Richard Hoggart
La Culture du pauvre
Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre
Traduit de l’anglais par Françoise et Jean-Claude Garcias et par Jean-Claude Passeron
Présentation de Jean-Claude Passeron
1970
Collection Le sens commun , 424 pages
ISBN : 9782707301178
26.00 €
Protestation élevée, au nom de l’objectivité, contre les poncifs aristocratiques ou populistes qui s’interposent entre les classes populaires et ses observateurs, nécessairement intellectuels ou bourgeois, The Uses of Literacy relève aussi de l’autobiographie, sinon de l’auto-analyse. Mais, grâce à une attention clinique aux nuances de la vie quotidienne, l’auteur réussit à tirer de son expérience d’intellectuel issu des classes populaires tout ce que l’ethnologue averti sait tirer d’un bon “ informateur ”. Sans nier les changements que les moyens modernes de communication ont déterminés dans la culture des classes populaires, Richard Hoggart essaie d’en prendre la juste mesure en faisant voir que la réception d’un message culturel ne saurait être dissociée des conditions sociales où elle s’accomplit. Il se donne ainsi les moyens de comprendre tout ce que la consommation culturelle doit à l’éthos de classe des consommateurs : le mythe du “ conditionnement des masses ” peut alors céder la place à l’analyse de l’adhésion à éclipses ou de l’attention oblique, conçues comme dispositions spécifiques des classes populaires portées par la logique de leur situation à trouver dans le cynisme narquois et une grande capacité d’indifférence leur meilleure protection contre le monde des “ autres ”, son autorité et ses sollicitations.
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Première partie : L’ancien temps
Chapitre 1. Les classes populaires : Questions de méthode – Une esquisse de définition
Chapitre 2. Le décor et les personnages : La tradition orale – Le foyer – La mère – Le père – Le quartier
Chapitre 3. Eux et nous : On a sa dignité – Nous , on est comme ça – Bien vivre et laisser-vivre
Chapitre 4. Le réalisme et la réalité quotidienne : Le sens du particulier et le goût du concret – Une religiosité élémentaire – L’art populaire : le journal de Margot.
Chapitre 5. La bonne vie : Des jouissances au jour le jour : le destin et la chance – Un univers baroque : l’aspidistra domestique – Les clubs populaires : les chorales et la goualante
Deuxième partie : Les traditions et la tradition du nouveau
Chapitre 6. Un matérialisme honnête : La réinterprétation des traditions – De la tolérance à la complaisance – De la participation au conformisme – Du goût du présent à l’exaltation du nouveau – Une information personnalisée et atomisée
Chapitre 7. L’invitation à la romance : Les producteurs – Les hebdomadaires familiaux – La chansonnette – Les consommateurs
Chapitre 8. Du sexe sous cellophane : La machine-à-sous – Le kiosque à journaux – Du sang et de la volupté
Chapitre 9. Le je-m’en-fichisme : Scepticisme et cynisme – Débrouillards , combinards et nihilistes
Chapitre 10. Déracinés et déclassés : Le boursier – L’autodidacte – La quête du salut culturel
Conclusion – Bibliographie – Index
Gabrielle Rolin (Le Monde, 1970)
Il ne s’agit ni d’une descente aux enfers des “ mass media ” ni d’un plaidoyer en faveur des “ saines traditions populaires ”. Né parmi les pauvres, ayant longtemps partagé leurs fêtes et leurs travaux, Richard Hoggart semble avoir fait l’objet d’une grâce spéciale qui lui permet de garder un pied dans chaque camp, de part et d’autre de la frontière culturelle. Première surprise : ce spécialiste parle comme tout le monde, ou plus exactement comme ce monde qu’il nous décrit, et le moindre mérite de son livre n’est pas d’être accessible aux intéressés. Deuxième surprise : le juge et le témoin, ou, comme le dit Jean-Claude Passeron dans sa préface, “ l’ethnologue ” et “ l’informateur ”, se trouvent réunis en une seule personne ; la main gauche glane documents et souvenirs que la main droite trie et soupèse.
Voici la famille, la rue, le pub, l’usine, univers jadis en marge sur lequel s’abat à présent la consommation de masse. Et voici le raz-de-marée : campagnes publicitaires, presse à sensation, hit-parades, sous-littérature policière ou érotique, grands jeux télévisés. L’industrie des loisirs tient en permanence une sorte de foire du Trône dont le vacarme assourdissant couvre toute voix divergente. “ Nous donnons très exactement aux gens ce qu’ils demandent ”, disent les forains. “ À voir ”, répond Richard Hoggart. Et que voit-il ? L’avènement de la bêtise ? La dictature de la vulgarité ? La surenchère de la démagogie ? Bien sûr, mais aussi la résistance tenace du bon sens et le scepticisme de ceux à qui “ on ne la fait pas ”, “ qui en prennent et en laissent ” et se défendent en opposant une passivité croissante à l’agressivité des marchands de loisirs.