Georges Bataille
L’Érotisme
1957
Collection Arguments , 312 pages, 20 hors-texte
ISBN : 9782707302533
19.25 €
Les êtres qui se reproduisent, les êtres reproduits, sont des êtres distincts entre eux, séparés par un abîme, une fascinante discontinuité. Mais, individus mourant isolément dans une aventure inintelligible, nous gardons la nostalgie de la continuité perdue. L’activité sexuelle de reproduction, dont l’érotisme est une des formes humaines, nous la fait retrouver ; au moment où les cellules reproductrices s’unissent, une continuité s’établit entre elles pour former un nouvel être à partir de leur mort.
C’est aussi par la mort, la mort violente, que cet effort de libération s’est manifesté dès l’origine des activités de l’homme. Mais le désir de meurtre met en cause toute l’organisation de communautés fondées sur le travail et la raison. D’où la naissance d’interdits, à quoi s’oppose, ou plutôt s’ajoute, en un dépassement nécessaire, leur propre transgression. Guerre et chasse rejoignent ici l’inceste ou l’orgie sacrée...
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Avant-propos – Introduction
Première partie : L’interdit et la transgression.
Chapitre I. L’érotisme dans l’expérience intérieure – Chapitre II. L’interdit lié à la mort – Chapitre III. L’interdit lié à la reproduction – Chapitre IV. L’affinité de la reproduction et de mort – Chapitre V. La transgression – Chapitre VI. Le meurtre, la chasse et la guerre – Chapitre VII. Le meurtre et le sacrifice – Chapitre VIII. Du sacrifice religieux à l’érotisme – Chapitre IX. La pléthore sexuelle et la mort – Chapitre X. La transgression dans le mariage dans l’orgie – Chapitre XI. Le christianisme – Chapitre XII. L’objet du désir : la prostitution – Chapitre XIII. La beauté
Deuxième partie : Études diverses sur l’érotisme.
Étude I. Kinsey, la pègre et le travail – Étude II. L’homme souverain de Sade – Étude III. Sade et l’homme normal – Étude IV. L’énigme de l’inceste –Étude V. Mystique et sensualité – Étude VI. La sainteté, l’érotisme et la solitude –Étude VII. Préface de Madame Edwarda.
Conclusion
‑‑‑‑‑ Avant-propos ‑‑‑‑‑
L’esprit humain est exposé aux plus surprenantes injonctions. Sans cesse, il a peur de lui-même. Ses mouvements érotiques le terrifient. La sainte se détourne avec effroi du voluptueux : elle ignore l’unité des passions inavouables de ce dernier et des siennes propres.
Cependant il est possible de chercher la cohésion de l’esprit humain, dont les possibilités s’étendent de la sainte au voluptueux.
Je me place en un tel point de vue que j’aperçois ces possibilités opposées se coordonnant. Je ne tente pas de les réduire les unes aux autres, mais je m’efforce de saisir, au delà de chaque possibilité négatrice de l’autre, une ultime possibilité de convergence.
Je ne pense pas que l’homme ait une chance de faire un peu de lumière avant de dominer ce qui l’effraye. Non qu’il doive espérer un monde où il n’y aurait plus de raison d’effroi, où l’érotisme et la mort se trouveraient sur le plan des enchaînements d’une mécanique. Mais l’homme peut surmonter ce qui l’effraie, il peut le regarder en face.
Il échappe à ce prix à l’étrange méconnaissance de lui-même qui l’a jusqu’ici défini.
Je ne fais d’ailleurs que suivre une voie où d’autres avant moi se sont avancés.
Bien avant l’ouvrage qu’aujourd’hui je publie, l’érotisme avait cessé d’être envisagé comme un sujet dont un homme sérieux n’aurait pu traiter sans déchoir.
Depuis longtemps ; les hommes parlent sans crainte, et longuement, de l’érotisme. Aussi bien ce dont je parle à mon tour est connu. Je n’ai voulu que rechercher dans la diversité des faits décrits la cohésion. J’ai tenté de donner d’un ensemble de conduites un tableau cohérent.
Cette recherche d’un ensemble cohérent oppose mon effort à ceux de la science. La science étudie une question séparée. Elle accumule les travaux spécialisés. Je crois que l’érotisme a pour les hommes un sens que la démarche scientifique ne peut atteindre. L’érotisme ne peut être envisagé que si, l’envisageant, c’est l’homme qui est envisagé. En particulier, il ne peut être envisagé indépendamment de l’histoire du travail, il ne peut être envisagé indépendamment de l’histoire des religions.
Aussi bien les chapitres de ce livre s’éloignent-ils souvent de la réalité sexuelle. J’ai négligé d’autre part des questions qui parfois ne sembleront pas moins importantes que celles dont j’ai parlé.
J’ai tout sacrifié à la recherche d’un point de vue d’où ressorte l’unité de l’esprit humain.
Cet ouvrage se compose de deux parties. Dans la première j’ai systématiquement exposé, dans leur cohésion, les différents aspects de la vie humaine envisagée sous l’angle de l’érotisme.
J’ai réuni dans la seconde des études indépendantes où j’ai abordé la même question : L’unité de l’ensemble est indéniable. C’est, dans les deux parties, de la même recherche qu’il s’agit. Les chapitres de la première partie et les diverses études indépendantes ont été poursuivis en même temps, entre la guerre et l’année présente. Mais cette manière de procéder a ce défaut. Je n’ai pu éviter les redites. En particulier, j’ai parfois repris sous une autre forme, dans la première, des thèmes traités dans la seconde partie. Cette façon de faire m’a paru d’autant moins gênante qu’elle répond à l’aspect général de l’ouvrage. Une question séparée dans cet ouvrage englobe toujours la question tout entière. En un sens, ce livre se réduit à la vue d’ensemble de la vie humaine, sans cesse reprise à partir d’un point de vue différent.
Les yeux fixés sur une telle vue d’ensemble, rien ne m’a plus attaché que la possibilité de retrouver dans une perspective générale l’image dont mon adolescence fut obsédée, celle de Dieu. Certes je ne reviens pas à la foi de ma jeunesse. Mais dans ce monde abandonné que nous hantons, la passion humaine n’a qu’un objet. Les voies par lesquelles nous l’abordons varient. Cet objet a les aspects les plus variés, mais de ces aspects, nous ne pénétrons le sens qu’en apercevant leur cohésion profonde.
J’insiste sur le fait que, dans cet ouvrage, les élans de la religion chrétienne et ceux de la vie érotique apparaissent dans leur unité.
Georges Bataille