« Ay, Silvano !
Regarde ces couleurs sur le désert.
Regarde comme c’est beau.
On a le coucher de soleil pour nous.
Tu veux que je te dise mon avis ?
On a eu du bol de naître dans cette vie.
¿ Qué dices de la vida : bonita, no ?
Elle est belle mais elle est courte, il faut la vivre bien.
Suavemente.
Doucement.
Avec art. »
Sylvain Prudhomme a parcouru en autostop les 2500 km qui séparent les deux extrémités de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Un périple qui lui a fait croiser des ouvriers, des camionneurs, un trafiquant de drogue, un artiste, une employée de station-service... Coyote restitue la voix de ces inconnus rencontrés au hasard de la route et donne à voir leurs visages, saisis à la volée.
À travers ces fragments de vie, Sylvain Prudhomme brosse un portrait sensible et humain de cette zone frontalière, qu’on ne connaît que par l’hyper-violence des faits divers et les discours de campagne de Trump.
ISBN
PDF : 9782707355652
ePub : 9782707355645
Prix : 11.99 €
En savoir plus
France Culture, Le Regard Culturel, Lucile Commeaux, 12 novembre 2024
L'écrivain Sylvain Prudhomme livre dans son dernier livre, paru aux Éditions de Minuit, un journal de voyage singulier, qui raconte comment il a longé la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique il y a quelques années.
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Le Figaro, Thierry Clermont, 7 novembre 2024
France Culture, Les Midis de culture, Marie Labory, 3 octobre 2024
Il a parcouru 2 500km en autostop à longer la frontière mexicaine ; de cette expérience, l'écrivain Sylvain Prudhomme a tiré un livre, Coyote, dans lequel, à la manière d'un journal de bord routier, il consigne les rencontres avec les automobilistes rencontrés au cours de ce périple.
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Sud Ouest, Alexandre Fillon, 19 octobre 2024
Balade littéraire et musicale le long de la frontière mexicaine
Sylvain Prudhomme s'est lancé dans un périple en stop, des deux extrémités de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Des fragments de vie.
Un coyote, rappelle Sylvain Prudhomme, est à la fois un mammifère qui se déplace le long des routes et des chemins mais aussi un passeur. L’auteur de « Légende » et de « L'Enfant dans le taxi » revient ici sur un voyage aux États-Unis de plus de 2500 kilomètres, parcourus en deux semaines, la plupart du temps en auto-stop. Lorsqu'avec son sac à dos et son appareil à polaroid, il avait entrepris de longer la frontière mexicaine de la Californie au golfe du Mexique.
Un matin, en pleine fournaise, « Silvano le Français », venu d'Arles, a démarré son périple à Tijuana. En direction du poste-frontière de Otay, à 12 km de là. Chemin faisant, l’écrivain voyageur a écouté les automobilistes qui le prenaient généreusement à leur bord et échangé avec eux. Ils s’appelaient Juan, Luis, José, Mauricio ou Great. L’un était patron d'une boîte de nettoyage, l’autre d'une affaire d'importation d'avocats, un troisième livreur d'herbes illicites. Plus loin, il y eut aussi un blanc conduisant « tout nu » et un mécano réparateur de jet- skis. Différents bonheurs de rencontre…
Le mur de Trump
Sylvain Prudhomme le dit, il n'avait nulle envie de jouer dans un remake de « Rambo », une « histoire de stop qui tourne mal ». Parfois, l'affaire tournait court, la tension se faisait perceptible. Heureusement, la chance était de son côté. Ce qui lui permit d'accueillir les confidences, d'échanger sur le mur érigé par le président Donald Trump afin d'arrêter les migrants essayant de traverser le désert et les passeurs de drogue, employés par les cartels. Les escales dans les motels furent l’occasion de souffler et de revoir des films cultes. En marchant, il repensait à « Sicario » de Denis Villeneuve, à « 2666 », le roman de Roberto Bolaño ou à Pancho Villa sur qui il avait eu autrefois l'envie d'écrire un livre. Celui qu'il vient de signer est une balade littéraire et musicale dont les images et les mots s'imprègnent durablement dans la mémoire.
Le Soir, Pierre Maury, 19 octobre 2024
« Coyote » : les paroles de la frontière de Sylvain Prudhomme ***
Le long de la frontière mexicaine, Sylvain Prudhomme voyage et surtout écoute en regardant le mur de Trump : « Coyote ».
Deux semaines pour faire 2.500 kilomètres, l’essentiel en auto-stop, le long de la frontière mexicaine de la Californie au golfe du Mexique : un sujet de reportage (pour la revue America) sur lequel Sylvain Prudhomme s’était lancé comme il se lance souvent dans ses romans : sans filet. Coyote, ce sont les chutes accumulées pendant deux semaines, les propos recueillis d’un véhicule à un autre.
Sylvain Prudhomme s’y fait discret, sinon dans quelques commentaires intercalés entre les paroles de Luis, José, Mauricio, Great, Hector, etc., automobilistes et routiers qui l’ont baladé, fragment par fragment, au long de son parcours. Quand ils parlent, on n’entend qu’eux, comme dans une conversation téléphonique saisie dans la rue. Un seul des deux interlocuteurs est audible et il faut deviner ce que dit l’autre. Parfois, c’est évident, souvent, beaucoup moins. Coyote, donc, selon une définition fournie au début du livre : « Au Mexique et en Amérique centrale, individu qui se charge clandestinement, moyennant rémunération, de faciliter un trajet. Passeur. » C’est la grande affaire de cette frontière, comme on sait, avec le mur que Donald Trump voulait ériger pour la rendre infranchissable, en faisant payer les Mexicains. Et un sujet qui revient souvent dans les conversations.
« Ah Trump. Ce gros naze. Ce foutu trouduc. »
Le retour de Trump au premier plan de la vie politique américaine est d’ailleurs ce qui a incité Sylvain Prudhomme à reprendre les carnets dans lesquels il avait noté au vol les phrases des automobilistes lors de son voyage. « J’ai été frappé de constater avec quelle netteté je me rappelais les intonations, les phrasés, les grains de voix. Avec quelle force les mots même griffonnés à la hâte avaient chaque fois le pouvoir de ressusciter une présence, un regard. » Trump, son mur, le prétexte du reportage et une présence constante dans le paysage comme dans les commentaires, certains en Espagnol. Juan : « Este chingado de Trump. Il veut arrêter les migrants mais qu’est-ce qu’il croit. » José : « El Trump. C’est grave ce qu’il fait. Il détruit le pays. Il sépare les familles. Il réveille la colère des gens. » Armando : « Ce crétin de Trump. » Donjon : « Ah Trump. Ce gros naze. Ce foutu trouduc. » On pourrait en citer d’autres, mais toutes les voix ne disent pas la même chose. Comme il l’a fait récemment pour La Tribune dimanche en Israël, Sylvain Prudhomme rapporte aussi les avis divergents. Mauricio : « Trump a quand même raison de dire que tout le monde peut pas venir. » Melanie et Martin : « Franchement je l’aime bien Trump, et en même temps je le déteste. Je l’aime bien parce qu’il a des couilles. » L’écrivain n’en pense pas moins et, même discret, on le devine jubiler en lisant, côté mexicain, neuf grandes lettres blanches très visibles de la rive américaine du Rio Grande : « FUCK TRUMP. » À cet endroit qu’autrefois on franchissait à cheval et qui est devenu un filet d’eau. « Maintenant il y a des murs. Des grillages. D’autres murs. D’autres grillages. Des caméras thermiques. Des caméras infrarouges. Des miradors. Des voitures de la Border Patrol. » Coyote est un livre qui n’a pas de conclusion, qui ne prêche rien, qui explique peu. Voilà les faits, ce que pensent les gens, prenez-le comme ça vient, mais arrêtez-vous sur les photos des hommes et des quelques femmes qui ont baladé l’écrivain en lui parlant. Ces pages ont la force brute d’une parole sans filtre.
Le Temps, Julien Burri, 21 octobre 2024
Sylvain Prudhomme, la face cachée du mur de Trump
Dans « Coyote », le romancier retrace son parcours en autostop le long de la frontière séparant les Etats-Unis et le Mexique. Entre paranoïa, arrachement et générosité, il raconte les deux côtés de cette clôture voulue par l'ex-président américain.
De Tijuana à Matamoros. Entre ces deux villes mexicaines, le romancier Sylvain Prudhomme a parcouru en dix jours et en autostop 2500 kilomètres de frontière avec les Etats-Unis. Dans « Coyote », il décrit avec une grande puissance d'évocation une zone de frictions et de fantasmes, d'un côté comme de l'autre du fameux mur voulu par Donald Trump pour limiter l'immigration illégale.
L'autostop est mal vu et souvent interdit aux Etats-Unis; on se méfie des rares marcheurs au bord des routes. Le Français (prix Femina 2019 pour Par les routes) fait figure d'original, un avantage qui lui permet d'aborder des inconnus. Ce ne sont généralement pas des Américains qui acceptent de le laisser monter dans leur voiture, mais des Mexicains, ou des Mexicains d'origine. De modestes ouvriers, des employés, de petits patrons. Au début, des hommes uniquement lui offrent l'hospitalité de leur véhicule, puis des couples, et enfin, vers la fin du voyage, des femmes seules.
Du reportage au récit
Les kilomètres défilent, les discussions se nouent. L'écrivain prend des notes dans un cahier. A la fin, il immortalise chaque conducteur â l'aide d'un Polaroid. De ses trajets passés à parler de la vie quotidienne, des paysages, des joies et des peines, du travail, de la politique et de l'immigration, Sylvain Prudhomme a ramené la matière â un reportage. C'était en 2019, sur une demande de la revue française America.
Parue entre 2017 et 2021, fondée par François Busnel et Eric Fottorino, America proposait à des écrivains de dresser le portrait de l'Amérique sous la présidence Trump. Sylvain Prudhomme a publié son reportage, mais son périple a continué de résonner en lui : il exigeait une forme plus littéraire, plus ample. Cinq ans plus tard, voici donc Coyote.
Le titre intrigue. C'est ainsi, « coyote » - un même mot des deux côtés du mur, en espagnol et en anglais -, que l'on surnomme les passeurs, ceux qui profitent des immigrés, leur extorquent des fortunes, les abandonnent parfois en plein désert. Les immigrés sont des pollos, les « poulets ». Beaucoup ne survivent pas à la traversée du désert.
Chacun de ses trente et un trajets fait l'objet d'un bref chapitre Aucun mot de l'écrivain-narrateur n'y est reproduit, la place est entièrement laissée à la parole des inconnus. On le devine seulement, en creux, dans les réponses que lui font ses interlocuteurs. Lui-même ne parle directement de son voyage que dans de petits chapitres intercalaires. Le livre devient la traversée sensible, émotionnelle, d'un territoire ; les questions politiques et géopolitiques sont vécues concrètement, à hauteur d'hommes et de femmes.
Capturer l'aura
« Il y a une lenteur qui fait que ne s'impriment pas uniquement des idées, mais aussi des présences », explique l'auteur, venu à Genève en septembre dernier à l'invitation de la Société de lecture. « C'est ce que j'ai essayé de restituer : ces présences, ces auras. Il y a les mots et il y a ce que l'on dégage en les disant, l’invisible, le non verbal, qui touche et émeut. »
Certains passent la frontière tous les jours pour travailler aux Etats-Unis mais n'ont pas le droit d'y rester pour la nuit ; d'autres ne la traverseront jamais. Nous rencontrons Luis, patron d'une petite boite d'importation d'avocats. Belinda et Rodolfo, femme de ménage et peintre en bâtiment. Great, un dealer. Hector, un informaticien, parle de paysages enneigés et d'opéra. Dror se révèle être un employé des services d'immigration américains, spécialisé dans l'expulsion des illégaux. Des mots apparaissent en anglais ou en espagnol pour mieux restituer la couleur des propos. Le même dispositif, simple et efficace, est répété : après chaque phrase rapportée, l'auteur fait un retour à la ligne.
Un déchirement pour les familles
« Son mur, toujours son mur. /Mais même s'il arrive à le faire, tu sais qui le construira ?/ C'est nous, les immigrés mexicains. /Et parmi nous des illégaux, à tous les coups ! » confie José, ouvrier. Le même évoque le peuple amérindien qui voit son territoire absurdement coupé par le mur : « Il va séparer les familles, couper les gens de leurs proches, leur faire perdre à jamais les tombes de leurs ancêtres. » Pour sa part, Martin, pourtant Mexicain lui aussi, annonce : « Franchement, je l'aime bien Trump, et en même temps je le déteste. »
A la fin de chaque chapitre, la photo portrait du conducteur est reproduite. Ces rencontres fortuites émeuvent ou troublent profondément.
« Je peux passer des heures à écouter les gens », poursuit Sylvain Prudhomme. « J'ai passé mon enfance dans des pays d'Afrique, en suivant mes parents qui étaient coopérants. A chaque déménagement, je devais me familiariser avec un nouvel environnement. La meilleure manière de le faire, c'était d'écouter. »
L'un de ses premiers textes, Là, avait dit Bahi (L’Arbalète, Gallimard, 2012), s'inspirait des histoires racontées, au volant de son camion, par un ancien ouvrier, employé de la ferme gérée par le grand-oncle de l'écrivain, avant l'indépendance de l'Algérie. « Au début, j'aimais surtout interroger des personnes âgées, fasciné par le temps et la route qu'elles ont déjà parcouru. »
En septembre, il était en Israël et en Cisjordanie, en reportage pour La Tribune Dimanche. Une autre frontière, un autre mur. Le reportage est souvent chez lui une première étape vers le récit. « Le récit permet d'incarner, de ne pas gommer les contradictions, les paradoxes du réel. » Les Grands (2014) se déroulait en Guinée-Bissau, sur les traces du groupe de musique Super Mama Djombo. Pour Légende (2016), le romancier a exploré la plaine de La Crau et la vie des bergers, aux portes d'Arles, où il vit. Parfois, la fiction inspire le réel. Dans Par les routes, il dépeignait un autostoppeur avide de rencontres, armé d'un Polaroid. Exactement ce qu'il allait devenir lui-même par la suite.
Circulation des fantasmes
« Les frontières me fascinent. Enormément de choses s'y jouent. C'est un lieu très riche de circulation humaine, mais aussi de circulation des fantasmes. C'est là que toutes les représentations de l'autre peuvent s'écouter, exacerbées. » Le voyage n'a pas été sans peine, sans crainte, sans solitude et mélancolie, mais cette dureté cède la place à une douceur, aux réminiscences du film Paris, Texas de Wim Wenders - une histoire de désert, de retour impossible, d'errance.
« Je vois souvent les livres comme un véhicule. Le narrateur que je choisis est un cocon à partir duquel regarder le monde. On traverse le monde à l'intérieur de ce cocon, à bord du livre. » Ce véhicule extraordinaire se joue des frontières, des murs, des passeports, du temps et des classes sociales.
Le Point, Valérie Marin La Meslée, 2 novembre 2024
« Coyote », de Sylvain Prudhomme frontière mexicaine : auscultation de l’Amérique à la frontière mexicaine
L'écrivain publie ses conversations au sujet du mur de Trump le long duquel les automobilistes l’ont pris en stop pendant un road trip instructif.
En 2019, Sylvain Prudhomme remportait le prix Femina pour Par les routes, dont le héros entamait un tour de France en stop pour voir, pour rencontrer des gens, savoir comment les autres vivent… Dans Coyote, qui vient de paraître, l'auteur prend la place de son personnage. « Souvent, on s'inspire de ce qu'on a vécu pour écrire. Pour une fois, ç'avait été le contraire : je m'étais inspiré de ce que j'avais écrit pour vivre », écrit Prudhomme à propos de ce « livre de la frontière vécue, éprouvée », celle qui va de la Californie au golfe du Mexique, le long du « mur » de Trump.
De Tijuana à Matamoros, Prudhomme a parcouru 2 500 kilomètres en stop en deux semaines ! « Putain ! » s'exclame-t-il. Et il a raison de s'étonner de sa propre performance, réalisée pour un reportage dans la revue America, et qui est à l'origine de ce nouveau livre. D'ailleurs, tous les automobilistes qui ont pris « Silvano » sur la route l'ont traité de fou !
Mais voilà, ces jours-ci, alors que le monde entier attend les résultats de l'élection présidentielle américaine, lire les conversations que l'écrivain a retranscrites dans ce livre, c'est faire un vrai voyage dans les mentalités, les têtes et les cœurs parfois, de cette population frontalière, majoritairement latino. « Depuis dix jours que je voyage, je peux faire le compte : j'ai été pris en stop par 18 Mexicains, riches, pauvres, anglophones, hispanophones, illégaux, régularisés, résidents, naturalisés américains. Je peux aussi faire le compte des Blancs qui m'ont pris : 1. » Cinq jours après, un second Américain blanc s'arrêtera. Ce qui ne change pas la donne ! Ni celle de la représentation minimale des femmes
Pourquoi le titre Coyote ?
Ce livre porte en titre le surnom donné aux passeurs qui conduisent de l'autre côté de la frontière les migrants, surnommés, eux, les pollos, les poulets. Quant aux patrouilleurs de la « Border Patrol » qui font la chasse aux poulets, on les appelle les haricots verts, green beans, en référence à la bande verte en travers de leur voiture. En conduisant et en s'apprêtant « à les doubler tranquillement », Victor, qui livre des escaliers, raconte à Prudhomme : « C'est fou ce qu'ils achètent comme escaliers dans le Michigan. Et toujours des escaliers faits au Mexique. Si ça se trouve, tu sais qui les achète ? Trump ! Il a peur que les Mexicains s'en servent pour escalader son foutu mur ! Quel enfoiré. Il nous offense tellement. Nous tous, les Mexicains. Légaux et illégaux. Chaque fois qu'il parle, pour nous, c'est une insulte. » Les Portoricains comprendront…
Et même Donjon, un Américain blanc, renchérira dans sa langue crue, transcrite telle qu'à l'oral : « Alors comme ça, tu bosses sur le mur de Trump. Ah, Trump. Ce gros naze. Ce foutu trouduc. […] Pour nous, ce type est un choc quotidien. J'ai habité à New York, j'en ai connu des mecs comme lui. Il n'est pas aussi crétin qu'on le dit. C'est faux de dire qu'il serait totalement crétin. Simplement, il regarde que la réussite. Il est raciste, c'est une évidence. Mais il est encore plus classiste que raciste. C'est-à-dire que tu peux être noir ou latino ou ce que tu veux, si tu réussis à t'enrichir, pas de problème : t'as ta place dans son Amérique. Le problème, c'est si t'es pauvre. »
Les contrôles de la Border Patrol pourrissent la vie, pourtant rêvée, que Sheila et Gary ont choisie en prenant leur retraite dans ces paysages immenses qui sont aussi des personnages de ce livre tant les automobilistes ne se lassent pas de vanter leur beauté à l'autostoppeur. « Y a plus que la Border Patrol qui nous fatigue. 24 heures sur 24, ils font leurs rondes. On est dans la zone de passage des migrants. Pas loin du couloir de la mort où ils sont des centaines chaque année à mourir de soif. La Border Patrol les traque jour et nuit. Avec des hélicoptères, des jeeps, des troupes armées. Ils les poursuivent jusque dans les montagnes. »
Migrants qui, comme la plupart des migrants au monde, cherchent du travail… Et en trouvent, pour des raisons bien connues partout. Armando, qui travaille sur une plantation, l'explique à Silvano : « No quieren trabajar los gringos. On est tous des Mexicains. Et, parmi nous, 70 % d'ouvriers qui habitent au Mexique. 70 % d'ouvriers qui, tous les jours, se lèvent à 5 heures du matin, prennent le bus affrété par la plantation, viennent travailler, et le soir rentrent chez eux. La plantation est à plus de 100 bornes de la frontière mais ils font l'aller-retour. Ils ont pas le droit de rester dormir sur le territoire. »
Plus qu'un grand reportage, l'exercice d'un écrivain
D'une voiture à l'autre, les sujets à la fois se recoupent et s'étendent, comme en compagnie d'un chauffeur nommé Jesús Santa María, fils d'Indien Yaqui, décrivant la situation des Indiens ici : « Avant on pouvait aller d'un pays à l'autre. Nous, les Yaquis, notre territoire est à cheval sur les deux pays. On n'est que 15 000 mais depuis toujours on circule, on va et vient du nord du Mexique jusqu'à Phoenix. Maintenant, il y a ce mur. Les troupeaux ne peuvent plus passer. Le vent, le sable, les serpents, les oiseaux, tous les petits animaux passent. Pas nous. »
Bien différent d'un grand reportage, l'exercice est celui d'un écrivain, qui a gardé la musique des dialogues, respecté les niveaux de langue, introduit ses propres questions dans l'échange, ainsi sur la violence… « Est-ce qu'on s'inquiète pour la sécurité ? Sincèrement c'est plutôt ici qu'on s'inquiète. Au Mexique, il y a des règlements de compte entre bandes de narcos, c'est sûr. Il y a des morts, il y a beaucoup de violence entre membres des cartels. Mais tu verras jamais de fusillade dans un lycée. C'est aux États-Unis que le premier crétin venu peut acheter des armes au supermarché, c'est ici que presque chaque jour un malade débarque dans un lycée avec une arme et tire sur des gamins. Que chacun balaie devant sa porte avant de donner des leçons. »
Quelques pages plus tard, l'auteur extrait d'une revue de presse un exemple presque quotidien de la violence au Mexique. Et puis exprime sa lassitude, ses coups de panique, ses doutes mais aussi ses références : Paris, Texas, de Wenders, ou encore l'incontournable 2066 de Bolaño, avec cette ville magnétique de Juarez qu'il a du mal à quitter.
Dans ce voyage au bout du mur, il arrive des surprises, qu'on pourrait taxer d'ironie du sort, et, là, l'autodérision du héros narrateur est de mise, lui qui ne peut pas tout savoir en un trajet, aussi long soit-il parfois, de l'automobiliste qui a accepté de le prendre ! Ainsi de Dror, dont il quitte le véhicule, juste avant la photo rituelle, le polaroïd souvenir : « Je lui demande enfin son métier. Je travaille pour l'Immigration and Customs Enforcement, l'ICE. Tu connais ? Au service des Air Removal Operations, les expulsions aériennes. On s'occupe de reconduire les illégaux de l'autre côté de la frontière. Pas plus tard qu'aujourd'hui, on en a reconduit 60. »
En attendant Nadeau, Oriane Delacroix, 5 novembre 2024
Si l’aspect documentaire du livre est passionnant et extrêmement instructif, la grande réussite du texte et son charme particulier se situe dans l’épaisseur que Sylvain Prudhomme donne à la notion de frontière et aux variations qu’il dessine autour de ce motif. Peut-être plus que les questions politiques liées à l’immigration clandestine et ses drames, plus encore que la manière dont la frontière est éprouvée au quotidien par les femmes et les hommes qui l’habitent, ce qui semble intéresser Sylvain Prudhomme, ce sont les seuils, les identités multiples, complexes et les lignes invisibles qui existent entre les êtres, mais aussi entre la réalité et la fiction.
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