Yan Gauchard
Le Cas Annunziato
2016
128 p.
ISBN : 9782707329271
12.00 €
20 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
Un homme, Fabrizio Annunziato, se retrouve accidentellement enfermé dans le musée national San Marco, à Florence. Annunziato ne cille pas, n’appelle pas à l’aide. Il épie à la fenêtre et avance des travaux de traduction. Jusqu’à sa découverte qui va faire grand bruit en Italie.
ISBN
PDF : 9782707329301
ePub : 9782707329295
Prix : 8.99 €
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Damien Aubel, Transfuge, janvier 2016
Avec Le Cas Annunziato, Yan Gauchard signe un premier roman digne des meilleures comédies italiennes
Ce pourrait être un scénario exhumé d’un tiroir de De Sica, Risi ou n’importe lequel des blasphémateurs drolatiques des heures de gloire de la comédie transalpine. Irrévérence à la limite du sacrilège, mais tempérée d’un filet de mélancolie, art consommé du marionnettiste burlesque qui tire les ficelles de seconds rôles fantoches, ébullition rageuse du politique… Sans compter la pointe acide de la satire, les tiraillements ponctuels de la libido. Bref, Yan Gauchard adhère aux très reconnaissables canons de l’estampille Minuit (quadrillage spatial scrupuleux d’un récit, douce dinguerie des personnages, réflexivité de l’écriture) mais les bouscule, les régénère avec un (mauvais) esprit très italien.
Le héros de ce premier roman appartient à la cohorte des innombrables héritiers putatifs de Bartleby, qui savent se contenter d’une vie réduite a minima. Traducteur de son état, il échoue, à l’issue d’une practical joke qui a pris une ampleur inattendue, dans une des cellules du musée San Marco à Florence, où il restera enfermé dix jours. Pas n’importe quelle cellule, mais celle du Bienheureux de la palette, du maître des bleus et des roses, Fra Angelico. Lequel, on s’en souvient, est le maître d’œuvre d’une somptueuse Annonciation et, tiens donc, il se trouve que notre héros est affublé du nom malicieusement prédestiné de Fabrizio Annunziato. Notre Abrizio se trouve fort bien de son sort, et entreprend même de communiquer, via gestes puis portable, avec la jolie voisine de la maison d’en face. Comme un autre Fabrice (del Dongo) avec Clélia dans la tour Farnèse… Le Cas Annunziato, c’est d’abord ça : un condensé d’imaginaire culturel italien, qui va du clin d’œil à la stendhalienne Chartreuse aux moines-peintres géniaux, des rêves de galanteries casanoviennes de Fabrizio à la logique de la surenchère chère à la commedia dell’arte ou au carnaval. Annunziato étant en proie à un « staccato fulgurant d’emmerdements » une fois sorti de sa prison consentie.
Commissariats, interrogatoire, cellule qui maintenant n’a plus rien de monastique ou d’involontairement carcéral : Fabrizio tombe aux mains du lieutenant-colonel Tito Santanelli, qui cuisine ce drôle de passager clandestin de la vénérable institution muséale florentine. On est en 2002, et pendant que notre traducteur goûtait les joies de la réclusion à San Marco, l’Italie grondait, se répandait dans les rues contre le Cavaliere. D’un mécontentement l’autre : les manifs du début du XXIe siècle traînent derrière elles l’ombre de l’activisme des années de plomb, des Brigades rouges, de l’assassinat d’Aldo Moro. Et Annunziato, un peu comme un traducteur vit dans un monde intermédiaire entre deux langues, ou comme Gabriel fait le go-between entre Marie et le Saint-Esprit, se retrouve à la croisée des deux poussées de fièvre. On ne dira pas comment, ni à la suite de quelles circonstances, Yan Gauchard s’amusant manifestement beaucoup, et nous avec, dans ce récit à double ou triple fond. On se contentera de relever que l’Italie n’est plus celle des musées et des monastères, mais celle de l’insurrection. Plus celle de l’imaginaire, des arts ou des rêveries, mais celle de l’action. Annonciation rime bien avec Révolution.
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Clément Ghys, Libération, 18 février 2016
En visite dans un musée florentin, un homme se retrouve enfermé dans la cellule d’un célèbre moine peintre. Un premier roman drôle et séduisant de Yan Gauchard.
Se retrouver enfermé, ce n’est jamais très drôle. Au début, on peut réagir avec amusement, patience et pourquoi pas détachement. Mais au bout d’un moment, l’ennui et la peur arrivent. Quand, ce jour de mars 2002, Fabrizio Annunziato, traducteur italien vivant à Paris, se retrouve séquestré par mégarde à cause d’une gardienne, pas très professionnelle du coup, dans une cellule du Museo nazionale di San Marco, à Florence, cela ne le dérange pas. D’abord, la pièce est un « ancien appartement du moine Fra Giovanni [Fra Angelico, ndlr], décorée d’une modeste Complainte au Christ sur la croix, mais nantie d’une lucarne ». Il y a pire comme endroit pour êtreseul. Surtout, l’espace monacal donne au héros le temps de penser, de réfléchir. Il avance sur un manuscrit, réfléchit beaucoup, en profite pour regarder par la lucarne s’il peut apercevoir la jolie serveuse de la trattoria en face. « Excepté la privation alimentaire, ce serait le paradis. » Il y a la question des besoins pressants, mais là aussi l’homme s’en accommode. Il passe ainsi une dizaine de jours avec comme seule compagnie ses effets personnels (notamment un téléphone portable dont la batterie tombe vite en panne) et un tableau de Fra Angelico.
Le Cas Annunziato, premier roman de Yan Gauchard, journaliste à Presse Océan, séduit par sa façon de prendre le réel et de le tordre, voire de lui offrir une porte de sortie. Et tant pis si celle-ci donne sur une pièce fermée. Comme le Baron perché d’Italo Calvino dans son arbre, Fabrizio Annunziato n’a pas tellement envie de quitter sa cellule. Après sa délivrance, il ira en garde à vue, puis demandera à retourner au musée. Il faut dire qu’ailleurs, rien n’est très réjouissant : « La situation à l’extérieur, le retour du Cavaliere aux affaires du pays », les policiers qui exhument des histoires des Brigades rouges, les éditeurs qui ne veulent traduire que des best-sellers… A quoi bon vivre libre dans un « dehors » qui ne l’est pas, surtout quand on peut être heureux enfermé ? La séduction du Cas Annunziato tient à l’écriture de Yan Gauchard, très drôle, à notre impression de lire la déposition d’un compagnon de cellule de Fabrizio. Il y a également un aspect loufoque : le président- administrateur du musée s’appelle Pietro Gassman, une des gardiennes, Antonia Loren, comme Vittorio et Sophia. Il faut dire qu’on est en Italie, ce pays où l’absurde, en plus d’être réel, est toujours fait de belles choses.
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Avril Ventura, Le Monde, 26 février 2016
Il [le monde extérieur] existe bel et bien dans le roman de Yan Gauchard, Le Cas Annunziato. Mais c’est un brouhaha permanent, un joyeux fracas, dont le protagoniste, le traducteur Fabrizio Annunziato, va chercher à s’extraire. En visite au Musée national San Marco à Florence, il est victime d’une mauvaise blague et se retrouve enfermé dans la cellule n° 5, ancien appartement du moine Fra Giovanni – connu postérieurement sous le nom de Fra Angelico (1400-1455). Il y passera plusieurs jours et plusieurs nuits, le personnel du musée faisant grève, à l’instar du pays, pour protester contre la politique de Silvio Berlusconi.
Seulement, ce qui aurait dû être vécu comme une contrainte va vite se révéler une forme de libération pour le traducteur, qui en profite pour avancer sur un manuscrit en cours. Lorsque enfin il sera libéré, ce sera pour atterrir en prison, soupçonné d’accointances avec la lutte armée, dans une Italie encore aux prises avec le spectre brigadiste. Mais, de cellule en cellule, Annunziato fait preuve d’une étonnante capacité d’adaptation, tant et si bien qu’une fois relaxé il demande à pourvoir réintégrer la chambre du moine.
Car il s’agit bien de cela dans le roman de Yan Gauchard : d’un enfermement choisi, assumé, qui, au lieu de restreindre le traducteur dans ses capacités, va au contraire le soulager de quelque chose, lui permettre de se retirer de la comédie humaine. Mais, si d’autres pourraient vivre ce retour sur soi imposé comme une opportunité de réaffirmer leur identité, l’inverse se produit pour le traducteur, qui devient « spectral » à la fin du récit : le cas Annunziato est un cas d’effacement, l’histoire d’une émancipation ultime. Ou comment, après s’être affranchi du monde extérieur, un homme parvient à s’affranchir de lui-même, jusqu’à disparaître.