Critique


François Roustang

Influence


1991
Collection Critique, 186 pages
ISBN : 9782707313652
16.50 €


L’influence est l’action cachée et continue d’êtres inanimés ou animés qui décident du destin de l’homme. Celui-ci, depuis des millénaires, interroge cette puissance pour savoir ce qu’il est autorisé à entreprendre. Il ne croit plus qu’elle provient des astres. Il la voit à l’œuvre dans ce qu’il subit à l’intérieur de lui-même et à travers les relations qu’il entretient avec ses semblables. De nos jours, l’influence avait pris le nom d’inconscient, corollaire d’une psyché fermée sur elle-même. Il s’agissait en fait de l’appartenance de l’être humain au monde des vivants, plus précisément à son animalité. Métaphore de l’influence, l’hypnose, qu’il faudrait appeler veille du corps ou éveil de la vie, est la plaque tournante où peuvent s’échanger l’animalité de l’homme et son humanité. L’animalité ne peut pas être humanisée si l’humain n’a pas été animalisé.
L’influence ainsi entendue devient le préalable de la liberté. Celle-ci n’est plus l’indépendance dont rêvait Narcisse. Elle est l’appropriation par l’homme de ce que lui impose sa condition de vivant.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction – 1. L’innocence psychanalytique – 2. La manipulation éricksonienne – 3. La psychologie, notre astrologie – 4. La veille du corps – 5. L’inconscient, un comportement – 6. La vie n’est pas un miroir – 7. Le lien de la liberté – 8. Modification réciproque.

‑‑‑‑‑ Extrait de l’introduction ‑‑‑‑‑

Pourquoi ce thème de l’influence ? Depuis le début de ma pratique analytique, le transfert m’était apparu comme un phénomène aussi fascinant qu’énigmatique. Je voyais bien qu’autour de moi on ne s’étonnait pas outre mesure des prodiges et des aberrations dont avec d’autres j’étais l’acteur et le témoin. À la vue des effets du transfert dans les cures ou dans le milieu analytique et à la lecture de ce qu’en avait dit Freud, j’en suis venu à soupçonner que l’on voulait minimiser ou ignorer les phénomènes d’influence et que, en particulier, la proximité du transfert et de l’hypnose était farouchement niée. Proximité que, à cette date, je déplorais pour ma part comme un inévitable dont nous devions cependant essayer de tirer les moins mauvaises conséquences.
Jusqu’au jour où, ayant fait l’expérience de l’hypnose – pas par hasard sans doute, car je commençais à prêter l’oreille à d’autres méthodes –, mon opinion à son égard s’est inversée. Ce que la psychanalyse avait définitivement écarté grâce à la fameuse coupure épistémologique, ce comble de l’influence, cette relation immédiate, cette horreur qui sape les fondements de la liberté humaine, m’apparaissait plutôt comme la condition de cette dernière. Mais comment était-il possible de penser ce retournement qui pouvait n’être après tout qu’une douce illusion ? Rien dans notre paysage culturel ne semblait m’y encourager. Fallait-il interroger les pratiques psychothérapiques diverses qui faisaient leur apparition en France ? Mais ceux-là mêmes qui ne ménageaient pas leurs critiques à l’égard de la psychanalyse les épinglaient comme ses « bâtards », c’est-à-dire comme s’inscrivant « dans un mouvement général de la psychanalyse » et vivant « de références plus ou moins lointaines au message freudien ». Preuve que celui-ci régnait en maître sur le territoire arpenté par les « psy » de tout bord et interdisait l’apparition d’autres problématiques.
Était-il bien vrai d’ailleurs que nous ayons affaire à des « bâtards » ? Venues des États-Unis, ces pratiques se rattachent en effet aux courants béhavioriste et culturaliste qui avaient rompu avec la psychanalyse dès les années 40 et qui se sont développés depuis, indépendamment d’elle. On ne saurait donc les traiter de bâtards, puisqu’ils ne font pas partie de la famille, même élargie. S’ils n’ignorent pas le message freudien, ils se fondent sur d’autres présupposés que celui-ci, essentiellement sur le souci de résultats observables et sur l’attention portée aux relations interpersonnelles. Ils avaient donc peut-être quelque chose à nous apprendre ; ils pouvaient du moins nous conduire à nous interroger sur l’indépassable et le prétendu incontournable de ce message. 

ISBN
PDF : 9782707331670
ePub : 9782707331663

Prix : 8.99 €

En savoir plus

Claude Jannoud (Le Figaro, 14 janvier 1991)

Éloge de l’hypnose
 
« Il faut de l’aplomb pour célébrer les vertus de l’hypnose face au terrorisme intellectuel des tenants de la psychanalyse. Même si la suprématie idéologique de celle-ci est bien battue en brèche par les nouvelles thérapies, il reste que l’hypnose sent toujours le soufre. Ceux qui y recourent sont plus ou moins honteux !
François Roustang, analyste de profession, à qui l’on doit quelques beaux livres, n’a pas hésité à assumer ce défi dans un ouvrage profond et dense où il piétine pas mal de plates-bandes. L’éclectisme de ses réflexions, qui s’étendent jusqu’à la politique, sera un autre sujet d’irritation pour les petits propriétaires du savoir. Le titre, Influence, est déjà en soi une provocation. C’est un mot banni chez les freudiens. N’est-ce pas une atteinte intolérable à la liberté de l’individu ? Le malheur est que l’influence est partout, y compris dans le transfert, la découverte la plus révolutionnaire et la plus troublante de Freud. L’homme, son âme, son corps sont des lieux où d’innombrables influences s’exercent. Nous mêmes ne cessons d’influencer. Pourquoi ce mot provoque-t-il une telle panique chez Freud et ses héritiers, ce qui les a acculés, François Roustang le montre, à des situations inextricables. La psychanalyse a été victime de l’anthropologie de son fondateur, disciple de la philosophie des Lumières. Freud était un rationaliste qui ne connaissait que la conscience. Il a certes placé l’inconscient sur le devant de la scène, mais c’était à condition que la finalité ultime soit la prise de conscience. Celle-ci est la condition de la liberté.
Croyance qui l’a conduit à ignorer superbement ce qu’il y d’animal en chaque homme et à négliger d’élaborer une théorie valable de la communication.
Pourtant, la psychanalyse n’est-elle pas fondée sur la relation entre le thérapeute et son patient ? En fait, ce rapport est toujours phantasmatique, peut-être parce que Freud a construit sa théorie à partir des rêves. Chaque individu est une monade coupée des autres, enfermée dans un soliloque indépassable. On sait combien certains de ses successeurs ont été loin dans cette direction.
Cette prégnance solipsiste explique que le narcissisme soit un des pivots de la doctrine. Mais la vie n’est pas un miroir, proteste Roustang. Il n’y a pas de situation humaine qui ne soit soumise à des influences extérieures.
L’animalité est une autre oubliée de la psychanalyse. L’importance exorbitante accordée au langage par celle-ci oublie que la parole suppose toujours un contexte préverbal et pré-humain. Si l’homme a une âme, il est aussi un mammifère. Il faut accepter cette dualité.
C’est ici qu’intervient l’hypnose.
Elle serait un état où la totalité de l’être vivant reprendrait ses droits. C’est à une réhabilitation de l’hypnose que procède Roustang. Dans son argumentation, il s’appuie sur les pratiques thérapeutiques inspirées de Milton H. Erickson qui était une sorte d’anti-Freud. Ce psychiatre du Wisconsin n’a jamais songé à élaborer une théorie. Il n’a pas eu de disciple et n’a pas créé des institutions. Il influençait systématiquement ses patients. Il recourait à l’hypnose directe ou indirecte parce que l’état hypnotique révèle les fils avec lesquels sont tissées, à notre insu, toutes les relations inter-humaines.
Au contraire de chez Freud, l’inconscient n’est pas suspect et inquiétant, il est source d’énergies qu’il s’agit de libérer. Roustang s’élève contre l’opinion courante selon laquelle l’état hypnotique serait caractérisé par la soumission du sujet. Il vise au contraire à transformer en activité la passivité du patient à l’égard de ses symptômes. Ce qui donne l’occasion à l’auteur d’écrire quelques belles pages sur le rôle et l’éthique du thérapeute.
Il nous en offre d’autres à propos de la psychanalyse et de la politique. Le pessimisme politique de Freud est de même nature que son refus de voir dans l’état d’hypnose autre chose qu’une soumission. Le leader, Narcisse absolu, serait l’hypnotiseur qui impose sa loi à la masse. Pas plus que Freud ne pouvait imaginer que l’hypnose soit un échange, il ne pouvait penser que les liens sociaux sont aussi horizontaux, et pas seulement verticaux. Il était voué à une conception totalitaire de la politique, même si en tant qu’homme privé il n’y adhérait pas. »

Roland Jaccard (Le Monde, 8 mars 1991)

Psychologie en miettes
Déroutant Roustang
 
« Dans le milieu psychanalytique, François Roustang est un “ outsider ” : il n’a pour Freud qu’une considération limitée et il n’a pas ménagé Lacan dans son dernier livre (Lacan. De l’équivoque à l’impasse, Éditions de Minuit,1986). Circonstances aggravantes : il tâte de l’hypnose et ne cache pas sa curiosité pour les techniques thérapeutiques importées des Etats-Unis. “ Que deviendrait ma réputation, note-t-il ironiquement, dans le petit monde analytique où je suis au chaud, si l’on apprenait que je m’initie aux tentatives d’adaptation venues d’outre-Atlantique ? ”
Bref, avec Influence, François Roustang une fois de plus désarçonne son public ; il oppose Freud à une sorte de Socrate made in USA : Milton H. Erikson (1901-1980), qui récuse toute théorie, ne veut pas de disciples et exècre les institutions. Ce qui a séduit Roustang chez ce psychiatre hors du commun, c’est que pour lui, comme pour Socrate, le respect du patient revêt les allures de la manipulation la plus sophistiquée. “ Se garder de l’influence n’est visiblement pas son problème. Il la redouble ou la pousse même au plus haut point de sa puissance ”, écrit Roustang.
On appréciera chez François Roustang, outre l’ironie de son style, son absence de toute crispation théorique, ainsi que sa disponibilité pour toute expérimentation nouvelle, sans qu’il soit dupe par ailleurs de la redoutable mystification qu’entraîne toujours le souci d’influencer ou de guérir un patient. Il n’est pas loin de penser que l’hypnose, rejetée par les freudiens orthodoxes sous prétexte qu’elle sape la liberté humaine, est au contraire la, condition de cette dernière. Encore un retournement théorique qu’on ne pardonnera pas à François Roustang, l’un des esprits les plus paradoxaux et les plus déroutants de la psychanalyse française. »

Michel Polac (L’Événement du jeudi, 28 février 1991)


Laissez-vous influencer
 
« (…) Chertok est un homme de rupture, Roustang un conciliateur qui tente sans rejeter Freud (mais le dogmatisme freudo-lacanien, oui) d’élargir son champ d’expériences ne serait-ce que pour donner un peu d’efficacité à l’analyse. Bien que d’une écriture claire et sobre Influence demande un effort d’attention, tant il est riche d’hypothèses, que l’auteur nous glisse avec trop de modestie : au lieu de claquer les portes ou de les ouvrir avec fracas, il les entrebâille sur des perspectives vertigineuses.
Roustang a vite compris, grâce à Erikson, que chaque être humain est unique, que pour chaque cas il faut inventer une stratégie, donc prendre tous les risques, s’aventurer en terre inconnue, en allant même jusqu’à s’impliquer comme Ferenczi (que les freudiens firent passer pour fou) dans un “ dialogue d’inconscient à inconscient ”.
L’hypnose bien conduite (c’est-à-dire justement pas dirigée) loin d’être un viol, une “ anesthésie ” de la volonté, est une “ hyperesthésie ”, une ouverture de la conscience, une libération de la “ vitalité ”, la vitalité animale.
L’homme, ce mammifère, dès la naissance connaissait le langage du corps avant le Verbe. Signes, signaux, odeurs, tout fait sens (Roustang cite l’odeur déplaisante d’un patient, odeur qui diminua avec les progrès de la cure). L’animal est tout naturellement immergé dans la réalité (réalité “ hors du temps et de l’espace ”, d’où ces phénomènes énigmatiques dont j’ai déjà parlé). En nous arrachant à l’ignorance, en codant le Réel superficiellement, avec des mots, nous avons perdu un contact direct, “ instinctif ”. Il faut retrouver notre naturel, vivre comme le tireur à l’arc zen (avez-vous lu Herrigel ? ) qui touche le centre sans effort, sans viser. Si l’on réussit à faire jaillir le secret enfoui en nous il peut être néfaste de le laisser crever à la lumière, il doit se cacher dans l’obscurité, sans laquelle nous ne pouvons pas vivre, il faut préserver notre part d’ombre, accepter l’incohérence, et n’utiliser la raison que comme lampe de poche. L’idéal rationaliste ferait de l’homme un automate privé de vie parce que privé de désir et donc de folie, un robot les yeux toujours ouverts dans une aveuglante lumière permanente. Mais je dérape vers mon leitmotiv personnel.
Roustang, malgré son respect, jette à bas des pans entiers de freudisme, notamment le narcissisme, qui mène à la soumission au chef : le pessimisme de Freud ne permet pas, par exemple, d’expliquer la victoire d’un torturé sur son bourreau. »

 




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