Sylvain Prudhomme
L'Enfant dans le taxi
2023
224 pages
ISBN : 9782707349101
20.00 €
39 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries Schleipen.
« Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. »
ISBN
PDF : 9782707349125
ePub : 9782707349118
Prix : 13.99 €
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Valérie Marin La Meslée, Le Point, 19 octobre 2023
L'inconnu du lac de Constance
Avec L'Enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme sonde, tout en grâce, l'amour et ses secrets.
Quelle histoire magnifique ! Celle d'un amour interdit pendant la guerre, demeuré bien caché dans le secret d'une famille, jusqu'à son fruit : un des 400 000 enfants allemands nés d'un père soldat allié. Le nouveau roman de Sylvain Prudhomme, Prix Femina en 2019 pour Par les routes, commence par imaginer la scène de la rencontre entre un soldat français, Malusci, et une jeune Allemande chez laquelle il loge. Il fêtent la fin de la guerre, dansent, tombent en amour. Mais est-ce bien ainsi que cela s'est passé ? Le narrateur, un écrivain nommé Simon, imagine alors, à partir de bribes, l'histoire de ce couple qui donna naissance à un enfant "qui vit toujours, là-bas, près du lac", absent aux funérailles de Malusci.
Le livre raconte ses recherches, les fausses pistes, le cœur qui bat, le silence de sa grand-mère pianiste, Imma, sur cette partie de la vie de feu son mari. Simon enquête et rêve aussi sur cet amour, sur l'amour, alors même qu'il est en train de se séparer de sa femme, doucement, résolument, et fait l'apprentissage d'une vie de célibataire, papa de deux fils une semaine sur deux, observant les parents à la sortie de l'école, "les séparés de longue date déjà, apaisés, pleins de sagesse, exquis - les seuls que je regardais avec un peu d'envie". C'est presque le journal sensible tenu au "je" d'un écrivain obsédé par celui qu'il nomme seulement "M", cet oncle effacé de l'arbre généalogique dont il veut tout savoir. Sa quête est aussi un moyen de traverser autrement cette période de sa vie. Et le mènera loin dans la grande Histoire.
Prudhomme a des phrases courtes, une grâce à nuancer les états d'âme, à marier tendresse et lucidité, délicatesse et franchise, l'habileté de ne pas se laisser tout entier prendre par ce grand sentimental de Simon embarqué entre fiction et réalité au bord du lac de Constance, là où les parents de M se sont aimés, en songeant à la constance en amour, et nous alors, forcément, aux Lauriers du lac de Constance, ce si beau livre de Marie Chaix sur un autre autre versant de la guerre...
Sophie Joubert, L'Humanité, 19 octobre 2023
Sur les traces d'un "esseulé majuscule"
Onze ans après Là, avait dit Bahi, Sylvain Prudhomme remet sur le métier un motif secondaire de son premier livre et met au jour un secret de famille.
Comme le meurtrier photographié au second plan dans Blow up, le film d'Antonioni (1966), le secret était là, en évidence, entre les pages d'un roman déjà écrit. En 2012, Sylvain Prudhomme publiait Là, avait dit Bahi, le récit d'un vieil Algérien qui, au volant de son camion, racontait sa vie d'ouvrier agricole sous la colonisation française au jeune bomme qu'il avait pris en stop. C'est là que, pour la première fois, le narrateur avait entendu parler de l'Allemande du lac de Constance, un amour de jeunesse de son grand-père, Malusci, membre des forces françaises d'occupation en Allemagne. Une décennie plus tard, Sylvain Prudhomme fait de cette histoire le motif prinipal de L'Enfant dans le taxi, son roman le plus clairement autobiographique.
Il existe de mutiples manières de plonger dans un matériau intime et d'exhumer un secret de famille. Le propos de l'auteur n'est pas de faire une enquête documentaire mais de tisser des liens, de trouver des échos entre les époques, de questionner les récits et les mythologies sur lesquels sont fondées les familles. Dès les premières pages, il ancre le roman dans la fiction en imaginant une scène qui n'a peut-être jamais existé : l'embrasement né de la rencontre entre Malusci, le Français, et le jeune Allemande, qu'il a sûrement aimée. "Je sais que de ce plaisir naquit un enfant qui vit toujorus là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre tendu vers lui", confesse Simon, double de l'auteur, lui aussi écrivain.
La quête d'un enfant caché
Car le cœur du roman, qu'on peut révéler sans rien gâcher, est la quête de cet enfant caché, resté de l'autre côté de la frontière alors que son père bâtissait sa vie en Algérie, puis en France. Marié à Imma, Malusci, père de trois autres enfants, est devenu un patriarche mélomane, dispensant ses verdicts cassants lors des repas de famille. Averti par Franz, un oncle par alliance, de l'existence de ce fils étranger le jour de l'enterrement de son grand-père, Simon brave les oukases d'Imma pour tenter de le retrouver. Fraîchement séparé de sa compagne, il affronte dans le même temps la solitude, le vide, et la nécessité d'inventer une nouvelle vie avec ses deux garçons, une semaine sur deux.
Intranquille face au monde
On retrouve dans ce beau roman aux phrases amples des thèmes qui courent dans les livres de Sylvain Peudhomme : l'Histoire, les voyages, la tension entre l'ancrage et le désir de partir. En déplaçant son centre de gravité de l'Afrique ves l'Europe, de la fin de la colonisation à l'après-Seconde Guerre mondiale, l'auteur des Grands (2014), de Légende (2016) et de Par les routes (2019) entame une nouvelle étape de son travail, déjà à l'œuvre dans les Orages (2021), son recueil de nouvelles. Alors que passent les saisons, de l'été à l'hiver, il suit Simon sur les traces de "M.", "l'esseulé majuscule", qui le touche tant. "J'ai songé au métier d'écrire. J'ai pensé que, comme M., je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n'arrivaient pas à s'en contenter tel quel, devraient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre", avance le narrateur. Que se sont-ils dit ? Sylvain Prudhomme, comme Simon, a l'élégance de rester au seuil.
Juliette Einhorn, Le Monde, 22 septembre 2023
Marie Chaudey, La Vie, 29 septembre 2023
À l'abandon
Ressurgi du passé, un secret de famille résonne avec le présent d'une rupture amoureuse... Sylvain Prudhomme au sommet de son art.
On entre dans ce subtil roman intimiste par une porte dérobée : un rendez-vous d'amour furtif et intense, quelque part dans les brumes du nord, entre un soldat français et une jeune femme baptisée "L'inconnue du lac de Constance" - presque un conte, en quelques pages. Puis on retombe dans le dur de la réalité. Vient d'avoir lieu l'enterrement d'un aïeul, un grand-père à poigne, dont on ne connaît ici que le patronyme, Malusci, tel celui d'un chef de clan. Après les adieux au cimetière, la réunion de famille prend soudain un tour inattendu. Grâce à la confidence d'un oncle, le narrateur découvre qu'il y a un absent aux funérailles : un fils oublié, que le défunt a eu à 20 ans avec une Allemande, bien avant la fondation de la dynastie aujourdh'ui rassemblée.
UNE HISTOIRE DE FILIATION BLESSÉE
On aurait tort cependant de voir dans le roman de Sylvain Prudhomme une simple histoire de bâtardise qui refait surface. Son originalité ne réside pas dans le secret révélé, mais au-delà : dans la fascination que le petit-fils de Malusci ressent désormais pour l'homme inconnu, qui fut un enfant ignoré - comme des milliers d'autres après 1945 et l'occupation des troupes alliées en Allemagne. Si notre narrateur n'a désormais de cesse d'enquêter pour donner un visage à "l'erreur de jeunesse" et reconstituer cette histoire de filiation blessée, c'est parce qu'elle entre en résonnance avec les morsures de la séparation amoureuse qu'il vit lui-même au présent. Et qui s'infiltrent dans le roman sans crier gare. le vertige de la solitude rôde. Par petites touches douces-amères, Sylvain Prudhpomme dit les tendres habitudes dont il faut se défaire, le cocon rassurant qu'on essaie de maintenir avec les enfants. Mais aussi la griserie d'une liberté nouvelle, à peine avouable, mêlée au sentiment souterrain de trahir la grande famille, forte de sa constance et de sa stabilité. Comment appartenir sans être étouffé ? Comment aimer à la bonne distance ? Un roman mélancolique d'une infinie délicatesse sur "le boitement inévitable de nos vie"...
Judith Sibony, La revue des deux mondes, octobre 2023
Sylvain Prudhomme écrit un peu comme Caetano Veloso chante : d'une voix désarmante de douceur, qui murmure au creux de l'oreille comme si c'était pour vous seul et qui, lorsqu'elle aborde tous les sujets du monde, n'a au fond qu'un propos : l'amour. Même - surtout ? - lorsqu'il s'agit de rupture. Car c'est cela que raconte L'Enfant dans le taxi : des ruptures qui laissent le dernier mot à l'amour.
À l'enterrement de son grand-père, le narrateur apprend que celui-ci a eu un enfant avec une Allemande à la fin de la guerre, quand il avait 20 ans et qu'il était soldat à la frontière. Le romancier décide d'en savoir plus sur cet amour, quitte à l'inventer, avec d'autant plus d'intensité qu'au même moment il se sépare d'A., mère de ses deux enfants et femme de sa vie.
Pourquoi faut-il se séparer ? Pourquoi son grand-père n'a-t-il jamais cessé d'être en contact avec l'Allemande qu'il a pourtant délaissée quend elle était enceinte ? Comment cet homme s-t-il pu, malgré ce secret, construire une grande famille idéale avec une autre femme ? Comment le narrateur se prépare-t-il à en aimer d'autres tout en restant indéfectiblement lié à A. ?
Avec la délicatesse de quelqu'un qui s'y connaît en joie autant qu'en saudade, Sylvain Prudhomme nous offre ces questions en prenant soin de ne pas y répondre, mais en nous donnant le plus bel indice : non seulement elles font partie de la vie, mais elles s'entremêlent et convergent pour former la vie même. En témoigne l'existence à la fois longue, féconde et désarçonnante de ce grand-père, dont Prudhomme avait déjà fait le héros d'un de ses premiers romans (Là, avait dit Bahi, Gallimard, 2012). En témoigne la vieillesse sereine de "L'Enfant", bâtard qui donne son titre au nouveau livre et qu'on aperçoit enfin, de loin mais si fort, à la fin de l'histoire. En témoigne encore la beauté des scènes où le quotidien d'une famille avec un seul parent se rebricole entre les pleurs et les jeux.
Même l'impression d'être loin de sa vie fait partie de la vie. Et on ne peut qu'avoir une gratitude infinie envers l'écrivain qui sait chanter tout cela avec tant d'évidence et de tendresse.
Nathalie Crom, Télérama, 13 septembre 2023
Astrid de Larmina, Le Figaro, 14 septembre 2023
Grégoire Leménager, L'Obs, 14 septembre 2023
"Inglorious bastard"
C'était une des leçons de "Par les routes", ce très beau roman qui n'avait pas la prétention d'en donner, et qui a valu le prix Femina 2019 à Sylvain Prudhomme : "Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui restent." Ce pourrait être une des clés de "L'Enfant dans le taxi", qui démarre pour Simon par cette révélation lors d'un enterrement : "Tu es au courant n'est-ce pas que ton grand-père a eu un fils en Allemange à l'époque où il était soldat d'occupation au bord du lac de Constance." Simon, bien sûr, n'était pas au courant du tout, "puisque depuis toujours dans l'ordre des familles le crime c'est de parler, jamais de se taire". Il est tombé des nues. Il a voulu en savoir plus : sur le vieil amour de ce patriarche et d'une belle Allemande ; sur le fils qu'il a privé de père ; sur la loi du silence, ce ciment des tribus, qui a condamné l'inglorious bastard à n'être qu'une "erreur de jeunesse" ; sur les quelque "400 000 enfants allermands" qui, comme ce malheureux M., seraient "nés de soldats alliés" dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale.
"Le problème n'était-il pas putôt que la paix soit l'autre nom du déni", songe Simon, alors que lui-même se sépare tristement de sa compagne sans très bien savoir pourquoi. le grand Georges Hyvernaud, celui de "la peau et les Os", n'est pas cité ici en exergue par hasard : "Mais les vrais souvenirs vivent par en dessous. Ils s'obstinent." Prudhomme aussi. Il y a des auteurs qui écrivent fort, comme les gens qui haussent le ton pour se faire entendre ; lui confirme son art de raconter doucement les choses de la vie, pour mieux restituer "la sensation aiguë de leur épaisseur, de leur mystère, des doubles-fonds qui partout se cachaient". Queque part entre Modiano et Leonard Cohen, si on aime ce genre d'arbre généalogique.
Monice Sabolo, Elle 14 septembre 2023
Il est comment le nouveau... Sylvain Prudhomme ?
GÉNÉREUX. À l'enterrement de son grand-père, Simon apprend un secret : l'homme qui vient de mourir a eu, dans sa jeunesse, un enfant dont personne ne parle jamais. Troublé, il se lance à la recherche de cet oncle inconnu, né en Allemegne à la fin de la guerre. Alors qu'il est en pleine séparation, qu'il éprouve la nouveauté âpre de la solitude, Simon emprunte un chemin mystérieux qui l'emmène vers le passé, quelque part au bord du lac de Constance, mais aussi au plus près de lui-même. Au volant de sa voiture lancée vers la frontière, avec ses deux jeunes fils à bord, il s'approche d'une vérité qui l'appelle, impérieuse. Comme souvent chez Sylvain Pruhomme, on retrouve le charme de l'aventure, la recherche d'un monde dont les couleurs seraient plus vives. "Je voulais que ma vie soit touojours faite de ça : de moments ouverts, remplis d'interrogation, de vertige. Moments où chaque chose alentour vibrait, chaque terrasse m'appelait, chaque panneau semblait devoir me conduire vers un endroit désirable." Il est aussi question de ces âmes sensibles, légèrement décalées qui traversent l'existence sur la pointe des pieds. "J'ai pensé que comme M, je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n'arrivaient pas à s'en contenter tel quel, devaient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre." C'est sans doute la plus grande beauté de ce texte : la vulnérabilité des êtres y est abordée avec une infinie douceur, quelque chose de l'ordre de la tendresse et de la bonté. Avec cette question : comment être libre et accepter la liberté des autres ?
Alexis Maroy, La Libre Belgique, 13 septembre 2023
L'Inconnue du lac de Constance
Un livre tendre et grave à la fois, qui trace son chemin doucement à travers le maquis de la mémoire familiale.
En 2011, Sylvain Pruhomme publiait Là, avait dit Bahi, roman qui arpentait l'Algérie au seuil de l'indépendance, celle où vécut son grand-père, qui inspira le personnage du fermier Malusci. Dans un recoin de ce texte, composé d'une seule phrase, un puissant souffle de 208 pages, l'auteur des Grands et de Par les routes (prix Femina 2019) avait semé le germe d'un livre à venir. Quelques lignes à peine. L'allusion fugace à une Allemande connue à la fin de la guerre, sur les rives du lac de Constance occupées par les troupes françaises. Douze ans plus tard, L'Enfant dans le taxi nous apprend que de cet amour illégitime est né un fils.
Le patriarche vient de mourir, des années après son retour en France, lorsque Simon, le narrateur, se voit confier son secret. "Scène primitive, à jamais manquante, que ni Malusci ni cette femme ne sont plus là pour raconter. Matrice solaire et sombre à la fois, autour de laquelle je veux tourner, retourner." Une histoire connue des anciens, tenus au silence "puisque depuis toujours dans l'ordre des familles le crime c'est de parler, jamais de se taire". est-ce pour s'affranchir du poids du passé ? délivrer des mots tus pour préserver la paix - "l'autre nom du déni" ? Simon se met en quête de celui qui habite ce manque, l'oncle caché, dont on ne connaîtra que l'initiale du prénom, M.
Écriture en mouvement
La "parfaite absence" de M. fait directement écho à celle de A., la femme de Simon, ils ont eu deux enfants, il se quittent sans se haîr, sans fracas, après vingt ans d'amour, autant dire une vie entière.
Une vie des plus banales, sans doute. Les joies et la douleur. La solitude qui demeure - celle de M., "esseulé majuscule", celle de Simon, celle de tous en réalité - quelle que soit la solidité du clan. Combien elle rétrécit, le vie, quand l'amour "s'en va de nous", comme le chante Omara Portuondo. Comment elle rejaillit, la vie, même des plus profondes blessures, pour reconstruire le quotidien, pour recomposer de nouveaux schémas familiaux. Comment le mouvement, l'un des motifs chers à l'écrivain voyageur, rend possible la réparation. Voilà pourquoi Simon doit cherher M., qui est peut-être encore là, sur les rives du lac de Constance.
La matières des sentiments
Au-delà de l'enquête généalogique ou historique, au-delà de l'hommage aux enfants interdits de la guerre, c'est une quête poétique qui anime la prose de Sylvain Prudhomme, dont on retrouve toute la délicatesse et le talent pour saisir, par impressions, par bribes, la matière imperceptible des sentiments.
Du poutour méditerranéen aux contreforts des Alpes, un émouvant voyage dans l'intime, sans gros sabots, sur la pointe des pieds presque, brossant chaque personnage avec une douceur infinie, ni trop haut ni trop bas, sondant ses désisrs et ses contradictions avec une sincérité déconcertante.
Qu'on ne sous-estime pas l'audace d'une telle démarche, ni les écueils qu'elle présente en matière de relief ou de rythme. Bien que par endroits elle peine quelque peu à le trouver, on a tôt fait de se laisser porter par cette écriture serpentine, de faire confiance à sa ponctuation sauvage, d'admirer sa construction aussi patiente qu'un enfant empilant les galets sur la plage malgré le vent. il y a dans la précision et le sérieux de son geste tout un monde d'espoir.
Etienne Leterrier-Grimal, Le Matricule des Anges, septembre 2023
Camille Thomine, Lire, septembre 2023
Parfois, on s'imagine capturer une image, mais, à y regarder de plus près, une tout autre apparaît à l'arrière-plan. C'est ce qui arrive au photograpbhe d'Antonioni et c'est ce qui arrive à Sylvain Prudhomme, lorsque son récit algérien de 2011 révèle soudain, dans le doublefond d'une scène d'amour, un personnage inaperçu. Alors, comme dans le film, la vérité fait son "blow-up" : elle explose et se trouve agrandie. En l'occurrence, c'est la famille qui, brutalement élargie au premier fils caché du patriarche, menace d'éclater. On se souvient de Malusci, l'austère grand-père pied-noir de là, avait dit Bahi. Ses obsèques révèlent ici l'eixstence d'un enfant allemand, né alors que son régiment occupait le lac de Constance, en 1944. Pour raconter cette histoire, partagée par 400 000 rejetons de soldats alliés, l'auteur retrouve sa phrase ample de 2011, qui s'épanouit en volutes concentriques pour épouser la spirale de brume dont s'enveloppe le mystérieux "M". A l'instar de tous les précédents, L'Enfant dans le taxi, l'un des meilleurs livres de Sylvain Prudhomme, est un chemin vers l'autre, ici condamné au silence, oublié de tous. Mais aussi une méditation sur l'amour, qu'il soit filial, interdit, émoussé ou inoubliable.
Olivier Mony, Livres Hebdo, 30 août 2023
Quête douloureue et tendre d'un homme cherchant à résoudre un secret familial, L'Enfant dans le taxi de Sylvain Prudhomme confirme ce dernier comme l'une des grandes voix de ce temps.
Un oncle d'Allemagne. Il est mort, Malusci. Le patriarche. Parti à l'âge où il n'est pas insensé de s'en aller, par un jour d'été, entouré de l'affection des siens. De ses secrets aussi. Une vie bien remplie jusqu'à ce promontoire sur la Méditerranée où il finit ses jours. Avant, il y eut l'Algérie, avant encore, ce bout d'Allemagne administré par l'armée française après 1945. Malusci y fit là, tout au bord du lac de Constance, une rencontre. Une femme, très belle. de cette liaison fugace, dont il ne fit jamais vraiment état, naquit un fils. Puis le temps fit ce qu'il savait faire, passa, et Malusci s'en revint vers ce qui serait sa vie et laissa l'un et l'autre. Histoire some toute banale quand l'Histoire s'en mêle. Secrets donc, zone d'ombre, silences, chacun chez soi. jusqu'à cet après-midi où, de retour du cimetière où il a enterré Malusci et sa gloire, Simon, son petit-fils, apprend de la bouche même d'un membre de sa famille, l'existence de cet oncle non d'Amérique mais d'Allemagne... il se nomme M et Simon n'en saura guère plus. Si ce n'est qu'il est vivant et que d'une certaine façon, il l'appelle. Des absences, des ruptures, Simon, écrivain fait sa pelote. Il vient de se séparer de sa femme avec qui il a eu deux enfants. Et cette absence-là est une déchirure, elle l'exile dans ce que Javier Marias appelait "le dos noire du temps". Alors M est peut-être, plus qu'une ligne d'horizon, une promesse de résolution. M. dont Simon apprendra que lui aussi a cherché, voici bien des années, à retrouver son père, sa famille française, allant jusqu'à traverser en taxi notre pays, sans succès, alors qu'il n'était encore qu'un adolescent. Aujourd'hui, c'est autour de son neveu de prendre la route...
Cet Enfant dans le taxi, c'est le très attendu nouveau roman (et le premier à l'enseigne des éditions de Minuit) de Sylvain Prudhomme, prix Femina 2019 avec Par les routes (Gallimard). Passons d'emblée à ce qui n'est pas une hyperbole : c'est splendide. Une sorte de mélo intimiste, douloureux et tendre où l'auteur promène toujours son récit à la seule hauteur de ses personnages. il faut y voir là, comme dans tous les livres précédents, une morale d'écriture à égale distance entre un naturalisme sec et les plaisirs solitaires de l'autofiction. Chez Prudhomme, ce qui domine, mais ne surplombe pas donc, c'est le mouvement. C'est par le mouvement que Simon, son alter ego, renoue les liens défaits, chasse le spectre de la tristesse. Il règne sur tout cela également, puisque comme chez Jean Renoir "tout le monde a ses raisons", un bel humanisme, une attention scrupuleuse portée aux riens de la vie. Enfin, Prudhomme est en ces pages plus que jamais le plus beau peintre de nos paysages, de nos territoires tant il est vrai que ses provinces, mêmes lointaines, sont d'abord celles du coeur. Le reste n'est rien, juste une affaire de solitudes déjouées. De toute beauté.
Alexandre Demidoff, Le Temps, 30 août 2023
Sylvain Prudhomme, l'amour d'une vie au bout de la route
L'auteur de "Par les routes", Prix Femina en 2019, offre avec "L'Enfant dans le taxi" une équipée dans les plis de l'Histoire, grisante et mélancolique
Sylvain Prudhomme butine en reporter géographe sur la planète. il a des musiques d'Afrique qui donnent un air de fête à ses nuits, notamment le groupe de rock Super Mama Djombo - une légende de Guinée-Bissau dont il a retracé le destin dans Les Grands (2016). il a des fantômes qui le jettent sur la route, en Algérie par exemple où son grand-père a vécu - l'épisode lui a inspiré Là, avait dit Bahi (2012).
Pour ce bourlingueur sans tapage, on dira qu'il vise le large pour construire un territoire intérieur aux frontières toujours mobiles. c'est cette pulsion qui fait le charme fort de L'Enfant dans le taxi, son nouveau roman en forme d'équipée dans les plis d'un passé qui est, comme toujours chez l'auteur de Par les routes (Prix femina en 2019), une géographie.
Comment Sylvain Prudhomme, 44 ans, fait-il pour vous embarquer ? Il vous convie, en préambule, à une réception familière et étrangère à la fois. Au seuil du récit, le narrateur, écrivain lui aussi - comme celui de Par les routes - assiste aux funérailles de Malusci, son grand-père, notable, autrefois propriétaire de vignes en Algérie. Autour du défunt bourdonne la smala dont se détache, maigre mais endurante, Imma, la veuve, la grand-mère pianiste. On brode des oraisons, on ravale une amertume, on se donne des nouvelles. La cantate des adieux.
L'omerta brisée
C'est là qu'une voix dissone. C'est celle d'un oncle par alliance, allemand. il s'appelle Franz et a hésité à prendre la parole à la fin des funérailles. Pour parler de qui ? De quoi ? "[...] j'ai failli parler de M/tu as entendu parler de M bien sûr/moi pris de court, déballonné, m'efforçant de comprendre [...]" La phrase se poursuite, syncopée par des retours à la ligne et vous voilà pris comme par un bon solo de saxo, vagabond en apparence, implacable de rigueur en vérité.
M. est le fils bâtard de Malusci, celui qu'il a eu à 20 ans, alors qu'il était soldat et qu'il fondait avec son bataillon sur le lac de Constance. Il tombait amoureux dingue d'une jeune allemande et cette éruption balayait les hostililtés, les frontières, les grammaires. c'était au temps où la guerre agonisait, où la Wehrmacht crachait ses ultimes cartouches, où les garçons crasseux se pinçaient parce qu'ils vivaient encore.
M est l'enfant de cette aurore sidérale, il a survécu, loin de Malusci et de toute sa tribu méridionale. Simon, le narrateur, père en pleine séparation, va chercher à retrouver cet inconnu qui, avec le temps, est peut-être devenu amer, songe-t-il.
Le moteur de L'Enfant dans le taxi est l'enquête, c'est-à-dire la route, celle que Simon prend avec ses deux garçons, leur proposant, comme une forme de chasse au trésor, de retrouver ce M mystérieux. Si l'on est entraîné par ce courant, c'est autant par le suspense que par une phrase qui fonctionne souvent comme un travelling. Elle embrasse tout, sans prendre son souffle, les silhouettes, les voix, les pensées, comme si chez Sylvain Prudhomme tout était bourlingue.
Est-ce un hasard si le narrateur et sa compagne, parents de Victor et Tom, sont en train de se séparer ? Dans Par les routes, le héros, obsédé par l'auto-stop et ses échappées, finissait lui aussi par quitter sa compagne et leur fils. L'Enfant dans le taxi est une histoire de séparation, celle de Malusci et de l'Allemande, celle de M. et de son père. Le narrateur, lui, s'emploie à percer le voile de brume, celui qui flotte sur le lac de Constance comme un linceul sur deux corps heureux.
Ecrire ici, souffle ce beau récit, reviendrait à reconstituer la cartographie de l'amour d'une vie. Sylvain Prudhomme vous embarque ainsi dans le vif du sujet.