Romans


Maurice Blanchot

La Communauté inavouable


1984
96 pages
ISBN : 9782707306661
13.00 €


Il semble désuet de parler de communauté. Notion vague qui renvoie nostalgiquement à un passé lointain où des groupes restreints constituaient l'essentiel du fait social. Et les temps modernes témoignent ou paraissent témoigner non seulement de la perte définitive de l'idée de communauté, mais de l'oubli de ce qui s'est perdu avec cette perte et cependant de ce qui s'est maintenu dans cette perte même.
Ce qui s'est maintenu et qu'il est nécessaire de redécouvrir, c'est une exigence ancienne et nouvelle qui concerne l'avenir. Qu'un écrivain, aussi important et, il faut le dire, aussi méconnu que Georges Bataille, ait été fasciné par cette recherche où se jouait, avec son propre sort, le destin de la communauté, du communisme et de la communication, voilà ce qu'on a en général négligé et que Maurice Blanchot à partir d'un essai de Jean-Luc Nancy, s'est efforcé de retrouver, puis de mettre en lumière en montrant (en essayant de montrer) les voies qui nous ont été ouvertes par l'échec de plusieurs tentatives qu'il a suscitées et qui n'étaient pas destinées à réussir (Contre-attaque, Acéphale, le Collège socratique).
Mais de quelle communauté s'agit-il ? Qu'est-ce qui se cache ou se dérobe sous ce nom de communauté ? Et comment un événement aussi singulier que celui de Mai 68 et aussi apparemment banal que la manifestation de Charonne peuvent-ils nous aider à poser cette question et à concevoir certaines réponses possibles ? Enfin, comment un récit, tel que celui que Marguerite Duras a intitulé La Maladie de la mort et qui semble, du moins à une lecture superficielle, le plus éloigné des enjeux dont nous apprenons ici à reconnaître l'importance, peut-il à son tour nous ouvrir des perspectives nouvelles, dans la mesure où il nous met en présence de la plus inavouable des communautés, par le biais d'une écriture surprenante où la communication littéraire s'expose en même temps qu'elle s'abolit ?
Voilà quelques-unes des interrogations, parmi d'autres, que nous impose la lecture de ce livre. Car c'est finalement notre temps lui-même qui est interrogé dans son avenir menacé, avenir énigmatique où vacille la possibilité d'un futur.

Table des matières      I. La communauté négative
Communisme, communauté - L'exigence communautaire : Georges Bataille – Pourquoi communauté ? – Le principe d'incomplétude – Communion – La mort d'autrui – Le prochain du mourant – Communauté et désœuvrement – Communauté et écriture – La communauté d'Acéphale – Sacrifice et abandon – L'expérience intérieure – Le partage du secret – La communauté littéraire – Le cœur ou la loiII. La communauté des amants
Mai 68 – Présence du peuple – Le monde des amants – La maladie de la mort – Ethique et amour – Tristan et Iseult – Le saut mortel – Communauté traditionnelle, communauté élective – La destruction de la société, l'apathie – L'absolument féminin – L'inavouable communauté

ISBN
PDF : 9782707337580
ePub : 9782707337573

Prix : 9.49 €

En savoir plus

Leslie Kaplan (Libération, 28 janvier 1984)

La parole amitié
 
 Le mot communauté peut-il avoir encore un sens ? Au-delà des avatars, des mensonges, de l'horreur de l'union parfaite, communielle, fusionnelle - qu'elle soit de groupe, de secte ou de couple –, Maurice Blanchot évoque un lieu où " le dire prime le dit ”, un lieu de pure forme en quelque sorte, un lieu vide, pour rien, “ désœuvré ”, mais qui, à cause de cela même, est le lieu de possibilité de toute vie. Il parle de Mai 68, et ce moment on le reconnaît – moment fondateur, moment d'émergence du désir, avant que celui-ci ne retombe dans des mots d'ordre si beaux ou si justes soient-ils. Ce qui mobilise dépasse toujours telle ou telle revendication, et la lutte est toujours une lutte pour la dignité, pour le “ sentiment ultime d'appartenance à I'espèce " selon l'expression de Robert Antelme. En Mai 68, “ la poésie était quotidienne ”, la communication “ spontanée ”, et sur les murs on retrouvait ce qui est au principe de toute littérature : le souci de transmettre non un savoir, ni un discours, même critique, mais un sens de la rencontre. C'est pourquoi la communauté est coextensive à la parole (Mai 68 : liberté de parole !).
Mais “ de quelles sortes de paroles ” faut-il parler ? On pense à ce que M. Blanchot dit de l'arpenteur, le personnage de Kafka, sa faute, la “ faute essentielle ”, est l'impatience : “ I'homme veut l"unité de suite ”, I'unité des images, voire des idoles, qui calmerait son angoisse. Mais le langage ne va pas de soi, il n'est pas naturel, et la parole vraie n'est pas dans les images qui fascinent, ni dans les évidences qui s'imposent, pas plus qu'elle n'est dans les mots techniques vidés par l'exactitude, ou dans les formules brillantes et enfermantes du discours.
Ce n'est pourtant pas ailleurs que dans la mots eux-mêmes, dans le “ cheminement exigeant ” sur les mots que se trouve cette “ terre promise où l'exil s'accomplit en séjour, puisqu'il ne s'agit pas d'y être chez soi mais toujours au dehors ”. Il faut sans arrêt découvrir à nouveau la “ parole neutre, infinie, sans pouvoir ” (comme le peuple en cortège aux morts de Charonne), la parole qui parle à partir de “ I'impossible et de l'incommunicable ”, où “ la pensée pense plus qu'elle ne peut penser ”. Une parole non totalisante – la vérité sera toujours des morceaux –, une parole qui connaît le mensonge et la transparence, qui se confronte aux “ forces opposées de la solitude et du langage ” (comme les amants dans leur “ intimité vide ”).
Dans le même mouvement, la parole admet qu'elle ne peut épuiser le réel – les mots ne sont pas là pour reproduire les choses, même sous prétexte de les recréer – et refuse l'illusion de combler celui auquel elle s'adresse. Elle le laisse libre. C’est elle qui se déploie dans “ I'anonymat du livre ”, dans “ la parole écrite ” dont M. Blanchot dit qu'elle est “ notre désaccord, le don du mot précaire ”.
Reprenant ce qu'il dit de Bataille, on pourrait aussi nommer cette parole amitié – “ amitié pour l'impossible qu'est l'homme ”. 

Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde, 10 février 1984)

Bonheurs du bref
 
 (…) Des textes de Maurice Blanchot réunis sous le titre de La Communauté inavouable. Ne pas se cacher la difficulté de la chose. C'est de la philosophie, pour ainsi dire. Sous peine de ramer, avoir lu Platon, Dostoïevski, Wittgenstein, Duras et Bataille, au bas mot.
Blanchot part, justement, de Bataille, dont une des hantises était : par quelle expérience des sens, de l'amour, de l'extase, de l'action collective, satisfaire le principe d'“ insuffisance ” qui est au fond de chacun, ce besoin d'un “ nous ” rédempteur ?
Sachant qu'il n'est de communauté qu'entre mortels, sans au-delà, que vaut celle des amants, dont les mouvements convulsifs de l'un vers l'autre valorisent le monde sans le justifier ? Savent-ils, ces amants, que leur rencontre, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils en jouissent ou pas, a pour fin nécessaire la destruction de la société ?
Et la communauté la plus chimérique de toutes, celle de l'auteur et du lecteur, comment renaît-elle de son perpétuel échec ? Car enfin la vie ne prend pas sens d'en revêtir un, littérairement, pour autrui ; et l'écrivain, s'il rencontrait l'inconnu idéal pour qui il écrit, nul doute qu'il en mourrait,
Dans sa gambade autour du mot “ communauté ”, Blanchot rencontre l’“ être-ensemble ” de mai 1968, fort et faible d'une effervescence sans calcul ni utilité, insolite et insolent à force d'innocence. Phénomène assez consistant, cependant, pour que le pouvoir, en cherchant à le qualifier (ô “ pègre ” ! ô “ chienlit ” !), ne fasse que désigner son propre désarroi, à peine moins carnavalesque.
Analyse plus fine encore : le cortège pour les morts du métro Charonne, d'autant plus puissant, celui-là, qu'il admettait, sans se sentir diminué, son évidente impuissance, sa toute proche dilution. Ainsi est le peuple : tantôt là, tantôt pas là. Ce passage étincelant est à rapprocher des pages de Kundera (L'Insoutenable légèreté de l'être) sur l'utopie, en voie d'épuisement, des grandes marches fraternelles vers le progrès, la justice et autres sornettes irrécusables.
Tardieu, Simon, Pinget, Blanchot : autant de démentis brefs, coupants, bleus de foudre, au précepte de Wittgenstein selon lequel ce dont on ne peut parler, il faudrait le taire ! 

Philippe de la Genardière (La Quinzaine littéraire, 1er mars 1984)


La maladie de l’homme
 
 Le dernier livre de Maurice Blanchot La Communauté inavouable pose bien des questions : œuvre tout à fait extraordinaire en ce qu'elle nous porte au confluent de trois écritures souveraines (Blanchot, Bataille, Duras), sa lecture n'en laisse pas moins perplexe.
Le texte se donne comme une réflexion sur la notion de communauté telle qu’elle apparaît tant dans l'œuvre de Georges Bataille que dans le dernier livre de Marguerite Duras, La Maladie de la mort. Deux écritures qui, selon Blanchot, seraient traversées d'une même hantise : le désir d'une communauté qui ne se donne qu'en disparaissant, et à laquelle on n'accède qu'en y renonçant parce qu'elle nourrit en son centre un impossible. D'où les deux parties organisant la réflexion du livre : 1. la Communauté négative, c'est-à-dire l'expérience du manque chez Bataille et de l'excès du manque par lequel l'autre, en mourant, me met hors de moi, 2. la Communauté des amants, c'est-à-dire l'expérience de la mort chez Duras comme seul don qui se puisse faire entre les amants et qui fonde la réalité communautaire sur sa disparition.
Arrêtons-nous d'abord sur la Communauté négative car l'interprétation que Blanchot donne de la pensée bataillienne, assurément d'une pénétrante clarté, le conduira selon nous à infléchir le sens de La Maladie de la mort. L'appel à la communauté prend racine dans ce que Bataille nomme le principe d'insuffisance de l'être : parce qu'il y a insuffisance de l'être il y a appel à l’autre, non pour se suffire avec lui mais pour se poser comme extériorité à l'autre. La question est de savoir dans quelle mesure cette communauté ne viserait pas, malgré elle, un état fusionnel, une sorte d'eucharistie comme dans l'expérience monastique par exemple. Or Blanchot, à partir des textes les plus élaborés de ce point de vue, L'Expérience intérieure et Le Coupable, montre parfaitement que le manque est la condition de cette communauté puisque l'insuffisance de l'être ne vise pas à se supprimer mais à s'augmenter au contraire : dans l'excès du manque (de l'autre) j'entre en communauté (avec l'autre) dans la mesure où son absence (la mort de l'autre) me jette hors de moi. C'est dire qu'il n'y a pas de partage dans la communauté puisque c'est la mort de l'autre qui révèle cette communauté. En définitive, la mort serait notre seule communauté.
On sait que ce “ travail de la mort ” inscrit dans l'expérience bataillienne a suscité bien des controverses : “ I'excès ”, “ I'extase ”, “ la transgression ”, autant de mots-clés dans l'œuvre de Bataille qui lui ont valu d'être pris pour un mystique inversé. Si l'on y fait allusion, c'est qu'avec la Communauté des amants, second volet du livre de Blanchot, nous sommes renvoyés à la question de l'amour chez Bataille par le biais du texte de Marguerite Duras. Nous y sommes renvoyés à vrai dire parce que Blanchot, loin de considérer que l'amour à ce point lié à la mort (chez Bataille) pourrait être cet objet-là précisément de la dénonciation proférée dans La Maladie de la mort, éclaire d'une lumière toute bataillienne le texte de Duras.
Dans ce livre, on le sait, un homme (dont on nous dit qu'il n'a jamais connu que des hommes, nous y reviendrons) essaye durant quelques jours et quelques nuits d'aimer la femme avec qui – mais sur la base d'un contrat – il s'est enfermé dans une chambre. “ Vous voulez quoi ? ”, lui demande-t-elle à plusieurs reprises, “ Essayer... essayer d'aimer ”, répond-il obstinément. L'homme pose ses conditions pourtant, qu'elle se taise, qu'elle lui soit soumise. Très vite la femme va porter son accusation péremptoire, c'est la clé du livre : “ J'ai vu que vous étiez atteint par la maladie de la mort. ” Après quoi, une fois rempli son contrat, elle disparaît.
Or cette accusation porte Blanchot à retrouver dans la situation durassienne les figures du manque, de l'excès et de l'extase qui, chez Bataille, font de la mort de l'autre la condition de la révélation communautaire. La seule communauté des amants c'est la mort, car la réalité de la communauté est de disparaître. Ainsi, dira Blanchot, les deux amants sont enfermés avec la mort que la femme révèle à l'homme comme ce qu'il incarne mais comme ce qu'elle attend de recevoir de lui. Est-ce que, si telle était l'intention de Duras d'inscrire l'impossible au cœur de la communauté amoureuse comme condition à s'accorder dans la mort (une mort qui annule cet accord), est-ce que nous dirions encore de La Maladie de la mort qu'il est ce livre stupéfiant qui, de façon extrêmement violente, dénonce dans l'homme et la peur de la femme et le refus d'aimer la femme pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour sa différence ? Et si Duras a parlé d'un homme qui n'aimait que les hommes ce n'est pas pour désigner là un type d'homme : la “ maladie ” en l'occurrence est celle de tous les hommes, de ceux-là qui dans l'amour avec la femme toujours nient la femme.
Il est remarquable que Blanchot ait choisi ce texte de Marguerite Duras pour accompagner sa lecture de Bataille : remarquable parce qu'il nous semble qu'il est celui-là, justement, qui interdisait ce rapprochement. Car il n'est pas vrai que la femme de La Maladie de la mort veuille partager l'impossible avec l'homme ni qu'elle attende de lui qu'il donne la mort : son désir n'est pas là, croyons-nous. C'est d'une femme qui n'est plus soumise à la maladie masculine, celle de la mort, que Duras nous parle, d'une femme qui va donner une dernière chance à l'homme d'essayer, comme il dit, d'aimer en allant même jusqu'à accepter les termes de son contrat. Si elle doit disparaître en définitive, si elle s'absente, ce n'est pas comme dit Blanchot parce que la mort est appelée par elle mais parce que la femme veut dans l'homme accéder à la présence. Présence qu'il lui refuse : “ Vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu'il soit advenu. ” 

 

Du même auteur

Livres numériques

Voir aussi

* La folie par excellence, préface à Strindberg et Van Gogh. Swedenborg ; Hölderlin, de Karl Jaspers (Minuit, 1953, 1970).
*  Le jeu de la pensée, dans  Hommage à Georges Bataille, Critique n°195-196.

Sur Maurice Blanchot :
* Revue Critique n°229, 1966, numéro spécial,  Maurice Blanchot  (Minuit, 1966, réimpression en fac-similé, 1997).




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