Romans


Éric Chevillard

Dino Egger


2011
160 p.
ISBN : 9782707321435
14.20 €
45 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille, 60 €


Dino Egger, ce nom n'évoque rien pour personne et c'est bien regrettable. C'est aussi parfaitement compréhensible, puisque Dino Egger n'a jamais existé. Il aurait pourtant accompli de grandes choses, s'il faut en croire Albert Moindre dont le nom ne vous dira rien non plus. Pas étonnant, Albert Moindre est un homme modeste, sans éclat. Tandis que Dino Egger devait marquer le monde de son empreinte, ouvrir des perspectives nouvelles, inventer l'harmonie. Pourquoi n’a-t-il pas vu le jour, en dépit de ces excellentes dispositions ? Quelle eût été son oeuvre ? Ne peut-on espérer encore et malgré tout le miracle de son apparition ? Albert Moindre se fait fort de répondre à toutes ces questions.

ISBN
PDF : 9782707324672
ePub : 9782707324665

Prix : 9.99 €

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Patrick Kéchichian, La Croix, 27 janvier 2011

Pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ?

Éric Chevillard orchestre, avec une remarquable fantaisie romanesque, la vieille question existentielle

Nommer les protagonistes d'un roman, c’est tout un art. Un art plus secret que celui des mots, des phrases, de l’action. De ces noms, il faut agencer les lettres, évaluer la sonorité. Puis inventer une biographie, un visage, des désirs, etc. Convaincre enfin le lecteur d’entrer en relation avec cette créature de papier. Prenez Dino Egger, oui, avec deux « g »… C’est le personnage central (et le titre) du dernier roman d’Éric Chevillard. Avant cela, il y avait eu, dans l’œuvre de l’écrivain, d’autres titres, d’autres noms : Thomas Pilaster, par exemple (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999), qui n’existait pas, ou Désiré Nisard (Démolir Nisard, 2006) qui, lui, avait bel et bien existé, mais qu’il a fallu réinventer - pour mieux le vouer au néant –, ou avant cela, Palafox, qui était bien plus qu’un simple poussin (Palafox, 1990)…
Lorsque l’imagination lui donne des ailes, la fiction peut tout se permettre : libérée, allégée du moi de l’auteur, elle fait naître (de rien) et mourir, brouille ou masque les visages, met en crise les identités, donne existence à ce qui n’en avait pas et jette le doute ou le trouble sur les réalités les plus avérées. Tenez, l’an dernier, dans Choir, Chevillard décrivait avec la plus grande minutie une île rêvée en forme de couronne, avec deux mers, intérieure et extérieure, peuplée, ou désertée, par quelques créatures aux noms adaptés : Yoakam, Ilinuk…
Éric Chevillard a derrière lui une bibliographie déjà abondante. On lui connaît depuis longtemps cette manière singulière et rigoureuse de rendre fantastique la plus banale réalité et l’instant d’après de métamorphoser celle-ci en rêve, ou en cauchemar. On le connaît aussi pour les trois fragments, historiettes ou adages bien pesés, qu’il livre chaque jour ou presque (depuis 2007), par l’entremise d’Internet, à l’enseigne de l’Autofictif. Fragments ensuite repris en volume, à l’identique.
Aujourd’hui, c’est donc Dino Egger que l’auteur pousse dans la lumière. A une date et en un lieu indéterminés, l’homme – artiste, savant ou dictateur – qui répondait à ce nom joua un rôle décisif : au point de changer la face du monde dans lequel il intervenait, avec son génie propre, bien ou malfaisant. Plus exactement, qui aurait pu répondre à ce nom, qui aurait pu jouer un rôle… car demeure un doute. Un doute en forme de puits sans fond, d’abîme – ou de labyrinthe. En forme de roman.
Et c’est par la seule vertu du roman que Dino Egger va être enfin démasqué. Pour la première fois, il va apparaître… mais « en creux ». Et dans ce creux, il y a la place pour mille vies, mille destins possibles, et bien davantage. Dès lors, la tâche du romancier consiste à faire le tour des hypothèses, à calculer les proportions et l’équilibre de l’édifice qu’elles forment, à assurer la logique interne du récit, dont le héros manque, se fait désirer, persévère dans l’absence, « pièce manquante, à défaut de laquelle (…) le monde va de guingois. »
Auprès de l’écrivain imaginaire Thomas Pilaster, Chevillard avait placé une sorte de double, le critique et annotateur Marc-Antoine Marson. Ici, c’est Albert Moindre qui jouera le rôle du biographe hanté par son unique sujet, Dino Egger, au point de ne plus exister que par lui, de se perdre dans le puits, le labyrinthe de ce nom, de cette existence virtuelle.
« À quelle époque, par exemple, Dino Egger s’est-il abstenu de naître ? » Albert Moindre, qui avait vocation à répondre à cette abyssale question (et à quelques autres, tout aussi angoissantes), n’a-t-il pas fait obstacle, ou écran, à celui derrière lequel il aurait dû lui-même s’effacer ? Rarement l’interrogation existentielle aura pris un tel poids de fantaisie littéraire. Et en même temps une telle légèreté. Interrogation que l’on pourrait résumer de la manière suivante : Moindre et Egger ne sont-ils pas finalement les figures du doute perpétuel que nous sommes condamnés à éprouver quant à notre propre existence ?

Michel Abescat, Télérama, 2 février 2011

Les vies rêvées d’Egger


Nouvelle boîte à malice d’Éric Chevillard : que serait devenu le monde si le grand Dino Egger avait existé ?

Mais de quoi s'agit-il à la fin ? D'un chef-d'œuvre de non-sense, comme disent les Anglais, une sorte d'humour lié à l'absurde, excentrique et joyeux ? D'une façon culottée de prendre au pied de la lettre le fantasme du jeune Flaubert : écrire un « livre sur rien » ? Ou encore, après L'Œuvre posthume de Thomas Pilaster, Le Vaillant petit tailleur ou Oreille rouge, qui visaient respectivement l'édition savante, le conte et le récit de voyage, d'un nouvel exercice de tir au pigeon, la biographie étant le dernier objet dans le collimateur ? Allez savoir ! Éric Chevillard est capable de tout. Et souvent du meilleur. Pour commencer, l'essentiel est ainsi de souligner le plaisir que l'on a pris à savourer les tours et détours de cette nouvelle boîte à malice.
Après avoir méthodiquement réduit en miettes le cadavre oublié d'un homme politique et critique naphtaliné du XIXe siècle dans Démolir Nisard (2006), Chevillard se livre, cette fois-ci, à la recherche minutieuse d'une personnalité hors du commun... qui n'a pas eu l'heur d'exister : Dino Egger. A la fameuse question : que serait devenu le monde si Einstein ou Marco Polo n'étaient jamais nés ?, il s'agit donc d'en substituer une autre : à quoi ressemblerait ce monde si Egger avait vécu ? « Car Egger, on s'en doute - Dino Egger tout de même ! -, n'eût pas été n'importe qui. » CQFD. La mécanique délirante chevillardienne est enclenchée, le texte se construit avec une précision horlogère, s'auto-alimente, se ramifie à l'infini, il est son propre mouvement, absurde mais indispensable, infiniment drôle et poétique.
« Qu'est-ce qu'une vie qui n'est pas vécue ? » se demande Albert Moindre, son biographe, narrateur du roman. (Un Moindre qui enquête sur rien, le défi, on l'avouera, est immense). « Je fais ce que je peux. J'essaie d'imaginer », se défend le pauvre homme. Et d'inventer mille vies à son héros, de dresser cent listes de ses découvertes, œuvres et pensées. Et, une question en entraînant une autre, de se perdre en conjectures. « Où trouver les témoins d'une chose qui ne s'est pas produite ? Comment décrire l'œuvre inaccomplie de Dino Egger ? A quelle époque Dino Egger s'est-il abstenu de naître ? » Et à quel endroit ? La question est d'importance car « s'il naît plutôt en Egypte, voici d'emblée résolu le mystère des grandes pyramides » !
En tentant de répondre à ces interrogations, Albert Moindre donne vie à Dino Egger, le met au monde, lui prête son souffle et sa voix, jusqu'à se fondre en lui, jusqu'à se laisser surprendre par sa créature. Moindre, forcément moindre... Et si le sujet de ce récit virtuose et hautement réjouissant était, au bout du compte, l'écriture elle-même, le rapport entre l'auteur et son personnage ? Et la dimension fictionnelle de cette construction qu'on appelle une vie ou un destin ?

Christophe Kantcheff, Politis, 3 février 2011

L’homme qu n’existait pas

Dans Dino Egger, Éric Chevillard interroge avec malice le genre de la biographie

Souvent, les bonnes idées consistent à renverser les évidences, comme on retourne un gant. Il en est ainsi de celle dont l’énoncé résume le nouveau roman d’Éric Chevillard : Dino Egger
est la biographie d’un homme… qui n’a jamais existé ! Mais il faut se méfier des bonnes idées. Celle-ci ne risquait-elle pas de déboucher sur un « livre concept », se réduisant, précisément, à sa bonne idée initiale, mais n’en décollant pas, et même s’y exténuant ? Piège évité. C’est qu’il fallait du souffle ! D’autant que ce Dino Egger, qui n’est personne, n’est pas n’importe qui. Un grand homme. Mieux encore, un être dont la non-existence est un scandale tant il aurait changé la face du monde si, de ce monde, il avait été. Alors, bien sûr, il est impossible de l’imaginer dans des situations médiocres, au long d’un quotidien grisâtre. Inversement, son biographe se nomme Albert Moindre. Un petit monsieur sans dons qui maltraite ses méninges pour donner vie à son héros-toujours-plus.
Mais comment raconter une existence qui n’a pas été ? Là opère la maestria d’Éric Chevillard. Car tout se passe d’abord dans la langue, dans le déploiement de ses possibilités, de ses richesses. Le roman avance à coups de suppositions (« Dino Egger aurait pu être ceci… »), de dénégations (« il n’aurait pu être cela… ») et de multiples figures de style, que l’usage du conditionnel ou du subjonctif vient brillamment entretenir. L’écriture d’Éric Chevillard est un spectacle. Pas tant parce qu’elle en mettrait plein la vue que par sa haute précision et sa faculté à enclencher l’imaginaire du lecteur, à lui faire perdre le sens du rationnel, tout en ne cessant de lui procurer un rire intérieur. Parce qu’il y a toujours un double fond chez Chevillard, sinon un triple, un quadruple…
« Pourquoi y eut-il rien plutôt que Dino Egger ? » Même si cette question fait mal (surtout à Albert Moindre), elle était inévitable. Ainsi, le roman taquine la métaphysique, comme le pêcheur le poisson. Avec des clins d’œil appuyés vers des personnages célèbres qu’on a longtemps attendus, et qu’on attend toujours, tels le Messie, Godot, etc.
La biographie est un genre problématique. C’est aussi ce que rappelle à sa manière Éric Chevillard, qui, de livre en livre, distille des points de vue critiques, plus ou moins explicites, sur le monde des lettres ou la littérature – Démolir Nisard (Minuit, 2006) est ainsi l’un des livres les plus incisifs contre une certaine critique, démagogique, présomptueuse et conservatrice. Ici, ce ne sont pas les biographes plagiaires qui sont dans le collimateur (bien que d’actualité !), mais la propension à recourir aux clichés, psychologiques notamment, pour expliquer le parcours d’une personne. Albert Moindre se montre généreux en la matière envers Dino Egger, ne reculant devant aucune ficelle pseudo-romantique pour figurer son génie. En outre, l’identification du biographe à son héros semble peser comme une quasi-fatalilté. Conséquence : plus le second est grand et singulier, plus le premier s’en trouve valorisé. Pas étonnant qu’Albert Moindre ait choisi de raconter la vie de Dino Egger, le plus extraordinaire, et pour cause, des hommes. Mais rien n’est simple entre la créature et son créateur, et la rivalité affleure, source de danger.
Simultanément, Éric Chevillard fait paraître le 3e tome des pensées qu’il dépose, au nombre de trois chaque jour, sur son blog, l’Autofictif. Le livre s’intitule l’Autofictif père et fils. C’est un bonheur d’humour. On peut y lire ceci sur le genre biographique : « Il se mord les doigts d’avoir consacré cette biographie à Pierre Petitpierre qui depuis lui adresse chaque soir un compte rendu circonstancié de sa journée en vue de la suite ».
 

 




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