Romans


Alain Sevestre

Double suicide villa Godin


1987
114 pages
ISBN : 9782707311153
8.50 €


Paul met du temps à choisir l'arme qui conviendra. C'est pour un suicide, avoue-t-il à l'armurier. Rentré chez lui, villa Godin, il achève les préparatifs de sa disparition, sous l'œil curieux de son voisin, Gélase. Ils habitent chacun la moitié d'un petit pavillon coupé en deux et l'histoire sera le transfert d'un côté de la cloison à l'autre de quelque chose dont Gélase ignorera jusqu'au bout le contenu.

Patrick Grainville (Le Figaro, 30 mars 1987)

Alain Sevestre : le cerveau déréglé
 
 (…) Alain Sevestre appartient peut-être à cette gamme de dandys qui fignolent des petits bouquins attirants et absurdes. C'est fait de clins d'œil calibrés, les personnages sont d'exquis cinglés, des zigotos mélancoliques et pernicieux. Un peu comme dans les films de Jarmusch.
L'intrigue est géométrique : un petit pavillon, coupé en deux aux environs du Père-Lachaise. Paul et Gélase habitent dans les deux ailes. Les deux voisins s'observent sans haine, avec des indulgences printanières quand un rayon taquine les nuages et que l'on peut siroter un pastis sur la terrasse de Gélase. La partie va se jouer entre ces deux extra-terrestres. Une partie très loufoque et très mystérieuse. Car les mathématiques d'Alain Sevestre sont perverties par un principe actif de frénésie et de dislocation.
Paul creuse un trou dans le jardin pour enterrer ses meubles avant de se suicider. Il achète un revolver à cet effet. Très jolie scène chez l'armurier. Paul écoute à longueur de journée un enregistrement du cri des baleines. Chant souverainement triste et suicidaire. En passant, je recommande à l'auteur le chant du lémurien dans la nuit malgache, c’est encore plus métaphysique et dévasté.
À propos de baleines, les deux voisins s'interrogent sans cesse sur les raisons qui poussent ces mammifères au suicide collectif. Tout de go, je fournis la réponse, il parait que c'est à cause de leur sonar détraqué. Un parasite se fourre dans l'ouie du leader et toute la bande échoue avec lui dans une grande boucherie moutonnière. Il y a quelque chose de déglingué dans le sonar du romancier Sevestre. Un radar pervers saisit des messages brouillés, perçoit des ondes atypiques, des confidences d'objets et de gens au rebut, c'est un capteur d'incongru.
Paul aime se revêtir de toute une panoplie de prothèses. Harnaché de minerves et de gaines orthopédiques, il fait le chevalier et le scaphandrier. Paul a peut-être commis aussi un hold-up ! Gélase, le voisin, parait d'abord beaucoup plus paisible et moins sophistiqué que Paul. Il est flic, fou de filature, voudrait passer inspecteur, c'est un naïf obsédé par le dictionnaire, peut-être qu’il écrit en secret, sa femme l'a quitté.
En fait, Paul et Gélase vont se ressembler et se contaminer assez vite, d'un bord à l'autre du pavillon comme de la nef des fous. Un jeu de vases communicants et mortels s'établit entre les deux compères. Paul vide ses meubles comme la femme de Gélase a vidé les lieux. Les deux hommes sont hantés par le vide et la dissolution. Ils déménagent à plus d'un titre ! La réalité chez Alain Sevestre est bombardée, évanescente. Réel incongru, contingent, éclaté. Le monde cafouille parmi les herbes folles et les gravats. C'est apocalyptique et provincial. On rencontre une concierge, une mobylette, des géraniums dans un climat de delirium très calculé. Les deux cinoques enterrent, déterrent, transfèrent, se prennent en filature effacent leurs traces au fur et à mesure. Il y a du Bouvard et Pécuchet dans L’air, mais ensorcelés par Queneau ou par le Plume de Michaux. Ce sont des écureuils, des castors fébriles, abonnés aux vains parcours, aux pistes qui piétinent, avec des allures de rats insomniaques, tantôt fourmis, tantôt cigales, car il s'agit beaucoup de bêtes dans ce roman, baleines comme on le sait, mais kangourous aussi... beaucoup de kangourous !
On ne sait jamais tout à fait vers quoi tendent tant de manœuvres radotantes et de manies fébriles. Sevestre a le sens du dialogue indicible, des lieux absurdes et symboliques qu'il s'agisse du Père-Lachaise ou d’une laverie automatique. Son livre est lacunaire, mangé aux mites, tuyauterie bricolée par la schizophrénie, toujours en danger de panne, de court-circuit, de tachycardie, d'implosion. Il y a des trous dans les murs. Du plâtre un peu partout. Sauve qui peut les meubles ! On rit comme des baleines suicidaires. On l'aura compris, ce premier roman n’est pas l'œuvre d'un puceau, mais d'un cerveau savamment déréglé. 

 




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