Bertrand de la Peine
Les Hémisphères de Magdebourg
2009
160 p.
ISBN : 9782707320742
14.20 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
Bline revient dans la ville de son enfance où son père, un éminent spécialiste de la période seldjoukide a trouvé la mort dans de troublantes circonstances.
Benedikt Centaure-Wattelet dit monsieur Ben mange des saucisses aux lentilles à minuit passé, tout seul dans sa cuisine à Rode-Saint-Genèse près de Bruxelles. Trafiquant d'art, spécialisé dans la période grecque pré-chrétienne, il prépare sa dernière affaire, l'apothéose de sa carrière.
La jeune fille est loin d"imaginer que son père ait pu être en contact avec monsieur Ben.
ISBN
PDF : 9782707327192
ePub : 9782707327185
Prix : 9.99 €
En savoir plus
Jérôme Goude, Le Matricule des anges, avril 2009
Tracés anatoliens
Premier roman inclassable, Les Hémisphères de Magdebourg met en parallèle le sentiment de perdition d'une orpheline et la cruauté d"un vulgaire trafiquant d’art.
Hilaire de Meux, un éminent historien - grand spécialiste de la période dite seldjoukide (nom d’une grande dynastie turque du Xe siècle) et directeur du Centre d’études anatoliennes –, a été sauvagement assassiné au moyen d’un objet contondant. Jeune fille s’avouant futile, âgée seulement de 23 ans, Bline revient à Istanbul pour, dit-elle, « mettre de l’ordre dans les papiers de (son) père et dans toute cette maison qui fut aussi la (sienne) durant dix ans. » Tantôt seule, se masturbant avec les « poils fournis » du blaireau de son père, tantôt flanquée de Sahim, rédacteur d’une revue satirique Ahtapot et amant occasionnel, elle macule certaines représentations de son passé de taches de peinture blanche dans l’espoir de conjurer le vide alentour. De la place Taksim, devant ce qui fut naguère son collège, au Sourire Hongrois, lieu branché, en passant par le quartier de Béchiktache, là où crée le frère artiste de Sahim, Bline tente de se perdre. En vain…
À Rhode-Saint-Genèse, Benedikt Centaure-Wattelet, vieil expert de la période grecque pré-chrétienne qui, très tôt, fraya avec le parti ultranationaliste Rex fondé par Léon Degrelle et s’enrôla dans les « Kunstbrigade » responsables du pillage de sites archéologiques, est penché sur son « assiette de féculents ». Fort d’un « goitre que festonne le souvenir d’une trachéotomie », de jambes « grêles, imberbes », d’un ancien « réseau de rabatteurs », ce truand véreux et atrabilaire est tout entier concentré sur le marché qu’il a conclu avec les Townsend, de richissimes Amerloques de Boston. Son ultime et fructueuse affaire. En dépit du fait qu’il soit persona non grata dans toute l’Asie mineure depuis les années 80, Centaure-Wattelet est fermement décidé à aller récupérer lui-même, sous une fausse identité, une pièce manquante de quelques millions de dollars : la tête du colossal Hercule de Lysippe. Aller simple pour la Turquie…
Qu’est-ce donc ce premier roman qui, tout en affûtant verve satirique, plaisir de la syntaxe et curiosité, laisse un sentiment indiscernable de perplexité ? Perplexe comme peut l’être Bline devant cette gravure représentant Otto Von Guericke, un bourgmestre de Ratisbonne qui réalisa, en 1663, l’expérience dite des « Hémisphères de Magdebourg » dans le but d’infirmer la thèse de l’horror vacui. Où Bertrand de la Peine, dont le ton n’est pas sans évoquer Éric Chevillard et dont une certaine préciosité de la langue rappelle la prose d’Éric Laurrent, compte-t-il nous mener ? Quelques lettres de Benedikt Centaure-Wattelet à Hilaire de Meux, retrouvées in extremis derrière un vieil atlas, nous renseigneront sur le sentiment anti-hellène qui anima certains milieux artistiques. Elles nous diront la nature des liens unissant, longtemps après et comme malgré eux, les deux hommes : « Tu sais pertinemment que la partie intérieure de la statue croupit depuis des années dans les réserves du musée d’Antalya. (…). Récupérer cette moitié nécessiterait une présence officielle sur le terrain, quelqu’un qui nous servirait de couverture pour agir en toute tranquillité. »
Incrédule et cependant captif, une fois encore à la manière de Bline emportant finalement cette gravure ottomane sur laquelle un artiste a inscrit le mot « Hitch bir chey », en arabe « Rien », le lecteur peut suivre le tracé du Rien, sans nécessairement ajointer les fragments épars des Hémisphères de Magdebourg pour créer un surcroît de sens ? Suivre ce tracé du Rien qu’est l’écriture savoureuse de Bertrand de la Peine.
Vincent Roy, Le Monde, 29 mai 2009
Près de Berlin, la petite ville de Magdebourg, aujourd'hui capitale du Land de Saxe-Anhalt, sur l'Elbe, fut l'une des principales cités hanséatiques – elle avait été attribuée au Brandebourg en 1648. Elle devint célèbre grâce à une expérience réalisée par Otto von Guericke (1602-1686), son bourgmestre, inventeur de la pompe à air. Chercheur en physique des vides, Guericke voulut "réfuter de façon spectaculaire la thèse communément admise de l'horror vacui. Non, selon lui, la nature n'avait pas horreur du vide". Pour le prouver, il se lança dans cette expérience qui consistait à faire le vide à l'intérieur d'une sphère de cuivre constituée de deux hémisphères creux simplement appuyés l'un contre l'autre ; "il accrocha chacun d'eux à des équipages de chevaux qui se révélèrent incapables de séparer la boule". Constat implacable : le vide n'est pas le néant.
Le premier roman de Bertrand de la Peine doit son titre à cette expérience qui démontre que la pression atmosphérique s'exerce dans tous les sens. Aussi, de vide et de pression, en tout sens, il est beaucoup question dans Les Hémisphères de Magdebourg, dont l'atmosphère est, pour le moins, électrique. Ce roman, à l'image de la boule de cuivre de Guericke, est formé de deux fictions parallèles et concomitantes, a priori étanches : double intrigue et double narration. Tout l'intérêt de ce texte savoureusement noir repose sur la dualité de récits indépendants – dans leur fond comme dans leur forme – que rien ne semble souder. Et pourtant.
Bline, une jeune femme de 23 ans, se rend à Istanbul, dans la maison de son enfance, où son père, Hilaire de Meux, célèbre historien, spécialiste de la période seldjoukide, vient d'être assassiné. Elle est revenue là pour mettre de l'ordre dans les papiers de son père, "pour faire le vide". Dans la banlieue de Bruxelles, Benedikt Centaure Wattelet, un vieux trafiquant d'art spécialiste de la période grecque préchrétienne, qui fréquenta jadis les réunions organisées par le fasciste Léon Degrelle, prépare son dernier coup pour des clients américains : le vol de la tête d'Hercule, chef-d'œuvre de Lysippe. Il part pour la Turquie sous une fausse identité, car il est interdit de séjour en Asie mineure.
Bline parle à la première personne. Mais c'est un curieux narrateur, précis et ironique, qui nous renseigne sur les aventures du vieux Belge alcoolique et vulgaire : ses frasques, ses magouilles, son passé. On le suit à Péra, dans le port de Kalkan, dans celui de Cos, puis d'Antalya.
Bientôt Bline découvre des lettres du trafiquant – dont elle ne sait rien – adressées à son père. Elle enquête, s'interroge : "Ces lettres font naître des questions et bien loin de combler des manques ou de mettre en lumière des pans du passé de mon père, elles ouvrent de nouvelles zones d'ombre et accroissent le doute. Elles créent du vide." Du vide entre elle et son père. De ce vide qui soude.