Romans


Alain Robbe-Grillet

La Reprise


2001
256 pages
ISBN : 9782707317568
15.30 €
65 exemplaires numérotés sur Velin des papeteries de Vizille


Nous sommes à Berlin, en novembre 1949. H. R., agent subalterne d’un service français de renseignement et d’interventions hors normes, arrive dans l’ancienne capitale en ruine, à laquelle il se croit lié par un souvenir confus, remontant par bouffées de sa très jeune enfance. Il y est aujourd’hui chargé d’une mission dont ses chefs n’ont pas cru bon de lui dévoiler la signification réelle, préférant n’en fournir que les éléments indispensables pour l’action qu’on attend de son aveugle fidélité. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…

ISBN
PDF : 9782707327079
ePub : 9782707327062

Prix : 10.99 €

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Jean-Baptiste Harang (Libération, octobre 2001)

Robbe-Grillet, nouveau roman
À bientôt quatre-vingt ans, le théoricien du Nouveau Roman revient à la fiction avec La Reprise, le livre le plus jeune de la rentrée.
 
« Alain Robbe-Grillet laisse dire que La Reprise est un roman d'espionnage, Robbe-Grillet laisse toujours dire, c'est le plaisir des écrivains qui aiment rire de laisser dire. Robbe-Grillet aime rire, aime faire rire, aime se faire rire, et l'on se plaît à penser qu'il ne porte la barbe que pour rire dedans. Mais il ne suffit pas de situer une action, si l'on peut dire, dans le Berlin de 1949, une ville en noir et blanc aux allures de troisième homme, avec des gens qui ne comprennent pas ce qu'ils font, qui reçoivent des ordres partiels, font des comptes rendus interrompus, torturent délicieusement des petites filles, manient des revolvers, se méfient les uns des autres et craignent qu'on les empoisonne pour qu'un livre s'installe en roman d'espionnage. Surtout qu'on sait que Robbe-Grillet n'est pas du genre écrivain de genre. Il faudrait également embarquer le lecteur dans un effet minimal de réel. Il faudrait que quelque chose paraisse certain, un repère où s'accrocher pour évaluer le flou, l'improbable, l'irréel, le flottement du monde, il faudrait un coin de terre ferme où se camper pour éprouver le vertige.
Un homme est mort. C'est certain. Trois balles dans la peau. Il s'écroule. C'est du solide. Certainement pas. II n'est peut-être pas mort, et si ça se trouve ce n'est pas lui. Les balles sont d'un calibre différent de l'arme qui a tiré, à supposer qu'une arme ait tiré. Le mort a une tête d'assassin, l'assassin une tête de mort. Ils se ressemblent, ils portent tous deux une moustache et c'est toujours celle de l'autre qui est fausse, ils ont six noms à tous les deux, chaque homme a son double, chaque double a son jumeau, chaque jumeau a son miroir, un miroir qui ne lui revient pas. Le narrateur aussi a un double, un concurrent, un type qui le surveille, le corrige, lui prend la parole et la plume, parviendra peut-être à la garder. Nous verrons. Non, la seule personne vraiment espionnée dans cette affaire est le lecteur : mordra ? Mordra pas ? Tombera, tombera pas dans l'escarcelle du prestidigitateur ?
Dès la première phrase, “ Ici, donc, je reprends, et je résume ”, le lecteur comprend qu'il a loupé quelque chose et qu'il va devoir s'accrocher. Et il s'accroche, il saute en marche dans ce train si lent qui roule vers Berlin par des voies détournées. L’effet de réel est là, non pas dans une histoire sans autre objet que son propre mystère, mais dans la minutie de Robbe-Grillet à décrire le moindre mensonge dans le moindre détail, autant de lignes pour un rêve que pour une fêlure dans la faïence d'un lavabo hors d'âge, hors d'usage. Dans le compartiment déjà, un voyageur est le sosie du voyageur qui écrit, ils ressemblent tous deux à la mère de l'un d'eux, mais pas à celle de l'autre. Mais non, on n'a rien manqué, les personnages sont aussi perdus que nous, page 29, la première note (Note 1) sonne comme un rectificatif : “ Le narrateur, lui-même sujet à caution, qui se présente sous le nom fictif d'Henri Robin commet ici une légère erreur. ” Note 1 : Les lecteurs atteints de robbegrilletite aiguë pourront lire La Reprise en exégètes : tel le granit d'étincelles de mica, le livre est saupoudré de mille références à l'œuvre du maître, ainsi Henri Robin (et son fils Jean), sont de très vieilles connaissances, on s'en tient à cet exemple, le dossier que le Magazine littéraire consacre à Robbe-Grillet comblera les amateurs, et cette expertise n'est évidemment pas nécessaire pour se régaler à la lecture de La Reprise, il suffit de se laisser aller, c'est une valse.
La note 2 du livre se fait plus menaçante : “ Cette indication erronée nous paraît beaucoup plus grave que la précédente. Nous y reviendrons. ” Robbe-Grillet, outre des passages intempestifs de la première à la troisième personne, du passé simple (si l'on peut dire) à l'imparfait, invente ici un mode narratif original et percutant : la note contradictoire. Chacune d'entre elles, il y en a 14, intervient avec quelques lignes de retard après son annonce avec le même statut typographique et dans la continuité du texte même, elles sont parfois explicatives, le plus souvent contrariantes, de la main d'un second narrateur qui lutte pour l'espace éditorial, la véritable guerre entre les protagonistes est ici, haletante, dans l'écriture même. La note 12 occupe 26 pages du roman et introduit une nouvelle première personne qui finira par se dénoncer et semble en savoir long sur ce qu'on nous cache, le temps d'un récit érotico-sadique avec nymphette semi consentante. La note 14 prend douze pages pour faire du premier narrateur un assassin à l'arme blanche, une coupe de champagne brisée en lame de cristal. Bien sûr la victime survit et un autre cadavre gît dans les égouts.
Des mots allemands roulent sous la langue comme des fruits confits dans la meilleure pâte de la langue française, des faux papiers, des canaux putréfiés, les personnages arrivent toujours sur les lieux après leur ombre, ils n'ont plus qu'à s'y conformer. À bientôt quatre-vingt ans Alain Robbe-Grillet qui préfère la littérature à la psychanalyse “ parce que les psychanalystes manquent d'humour ” nous offre le livre le plus drôle et le plus moderne de la rentrée, un labyrinthe où l'on aime à se perdre entre les pépites d'enfance que ce malicieux Petit Poucet y a semées. »

Jean-Jacques Brochier (Magazine littéraire, octobre 2001)

Le roman comme absolu
 
« “ (...) mon Feldgendarme est apparu dans l'encadrement de la porte. L'impressionnant gardien de l'ordre s'est aussitôt dirigé vers moi, qui venais juste de m'asseoir, et m'a demandé mes papiers dans un laconique et impératif : « Ausweis vorzeigen » ”.
On est bien dans un roman d'espionnage, à Berlin détruit après la Seconde Guerre mondiale. Une atmosphère très Troisième homme, un meurtre, le brouillard le long des canaux.
C'est compter sans la subtilité des constructions, de la reprise sournoisement transformée des éléments, des coïncidences qui n'en sont pas vraiment, du caractère délibéré, si minutieusement, des romans de Robbe-Grillet. Le personnage, qui s'appelle Henri Robin (pour commencer !), habite à Berlin Place des Gens d'Armes. Une maison qui fut autrefois occupée, deux fois, par Kierkegaard. Et le roman s'intitule La Reprise, comme l'essai de Kierkegaard. Et, et...
C'est bien d'une reprise qu'il s'agit, mais, comme le souligne l’auteur, pas d'une répétition, au contraire d'un dépassement, comme dans l'essai du philosophe danois, ce qui le rapproche curieusement de Hegel, que pourtant il détestait. Une reprise, aussi. comme on referme plus ou moins grossièrement le trou d'un tissu, une reprise des béances d'un récit, si caractéristique du monde romanesque de Robbe-Grillet. On se souvient de la page centrale du Voyeur, blanche pour laisser imaginer ce qui fait le centre du livre, le meurtre de la fillette, que Mathias tout au long des pages dissimule, recoud, en accumulant notations, activités, allers et retours.
Reprise de divers éléments des précédents romans, et même des Romanesques, semés comme les cailloux du Petit Poucet, ou les pavés disjoints de Djinn ; car leur fonction n'est pas, comme le pavé disjoint dans la cour de l'hôtel de Guermantes, de Proust, de déclencher un brusque retour de la mémoire, mais bien davantage de montrer que tout ceci est réel. Réel, exactement au même titre que la réalité quotidienne, ou la réalité du souvenir, y compris du souvenir imaginaire, du souvenir involontairement “ inventé ”. Contrairement au “ monde réel ” d'Aragon, qui visait, dans Les Cloches de Bâle ou Les Beaux quartiers, à rendre par des mots les hommes et les choses, instrumentalisant ainsi la littérature, Robbe-Grillet fait de la littérature, du roman, un absolu. Le roman est la réalité.
De là ce passage naturel de ce qui s'est “ réellement ” passé, comme le langage courant le dit, à ce qui est romanesquement passé, ou l'inverse. Par exemple, sans transition, un “ vrai ” souvenir d'enfance, qu'il a vécu sur une plage bretonne, au beau milieu d'une aventure qui se déroule, trente ans plus tard, dans le Berlin d'après-guerre.
On ne saurait, raisonnablement, raconter, résumer ce roman. Le lecteur y trouvera les fantasmes de l'écrivain, le thème du double, bien évidemment, celui d'Œdipe, bien sûr, les scènes d'érotisme sadique dont il nourrit l'imaginaire de ses personnages. Mais il me semble que, dans cette Reprise, il y a bien dépassement de l'œuvre précédente. En insistant sur une caractéristique trop souvent oubliée des commentateurs, l'humour, qui agite personnages et situations d'un grand rire silencieux. »

Nelly Kaprièlian (Les Inrockuptibles, octobre 2001)

« La Reprise est un des romans les plus modernes, les plus ludiques qu’on ait lu récemment. (…) Lire Robbe-Grillet aujourd’hui, et plus particulièrement La Reprise, qui n’est ni plus ni moins que du Robbe-Grillet au carré, c’est plonger dans l’univers de la réflexion, jouissive parce qu’elle génère du jeu, essentielle parce qu’elle génère de l’angoisse – c’est-à-dire une remise en question de soi et du monde, du réel et de sa représentation. »

 




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