Le sens commun


Erving Goffman

Façons de parler

Traduit de l’anglais par Alain Kihm


1987
Collection Le sens commun , 280 pages
ISBN : 9782707311405
24.00 €


Erving Goffman a passé sa vie à s’approcher du langage. Avoir consacré son œuvre à écrire la grammaire de nos comportements quotidiens le menait inévitablement à étudier ces comportements que l’on dit linguistiques. Expression fautive qui laisse croire qu’il ne s’agit que de faire en disant. Mais on fait autant avec des silences, des exclamations, des onomatopées. Surtout, et c’est là peut-être l’apport essentiel de Goffman ici, il faut échapper à cette régression à l’infini qui captive le linguiste : que le langage toujours répond au langage, que le signifié toujours présuppose un autre signifié, toute sortie barrée vers le dehors des mots. Il n’en est rien. Ainsi, une réponse, verbale ou non, suppose moins une question préalable qu’elle ne permet, parfois, de reconstruire quelque chose comme un possible objet de référence ; ou bien on parle tout seul, et le soliloque qui ne suit rien est encore une façon de traiter une situation sociale ; ou on fait une conférence sur un sujet quelconque, y compris l’art des conférences, et ce que l’on dit vraiment, c’est que le monde existe et qu’il est cohérent puisqu’on peut en parler. Et, si l’unique condition de félicité qui légitime les échanges est que l’autre ne soit pas fou, et si l’on est prêt à tout invoquer pour éviter de conclure qu’il l’est, ne s’ensuit-il pas que la moindre parole peut, à l’occasion, présupposer toutes choses au monde, et les plus improbables ?
Jamais Goffman n’avait poussé aussi profond sa réflexion sur nos actes. Que ce livre doive rester son dernier, est un grand regret ; qu’il ait pu nous le laisser, une consolation.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Avant-propos – 1. Répliques et réponses : Première partie. Deuxième partie. Troisième partie. Quatrième partie – 2. Exclamations : Discussion. Conclusion – 3. La position – 4. La conférence – 5. La condition de félicité : Les présuppositions. Le texte antérieur. Les traces des présuppositions. L’environnement immédiat. Les connaissances importées. Les normes de conduite. Au-delà du langage. Les présuppositions dans l’interaction. La condition de félicité – Références bibliographiques – Index

(Préfaces, décembre 1987-janvier 1988)

 Ce livre consacré au langage ordinaire et à la conversation approfondit, en particulier sur le plan empirique, les thèmes qu’on trouve déjà abordés dès les premières études de l’auteur sur la communication et l’interaction (cf. Encounters, 1961, et Behavior in Public Places, 1963). La démarche analytique, amorcée dans les rites d’interaction et les relations en public, gagne en rigueur à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan empirique, faisant un sort à l’idée que Goffman serait un auteur sans théorie. La recherche d’un niveau d’analyse, ayant ses propres unités, spécifiques à l’étude des interactions, plus microscopiques, devient beaucoup plus explicite car elle s’appuie sur les apports de l’analyse de conversation, de la pragmatique et de l’ethnographie de la communication.
En quoi l’étude de la conversation s’avère-t-elle une contribution centrale à l’analyse empirique des interactions sociales ? Goffman ne cherche pas un modèle linguistique pour fonder l’ethnographie des interactions en public. Mais il entend plutôt mettre en évidence la limite d’une démarche linguistique (fondée uniquement sur une analyse des énoncés) dès lors que le chercheur traite des données portant sur le langage en contexte, comme l’analyse d’une conversation courante, la requête de service, ou la conférence. Le premier et le dernier chapitres, bien que paradoxalement les plus “ linguistiques ”, sont exemplaires de cette critique des modèles non contextuels. E. Goffman intervient sur trois points sensibles des études de pragmatique : l’analyse de la conversation, la théorie des actes de langage et des présuppositions. Il nous montre la nécessité de prendre en compte, outre les implications sociales de chacun de ces phénomènes, des faits d’un tout autre ordre, comme la ritualisation des actes de parole, la structure de participation dans l’échange et les présuppositions sociales liées à la situation. Dans ces deux chapitres s’esquisse un dialogue critique avec Harvey Sacks, ancien étudiant de Goffman et fondateur du courant de l’analyse de conversation en sociologie. Goffman considère qu’en traitant les échanges conversationnels comme des formats dialogiques (paires adjacentes), l’analyse de conversation ne traiterait qu’une partie du phénomène, en négligeant la composante proprement sociale de la communication, qui reste pour lui la ritualisation de tout échange interpersonnel.
L’ouvrage est aussi une contribution importante aux théories communicationnelles de l’action, théories qui aujourd’hui contribuent activement, en Allemagne et aux États-Unis, à une refonte des bases conceptuelles des sciences sociales. Goffman occupe une position originale, par rapport à Habermas par exemple, dans la mesure où il propose des analyses détaillées d’actions communicationnelles tout en confrontant les théories disponibles au moyen d’un examen rigoureux de leur portée empirique. Par ailleurs, il montre une parfaite maîtrise des travaux récents de pragmatique, de sémantique cognitive et d’ethnométhodologie sur la conversation et le langage naturel. Ce livre, le dernier paru du vivant de l’auteur, est sûrement la meilleure introduction, disponible en langue française, à l’analyse de la conversation. 

 




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