, faisant coexister sans hiérarchie plusieurs réalités, d’une beauté trouée bien peu emblématique. Paris y est plus jeune, et moins qu'ailleurs écrasée par son passé. « Mais quand est-ce qu'on comprendra que les “espaces ingrats” sont justement les plus beaux de Paris ? »
Paris ne s'est pas bâtie en un jour et un livre comme celui-ci non plus. L’exploration prend du temps, que l'on mesure à la lecture par les indices temporels donnés par le confinement et ses conséquences sur les restos et enseignes, et, à l'autre extrême, par la proximité des Jeux olympiques. La restitution est une composition complexe, qui emprunte au cinéma, à la peinture et à la musique pour y puiser son dynamisme : si la marche déroule un protocole, l'écriture aussi, fournissant des « bornes », des refrains, des gestes, des performances animant le livre. Surtout, la description n'est jamais neutre, ce qui lui confère paradoxalement une portée générale. Elle est habitée par un sujet, narcissique jusqu'au fantastique, qui fait de sa déambulation un autoportrait disséminé, multipliant les angles et les plans ; un autoportrait matérialiste et comique, celui d'un flâneur dandy qui se serait égaré dans la ville et dans la vie comme sur le plateau d'un film de Jacques Tati.
France Culture, Les Midis de la Culture, 29 août 2024
Rentrée littéraire : France Culture et le Nouvel Obs dévoilent leur sélection !
Paris, musée du XXIe siècle : le dix-huitième arrondissement de Thomas Clerc
Après le Xe arrondissement, cet écrivain-voyageur d’un genre particulier arpente de fond en comble son nouveau quartier, le XVIIIe arrondissement de Paris. De cette tentative d’épuisement d’un lieu parisien, il tire un livre-monde passionnant.
Selon Elisabeth Philippe : "C'est "l'ovni de cette rentrée littéraire". Son auteur arpente les 425 rues du XVIIIe arrondissement de Paris et "on prend un plaisir extraordinaire à suivre Thomas Clerc dans ses promenades folles." Que l'on ne craigne pas le règne de la référence ne parlant qu'à celles et ceux qui déambulent dans la même ville que l'auteur ; ce livre est un "livre-monde", qui nous fait voir la ville - toutes les villes - autrement.
Les Inrocks, septembre 2024
Après avoir arpenté les rues du Xe arrondissement (Paris, musée du XXIe siècle – Le dixième arrondissement, 2007), tourné en rond dans son appartement (Intérieur, 2013), être descendu dans sa Cave (2021), Thomas Clerc prolonge une œuvre qui tente d’épuiser des lieux parisiens. Avec ce nouveau texte, il s’attache désormais au XVIIIe, où il s’est installé après avoir quitté le Xe. Autre espace parisien, même esprit flâneur, dans un geste littéraire fou qui flirte autant avec George Perec que Walter Benjamin, mais aussi avec des auteurs conceptuels, plus contemporains, comme son ami, feu Édouard Levé.
Télérama, Nathalie Crom, 29 août 2024
Thomas Clerc arpente un nouvel arrondissement, et signe un livre-monde monumental, pétri d’ironie.
Dix-sept ans après le 10e arrondissement, l'auteur tente d'épuiser un autre lieu parisien. Le résultat est profus, hyperréaliste et non dénué d'humour.
Il y a une certaine évidence à voir ce Paris, musée du XXIe siècle paraître dans la maison d’édition Minuit, au catalogue de laquelle est inscrit le mythique Dictionnaire historique des rues de Paris, de l’historien Jacques Hillairet – que Thomas Clerc mentionne d’ailleurs dès les premières pages de son opus. En 2007, alors qu’il publiait Paris, musée du XXI siècle. Le dixième arrondissement, l’écrivain évoquait tout ensemble l’ampleur de son projet – consacrer à chaque arrondissement de la capitale une exploration dont l’exposé, d’une précision maniaque, rappelle la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1975) à laquelle s’est livré Georges Perec place Saint-Sulpice – et son échec annoncé. De fait, dix-sept ans se sont écoulés entre les deux volumes, mais peu importe : même si celui-ci devait être le dernier, il constitue, à lui seul, un livre-monde, un livre monstre, un monument tout sauf solennel, aussi impossible à résumer qu’à épuiser.
La déambulation méthodique de Thomas Clerc dans les rues du 18e arrondissement n’a pas vocation à composer un guide touristique – encore que... Non plus qu’à convoquer la mélancolie dont se parent habituellement, génération après génération, les piétons de Paris scrutant l’évanescence de toutes choses dans les métamorphoses du paysage urbain. Résolument ancrée dans le contemporain, la marche de l'auteur ouvre les vannes à une vigoureuse matière textuelle, hétérogène, proliférante, hyperréaliste, volontiers teintée d’ironie. Un Niagara, aussi intarissable que parfaitement ordonné, d’annotations topographiques, de descriptions minutieuses (façades, vitrines, linge qui pend, chiens qui passent...), de bribes de conversations entendues, de réminiscences personnelles nullement sublimées (un exemple au hasard : dans une boutique sise 10, rue Jean-Robert, il fit refaire un jour « l’élastique de [son] pantalon de badminton noir »). De rubriques plus ou moins récurrentes, aussi, telles que « Poème de site » (des haïkus urbains), « Air de Paris », « Sérendipité » ou « Franchissement de seuil » ; mais aussi « Politique de la ville », « Dégât visible du libéralisme » ou « Mystère social » – des catégories qui donnent une ferme connotation politique à cette fresque incomparable.
Libération, Frédérique Roussel, 24 août 2024