Paradoxe


Bernard Cerquiglini

L'Invention de Nithard


2018
128 pages
ISBN : 9782707344694
15.00 €


À peine issue du latin, au IXe siècle, la langue française fut écrite, dans un contexte éminent et à des fins politiques (Serments de Strasbourg, 842) ; c’est singulièrement tôt.
Un petit-fils de Charlemagne, prince diplomate, guerrier latiniste, eut l’idée de son usage écrit ; Nithard est l’inventeur de la langue française.
Il en fut aussi le premier écrivain : la littérature en français est née de son chagrin.
L’essor du français et de ses Lettres doit donc beaucoup à Nithard, envers qui les siècles se sont montrés ingrats avec constance.
Au terme d’un road movie carolingien, le lecteur saura pourquoi.

ISBN
PDF : 9782707344717
ePub : 9782707344700

Prix : 10.99 €

En savoir plus

Jérôme Lamy, L’Humanité, jeudi 25 octobre 2018

Aux origines politiques du français

Bernard Cerquiglini revient sur la fameuse discussion autour du choix linguistique de Nithard.

Nithard est un petit-fils de Charlemagne. Prince, lettré, diplomate et guerrier, il a documenté dans son Histoire des fils de Louis le Pieux l’interminable déréliction d’un empire que se disputent, au IXe siècle, Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve. Bernard Cerquiglini explore avec une joyeuse minutie les circonstances qui ont conduit Nithard à retranscrire en langue romane les Serments de Strasbourg (842). Ce texte signale l’accord entre Louis et Charles contre Lothaire. Dans l’Europe carolingienne, le latin est la langue des diplomaties et des administrations. Le choix du roman n’est pas anodin. D’autant que les Serments sont également prononcés en tudesque. La diversité des langues vient signaler la fragmentation territoriale en cours.
Les précautions avec lesquelles Nithard rend compte de l’événement témoignent de l’importance de cette procédure politique consistant à reconnaître, de fait, des spécificités linguistiques. Mais Bernard Cerquiglini va plus loin dans son analyse. Ce qui s’invente dans ce dispositif démontrant la puissance du vernaculaire, c’est aussi le souci d’une fraternité entre les différents acteurs. Dans les jeux croisés des fidélités médiévales sans cesse mises à mal, l’invention d’une procédure permettant par « la parole solennelle » de constituer « deux autorités égales », celle de Louis et celle de Charles, constitue un acte politique puissant. Mais il ne symbolise pas la fondation d’une nation, contrairement à ce que les linguistes ont longtemps cru. Cerquiglini, dans un beau geste de réflexivité, revient sur ses anciennes analyses. Nithard a souhaité mettre en exergue les « conditions de validité d’un engagement princier ». Les espoirs du diplomate carolingien furent vite déçus : il n’y eut point de respect des Serments – il est même probable que Nithard, dans les tractations frontalières incessamment remaniées entre les trois frères, ait perdu des terres près de la forêt Charbonnière. Même si Nithard se laisse gagner par l’amertume, il a ébauché, dans son Histoire des fils de Louis le Pieux, les linéaments d’une politique fondée sur la fraternité et le bien commun. Il avait imaginé que les langues vernaculaires pourraient pérenniser son rêve diplomatique.


Francis Marmande, Le Monde, vendredi 23 novembre 2018

Nithard invite à un road-movie carolingien

Sans ce petit-fils de Charlemagne, parlerions-nous français ? Bernard Cerquiglini en doute


L’Invention de Nithard
marque un nouveau stade dans le travail de sage-femme de Bernard Cerquiglini. Linguiste, érudit, membre de l’Oulipo, Cerquiglini poursuit sa passionnante enquête sur la naissance du français. Homme de terrain, il a également publié, le mois dernier, une joyeuse défense de la féminisation des noms de métier (Le ministre est enceinte ou la Grande Querelle de la féminisation des noms, Seuil, 208 pages, 15 euros).
« A peine issue du latin, au IXe siècle, la langue française fut écrite, dans un contexte éminent et à des fins politiques (Serments de Strasbourg, 842) ; c’est singulièrement tôt. Un petit-fils de Charlemagne, prince diplomate, guerrier latiniste, eut l’idée de son usage écrit ; Nithard est l’inventeur de la langue française. » Texte à l’appui, Cerquiglini en fait le premier « écrivain d’une littérature née de son chagrin ». Il prétend ainsi, en véritable écrivain qu’il est lui-même, réparer l’ingratitude des siècles : « Au terme d‘un road-movie carolingien, le lecteur saura pourquoi. »
Homme à cheval, Nithard (né vers 800) est ce fils qu’eut Angilbert, conseiller de Charlemagne, de Berthe, fille de ce dernier. Avec son Histoire des fils de Louis le Pieux, Nithard donne la chronique de l’effondrement d’un empire, que suivent cent guerres et innovations linguistiques dont son époque est le théâtre.
Abbé laïc
Son cousin Lothaire affronte Charles le Chauve et Louis le Germanique. Lesquels se lient par serments (à Strasbourg, donc) et reçoivent l’appui de Nithard, témoignages en langue romane compris – quelques lignes dans le livre III de l’Histoire, un pas de géant pour la langue à venir. Nithard meurt du côté d’Aquitaine en 844 ou 845, les armes à la main. Le crâne fendu en deux, ce à quoi on le reconnaîtra. Le lecteur saura pourquoi. Nithard écrit au matin. Il est un des rares laïcs à écrire.
Autant de petits faits qui emballent Cerquiglini. Toujours en style d’érudition lyrique : « Depuis quand parle-t-on français ? » Le linguiste n’en démord pas : « Depuis qu’on l’écrit. » Examinant les interprétations des siècles, il guerroie, prend parti, analyse, révise son jugement : « Je m’étais inscrit dans un mouvement historiographique commencé à la Renaissance, quand on avait « découvert » les Serment de Strasbourg. (…) Il avait fallu des siècles pour offrir à Nithard une juste reconnaissance : Nithard avait été, tour à tour, ignoré, incompris, négligé, minoré, cité, remarqué. Je le distingue aujourd’hui, et le place en pleine lumière, lui attribuant un rôle majeur dans l’histoire du français : ce livre rapporte ma propre invention de Nithard. »
A cette invention s’ajoutent celles des archéologues : « J’allais à Saint-Riquier, archéologue d’humeur, regarder le ciel qu’il avait contemplé. » L’archéologue d’humeur poursuit « l’ombre d’un fantôme ». Passionnés, érudits, locaux, professeurs, modestes autant qu’enthousiastes guident notre linguiste, un jeudi de 2012, sous le ciel de cette abbaye dont Nithard avait été l’abbé laïc : « Dans une salle reposait sur une longue table un squelette incomplet. » Stupeur, incrédulité : « C’était Nithard. »
Oui, d’infatigables fouilleurs avaient bel et bien retrouvé Nithard une douzaine d’années plus tôt, en 1989. Mais, de cartons mal ficelés en sacs en plastique qui finissent au placard, l’expertise s’éternise et voilà-t-il pas qu’« on avait perdu Nithard ».
Road-movie façon Gaston Paris mâtiné de Conan Doyle. L’Invention de Nithard doit à son générique époustouflant - de Jean Bodin à Pierre Encrevé, en passant par Pascal Quignard (Les Larmes, Grasset, 2016) - toute sa dimension : la physiologie d’une langue en pleine mue et la naissance d’un écrivain. Sans quoi, Nithard eût été perdu pour de bon.


Ecouter Bernard Cerquiglini dans l'émission "Matières à penser" sur France culture (21 février 2019).

 




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