Romans


Alain Robbe-Grillet

Souvenirs du triangle d'or


1978
224 pages
ISBN : 9782707302328
19.50 €
80 exemplaires numérotés sur Alfamousse


Après la désastreuse guerre contre l'Uruguay, la ville, menacée par les bandes d'adolescents sauvages installés dans les ruines des hôtels de luxe et des fortifications, à partir desquelles ils mettent au pillage les quartiers encore intacts, a dû être nettoyée systématiquement par l'armée. Le préfet de police a demandé qu'on épargne les plus belles des filles, qui se trouvent ainsi enfermées dans la maison de plaisir où le Docteur Morgan poursuit ses expériences criminelles sur les fantasmes féminins.
Le narrateur, policier pris au piège de ses manipulations frauduleuses, a entrepris parallèlement la description de sa prison, depuis la cellule blanche jusqu'à la salle d'interrogatoire. Il se demande s'il n'est pas lui-même soumis à des essais de conditionnement et à des modifications structurelles. De multiples assassinats et supplices dénoncent en tout cas les relations sado-érotiques qu'il entretient avec le corps de son propre récit.

‑‑‑‑‑ Extraits d’un entretien avec Alain Robbe-Grillet ‑‑‑‑‑

Passons maintenant à votre dernier roman. Pourquoi l'avez-vous intitulé Souvenirs du triangle d'or ?
Le premier titre était Propriétés secrètes du triangle. Le triangle est une forme symbolique divine ; joint au nombre d'or, il permet de mettre en jeu une activité géométrique, mythologique et charnelle On peut aussi penser au triangle des Bermudes, endroit où il se passe des phénomènes inexplicables, au triangle de la drogue (à la frontière de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande), mais surtout, d'une façon très nette, au pubis féminin. Dans mon roman, le Triangle d'or pourrait être un temple religieux, ou bien le nom d'une maison de plaisir comparable à l'Opéra dans Le Jeu avec le feu, ou bien encore le nom d'une société secrète qui organise des chasses à courre d'un genre très spécial.

Souvenirs du triangle d'or peut se lire comme un roman policier avec une enquête. Comment vous situez-vous par rapport aux romans policiers traditionnels.
J'en ai lu très peu et, en général, ils m'ont déçu. Dans le roman policier traditionnel, une série de pièces doivent être réunies de façon à constituer une histoire qui remette tout en ordre et qu'on puisse prendre dans un seul sens. Le monde semblait un désordre incompréhensible, mais vient un inspecteur qui prouve qu'en réalité tout s'emboîte parfaitement : le désordre était dû a un criminel qui avait disséminé les pièces. Dans Souvenirs, c'est tout le contraire qui se produit, car nous avons l'histoire d'une dissémination et non plus d'une concentration du sens.
Entretien paru dans Le Monde, le 22 septembre 1978, propos recueillis par Michel Rybalka.

ISBN
PDF : 9782707327031
ePub : 9782707327024

Prix : 13.99 €

En savoir plus

Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde, 22 septembre 1978)

« On n'a pas encore trouvé la bonne manière d'analyser en journaliste, soit avec les critères et les mots du plus grand nombre, des livres dont les habiletés techniciennes échappent aux profanes ; ou du moins s'apprécient d'autant mieux que la lecture en devient plus savante. Peut-on seulement rendre compte d’ouvrages tout occupés à jouer de leurs sens possibles ? Dans l'hypothèse où la population entière tâterait de la sémiologie, dira-t-on un jour : Achetez Souvenirs du triangle d'or, c'est un régal de polysémie ” ?
C’est un festival diabolique d'ambiguïtés, en tout cas. L'histoire peut se raconter de cent façons. Avec l'autorité d'une version assermentée, le texte de couverture insinue qu'il s'agit d'un policier d'Amérique latine mêlé à des expériences de supplices féminins, et qui se perd dans ses manipulations. Cette trame est confirmée vers la fin du livre par un rappel chronologique, en principe digne de foi. Mais, comme dans toutes les fictions de Robbe-Grillet, ces péripéties se donnent moins comme éléments d'un tout plausible que comme des “ objets ” narratifs, comme des pièces d'un puzzle qui, au lieu de s'agencer une bonne fois, joueraient sans cesse de leurs combinaisons glissantes, inachevables...
Pour le lecteur, ce sont les amorces de scènes réalistes ou policières qui porteront sens. Pour un autre, ce seront les fantasmes sexuels, au premier degré ou tels que l'auteur les manie ouvertement, et non sans ironie, c'est-à-dire comme des stéréotypes. Pour qui aime exercer ses dons d'observation il peut y avoir un intérêt et un plaisir pratiquement inépuisables à guetter le retour d'un talon aiguille, de boucles de cheveux, de slips abricot, de caïmans, de ficelles usées et de boites de bière vides, sans parler des triangles qui se cachent un peu partout ni des allusions inopinées aux romans précédents.
Le livre ne contient pas un seul détail qui ne tire sa raison d'être, non de son sens immédiat, mais de la place où il surgit et reparaît, à des endroits ou des intervalles prémédités.
Faute de logique courante dans l'articulation des séquences, le réflexe cartésien pousse à chercher une loi de série, un lieu géométrique, un nombre, une figure, auxquels obéirait l'ensemble de la fiction. Cette curiosité se substitue à toutes celles dont on a l'habitude.
On comprend que cette quête abstraite irrite certains lecteurs. L'auteur abuse de sa rouerie. À sa manière, il ne respecte pas plus notre liberté que les romanciers traditionnels. S'il laisse les sens de l’œuvre plus ouverts, il reste maître de leur empire. Non sans sadisme, il se réserve de nous livrer ou non les clefs de la partie de master mind qu'il a ménagée en cachette. Embusqué derrière ses paragraphes chamboulés exprès, on l'imagine en malin génie de Descartes, savourant le bonheur de nous égarer, mesurant la plus ou moins grande capacité de chacun à percer ses malices.
Cette relation de cache-tampon entre l'écrivain et le lecteur avantage les spécialistes et favorise la cuistrerie universitaire. Au lieu de distiller ses secrets de fabrication aux pédants occupés à les débusquer, on aimerait que Robbe-Grillet explique d'emblée à tout le monde comment il a composé son livre, selon le fair play des meilleurs auteurs de policiers qui ne retiennent aucune carte dans leurs manches, et comme l'a fait Raymond Roussel. »

 




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