Edgar Zilsel
Le Génie
Histoire d’une notion de l’Antiquité à la Renaissance
Traduit de l’allemand par Michel Thévenaz
Préface de Nathalie Heinich
1993
Collection Paradoxes , 304 pages
ISBN : 9782707314611
28.60 €
La notion de “ génie ” est loin d’avoir toujours eu, dans la culture occidentale, le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Comment se déplaça-t-elle de la physiologie à la psychologie, de l’expérience commune aux capacités les plus singulières, de la religion à la poésie et aux arts de l’image ? Comment les valeurs attribuées aux grands hommes évoluèrent-elles de l’Antiquité à l’époque moderne, investissant tour à tour les formes de l’héroïsme, de la sainteté ou du talent artistique ? C’est cette dimension fondamentale et cependant guère étudiée de l’histoire des idées, qu’explore le présent ouvrage, aussi original par l’étendue de son érudition que par la qualité de sa problématique.
Publié en 1926, Die Entstehung des Geniebegriffes fut l’une des principales œuvres d’Edgar Zilsel, historien des sciences et de la culture, membre du cercle de Vienne, dont la carrière intellectuelle, d’abord entravée par son investissement dans l’Université populaire viennoise, puis cassée par le nazisme et l’exil forcé aux États-Unis, s’acheva prématurément par son suicide à la fin de la guerre. Aussi cette première traduction en français ne devrait-elle pas seulement apporter une contribution majeure à un problème fondamental pour les sciences sociales : elle se veut aussi une justice à rendre à un chercheur que l’histoire n’a pas laissé devenir le grand auteur qu’il promettait d’être.
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Préface de Nathalie Heinich – Avant propos – Introduction : La problématique
Première partie : Les origines antiques de la notion de génie
1. Le genius – 2. Le daimonion de Socrate – 3. L’enthousiasme – 4. La sécularisation du poète – 5. L’artiste et l’artisan – 6. L’ascension sociale de l’artiste – 7. Synthèse – 8. Longin – 9. Le talent inné – 10. Le culte des héros – 11. La gloire et les glorificateurs – 12. Les philosophes et la gloire – 13. Chronologie de la gloire – 14. Personnalités idéales. Le philistin – 15. Le présent et la postérité – 16. Aréopages de célébrités dans l’au-delà – 17. La parenté des célébrités – 18. Recueils biographiques – 19. Le culte syncrétique des héros – 20. La jeunesse de l’individualisme – 21. La décadence de l’histoire – 22. Synthèse et tentative d’explication
Deuxième partie : La Renaissance
Chapitre I : L’idéal de la gloire. 1. Les glorificateurs – 2. Le statut social des lettrés – 3. L’humilité et la gloire – 4. L’absence d’idéaux culturels objectifs – 5. Les origines de la gloria – 6. Les inventeurs – 7. Les explorateurs – 8. Synthèse – 9. L’ascension sociale de l’artiste – 10. Le Paragone – 11. La gloire et la personnalité de l’artiste – 12. L’artiste et l’œuvre
Chapitre II : la parenté des grands hommes, le présent et la postérité. 1. Les recueils biographiques – 2. Les recueils patriotiques – 3. Les recueils généraux – 4. Biographies de groupes – 5. Synthèse et loi de développement – 6. Cénacles de célébrités dans l’au-delà – 7. Le présent et la postérité chez Pétrarque – 8. Le mépris de la foule – 9. L’exception des grands hommes – 10. Essai d’explication – 11. Les intrigues jalouses – 12. Tendances au culte du martyr – 13. Pierio Valeriano et ses successeurs – 14. Synthèse et essai d’explication
Chapitre III : Imitation, ingenium et genius . 1. L’ imitation au début de la Renaissance – 2. La dispute sur l’imitation de Cicéron – 3. La dispute à propos de Platon – 4. L’imitation à l’apogée de la Renaissance – 5. L’originalité dans les traités baroques et chez Telesio – 6. L’Arétin et l’originalité – 7. L’imitation et l’originalité chez les artistes – 8. Synthèse – 9. La diversité humaine et l’individualité – 10. L’ ingenium et le dilettante – 11. Le philistin – 12. L’idéal courtisan – 13. L’ uomo universale – 14. Les traits rationnels de l’ ingenium – 15. Les traits irrationnels de l’ ingenium – 16. L’enthousiasme – 17. L’ ingenium divin – 18. Héros antiques et créateurs – 19. Le genius chez Scaliger – 20. Le genius avant Scaliger – 21. Les origines du genius moderne – 22. La période de formation – 23. L’évolution ultérieure
Conclusion : La science de l’histoire et la notion de génie. 1. Déclin et renouveau – 2. L’ éveil du sens de l’histoire – 3. La décomposition de l’humanisme – 4. La Renaissance et les deux couches sociales – 5. La fin de la Renaissance – 6. La notion de génie dans l’histoire – 7. Les lois de l’histoire – 8. Les lois de la notion de génie
Bibliographie – Index
‑‑‑‑‑ Extrait de la préface de Nathalie Heinich ‑‑‑‑‑
Edgar Zilsel naquit à Vienne, dans une famille juive et d’un père avocat, le 11août 1891 : soit un an avant Panofsky à Hanovre, six ans avant Elias à Breslau, dix ans avant Wittkover à Berlin : et, dans le contexte autrichien, deux générations après Freud et Riegl, une génération après Schlosser, Kraus et Herzl, dix ans après Musil, deux ans après Wittgenstein, quelques années avant Kris, moins d’une génération avant Gombrich. Après une éducation très religieuse, il fit de 1910 à 1916 des études de mathématiques, de physique et de philosophie. Avec Otto Neurath, il participa à l’aile gauche du cercle de Vienne ; et, bien qu’il pût prétendre à une carrière universitaire, ses convictions politiques le poussèrent à s’engager dans l’Université populaire. Membre du comité de direction de l’association Ernst Mach et collaborateur des journaux Der Kampf et Arbeiterzeitung, il fit paraître des articles philosophiques, qu’il signa après 1933 sous le pseudonyme de Rudolf Richter, ainsi que des contributions sur la théorie de la science publiées dans la revue Erkenntnis, l’organe du cercle de Vienne. En 1934, au moment du putsch Dollfuss, il perdit son poste à l’Université populaire après une courte détention, et devint professeur de lycée. En 1938, il dut s’exiler avec sa femme et son fils en Angleterre, puis en 1939 aux États-Unis. En septembre de la même année, il prit part à Harvard au 5th Congress for the Unity of Science, dans la section Science et société , avec une communication sur The Social Roots of Science , puis obtint des aides de la Rockefeller Foundation, du Committee for Aid for Displaced Scholars, du Social Research Council de New York, et de l’American Philosophical Society de Philadelphie. Mais sa position marginale dans l’Université ne fut sans doute pas pour rien dans sa difficulté à trouver un poste lui permettant de continuer ses recherches : il fut malgré tout contraint d’enseigner à nouveau dans le secondaire, d’abord au Hunter College de la City University of New York, puis au Mills College d’Oakland en Californie. C’est là qu’il mit fin à ses jours, le 11 mars 1944. Si les motifs de ce suicide demeurent obscurs, il est difficile de ne pas faire le lien avec le conflit entre les exigences du travail alimentaire et l’aspiration à la recherche. Sa dernière missive, publiée dans le San Francisco Chronicle le 12 mars 1944, ne nous en dit guère plus, mais nous laisse par contre entrevoir un peu mieux sa personnalité : Pas d’histoires, s’il vous plaît ! (No fuss please !). P.S. : Si le concierge trouve mon corps, il peut garder ce billet de 10 dollars à titre de compensation pour le choc.