Benoît de Cornulier
Effets de sens
1986
Collection Propositions , 208 pages
ISBN : 9782707310507
15.30 €
Un jeu de collectionneur très prisé des amoureux de la langue consiste à découvrir et multiplier les sens d’un même mot, comme un jardinier aime voir se multiplier les variétés de roses.
Les dictionnaires sont de riches collections, où l’on peut admirer, par exemple, à côté du ou exclusif de “ Fromage ou dessert ”, le ou non exclusif de “ Priorité à toute personne âgée ou handicapée ”, et le ou mystérieux des questions alternatives, où fleurissent, à côté du bon vieux si conditionnel, le si concessif, le si restrictif, le si bi-affirmatif. Et cetera.
Le problème est qu’un signe devant être compris, une langue risquerait d’être d’autant moins claire et pratiquable qu’elle serait “ riche ” d’ambiguïtés. La récente prise de conscience de ce problème conduit aujourd’hui les linguistes à mieux distinguer, dans le sens de l’emploi d’un mot, l’apport propre de ce mot en soi, et l’effet de sens résultant de sa réaction au contexte. Cette recherche oblige parfois à remettre en question les résultats d’une “ formalisation ” trop précipitée du sens.
Ce livre est une initiation, par divers exemples, à l’analyse sémantique conduite avec cette préoccupation.
‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑
Avertissement – Notations
I. Introduction à l’analyse dérivationnelle du sens : 1. Introduction – 2. Ou et son sosie – 3. Drôle de et – 4. Treize six à la douzaine – 5. Deux : au moins ou exactement ? – 6. Diversité des présomptions d’exhaustivité – 7. Conclusions.
II. Logique spéciale ou pragmatique ? sur un problème d’ intelligence artificielle : 1. Introduction – 2. John McCarthy chez les sauvages – 3. Le bon sens de John McCarthy – 4. Circonscrire quoi et quand ? – 5. Les conditions pragmatiques de la Circonscription – 6. Logique ou pragmatique.
III. Ou asymétrique et les questions alternatives : 1. L’enjeu – 2. L’analyse sérielle symétrique des questions alternatives – 3. Ou asymétrique et le décrochage énonciatif – 4. Analyse sérielle dissymétrique des questions alternatives – 5. Éloge de l’analyse dissymétrique des questions alternatives – 6. Oui ou non ? – 7. Questions disjonctives et présupposition d’alternative.
IV. L’énonciation conditionnelle.
Référence – Index.
Jean-Claude Chevalier (La Quinzaine littéraire, 15 juillet 1986)
(…) L’examen méthodique des données, la découverte et la mise au pas des ambiguïtés conduit par nécessité à poser les conditions d’emploi. Et mène à Cornulier ; il suffit de renverser la vapeur et d’inverser la sémiosis : ton badin de B. de C. et une ironie constante dont la moindre n’est pas d’avoir emprunté son titre, Effets de Sens au vieux théoricien Gustave Guillaume.
Livre ouvert à tous, jeunes et vieux, à “ ceux qui s’intéressent au langage à partir de l’analyse littéraire ou de l’informatique et de l’intelligence artificielle ”. Livre mobilisé pour une opération d’hygiène : constater la complexité des analyses sémantiques sur des problèmes d’interprétation très concrets. Livre d’agression contre les Systèmes a priori et plaidoyer pour les analyses frottées aux nécessités du langage en action.
Livre épatant donc, roboratif, savant, qui ravira les logiciens autant que les habitués du Gault et Millau, quand un restaurateur vous propose “ Fromage ou Dessert ”, s’engage-t-il à vous fournir seulement l’un des deux selon possibilités ou vous laisse-t-il vraiment le choix ? Réponse dans B. de C. : c’est un problème à “ situer ” les monosyllabes et, ou, si. Car parler, c’est “ construire ” une situation et une signification. À témoin les casse-têtes logiques. Trois missionnaires, trois cannibales, un canot, une rivière et le logicien construit une inusable Règle de Circonscription. Réargumentée spirituellement et pragmatiquement par B. de C., la règle est dite “ irresponsable et dangereuse en dehors de certaines conditions, tenues secrètes par l’inventeur ”, B. de C. ajoutant que “ si on connaît ces conditions, on peut se servir sans danger de la règle, mais on n’a plus besoin de la règle ”. Il suffisait de penser que pour traiter un casse-tête logique, on le traite comme un casse-tête logique, ce qui dicte une stratégie décisive de présuppositions et d’exclusions.
Si l’on convient de toujours observer l’énonciation et de s’embarquer avec Grice et Ducrot, on en arrive à la jusqu’ici très méconnue notion de “ décrochage énonciatif ”. Dire “ la liberté ou la mort ”, “ Bouge pas ou je tire ”, c’est tenter d’imposer la première solution et – très éventuellement – d’envisager seulement la seconde. Des phrases bizarres comme de Stendhal : “ Je ne peux pas l’embrasser ou elle me méprise ” ou ce couplage de deux performatifs “ Je t’ordonne de te taire ou je te préviens que je te fous dehors ”, encore des coups du décrochage énonciatif.
C’est que la plupart des couplages alternatifs sont en réalité dissymétriques. À preuve, on peut dire à B. de C. : “ Tu charries ou quoi ? ”, mais pas : “ Quoi ou tu charries ? ” (…)