Romans


Marion Guillot

Changer d'air


2015
176 p.
ISBN : 9782707328915
14.00 €
25 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Un incident survenu le jour de la rentrée des classes conduit Paul à quitter son poste de professeur, Aude – qu'il aime beaucoup –, et leurs deux enfants. C'est l'occasion pour lui de changer d'air, de revoir Rodolphe, de rencontrer Simon, aussi. D'acheter un poisson rouge, pour son nouvel appartement. C'est essayer de tout recommencer.

ISBN
PDF : 9782707328946
ePub : 9782707328939

Prix : 9.99 €

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Clément Ghys, Libération, 29 août 2015

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas de vie. "Changer d'air", premier roman de Marion Guillot sur la soif de liberté subite d'un professeur à l'heure de la rentrée.

C’est aussi simple qu’incompréhensible. Ça n’a aucun sens et pourtant ça arrive : Paul, professeur de lettres à Lorient, part en cours. Aujourd’hui, c’est la rentrée des classes. Sur le chemin du port où il va prendre le bateau-bus qui l’amène au collège, il voit une dame tomber dans l’eau. Il ne l’aide pas, moins par impolitesse que par incapacité. Il la regarde patauger, salir ses cheveux, sortir de l’eau avec difficulté. La scène s’imprime en lui. La femme ne l’excitait pas, ne lui faisait rien, mais il n’arrive pas à se débarrasser de son image. Elle agit comme un déclencheur, montre à Paul qu’on peut tomber, comme ça, sans s’y attendre du tout dans l’instant qui a précédé la chute. Alors, comme pour accélérer le processus, il décide de glisser de lui-même. «C’est à ce moment précis, je crois, en me voyant là, tout seul sur le trottoir, la chemise mouillée et les pieds presque nus, que j’ai su que je ne ferais pas ma rentrée, et que j’étais en train de m’enfuir.»
«Poisson rouge». Changer d’air, premier roman de Marion Guillot, est le récit d’une disparition. Mais il ne s’agit pas d’un polar. Il n’y a ni intrigue à clés ni coupable. Juste un homme, Paul, pour qui il est évident qu’il doit aller ailleurs, essayer autre chose. L’efficacité du récit tient à l’absence de mobile. Pourquoi Paul quitte-t-il sa femme, ses enfants, son métier, ses livres ? On ne le saura jamais vraiment. Les raisons sont dans le hors-champ : dans notre envie de se dissimuler, d’oser quelque chose de nouveau, de«changer d’air». Le désir est tantôt lancinant, tantôt urgent, mais il est toujours présent quelque part.
Disparaître, c’est bien joli. Mais après, qu’est-ce qu’il se passe ? Paul va s’installer dans un petit appartement, où il ne fait pas grand-chose. Les problèmes d’aménagement domestique occupent son esprit. Il lit, a quelques rituels, bataille avec un ouvrier autour de travaux à réaliser chez lui. Sa vie d’autrefois, d’il y a quelques jours, est oubliée. Les microdétails de cette nouvelle existence sont capitaux. «Un poisson rouge, ça rend plus vivant un appartement.» Alors, il en prend un, qu’il appelle Henri, comme Matisse ou Bergson, qu’il déteste tous les deux. L’animal va mourir, et ce sera un autre déclencheur :«Je vivais, j’allais de nouveau vivre seul dans cet appartement.» Plus loin : «[…] à quarante-cinq ans, séparé, sans emploi, je n’avais même pas été foutu de m’occuper d’un poisson».
Fuir ainsi, c’est devenir poreux à tout, accepter de souffrir dès qu’un imprévu arrive. Paul a beau rester claquemuré chez lui, il est comme en cavale, en danger permanent.
Carriole. Changer d’air a quelque chose d’une double hélice. Le quotidien, détaillé dans chaque page, se nourrit d’un autre mouvement, qu’il entraîne et épouse : la mise en avant de la fragilité des êtres. Marion Guillot laisse dériver son roman entre les genres, passe de la chronique clinique à un esprit surréaliste. Comme quand Paul prend un nouveau poisson, installe l’aquarium dans une carriole et le promène dans le quartier.
La question n’est jamais de savoir si le héros est sympathique, mais il incarne la complexité du contemporain : «Si je me suis attaché à quoi que ce soit ou à quelqu’un dans cette histoire, c’est bien à moi, à cette existence à la solitude inédite, plus dense, plus aérée aussi, je ne m’attache peut-être qu’à moi, je suis peut-être un monstre d’égoïsme, j’ai toujours eu du mal, pourtant, avec ma figure dans la glace.» 

Natacha Andriamirado, La Quinzaine littéraire, 1er septembre 2015

Sous le signe de l’innocence

Une femme qui tombe dans le port. Un homme, Paul, professeur de français, qui s’enfuit. Un poisson, Henri, et puis un autre, Black Moor, qu’il promène dans une remorque « ultra-pratique ». Un ami de longue date qui sait être méprisant. La rencontre d’un menuisier venu soigner les plaies d’une cuisine en détresse. Et dire que Changer d’air est un premier roman ! Il est tout simplement magnifique.

Tout ne se serait peut-être pas passé ainsi si cette passante anonyme du port ne s’était pas « vautrée » dans cette eau, « à 7h20 du matin, a fortiori le jour de la rentrée des classes » ; si l’absurde de la situation, dont ce matin-là il a été le seul témoin, n’avait pas rendu Paul profondément fier « de n’avoir pas porté secours à cette jeune femme, qui, de toute évidence, n’en avait pas besoin », et profondément malheureux en même temps. Mais, puisque la journée commençait de la sorte, sous le signe de la coïncidence et de l’absurde, il fallait peut-être agir en conséquence. C’est donc un désir de fuir qui s’empare de Paul ce jour-là, et le pousse soudainement à « déserter ces territoires de paternité et de mariage » et à quitter son métier de professeur, sans trop savoir pourquoi. Mais c’est ainsi, et peu importe la raison quand la douleur et le dégoût de soi ont la délicatesse de ne pas se répandre en confidences. De confidences il n’y en aura pas dans ce livre étonnant, qui suggère, par une narration neutre et innocente, quelque familiarité avec un Meursault désarmé, transposé dans un environnement de confort, où la vie, sous le contrôle obsessionnel de la mesure, saurait peut-être nous éloigner du tragique.
Fidèle lecteur de Platon, Paul pourrait se comparer à Socrate, s’interrogeant sur sa propre conscience, ses propres savoirs, ses propres pensées, et mettant donc nécessairement en jeu sa vérité existentielle. Mais il n’en fait rien, car la faiblesse qui l’assaille semble l’en dissuader, et, loin de se créer une existence digne de ce nom, il se reconstitue un monde parsemé de détails matériels qui, dans l’abondance et le burlesque de leur précision, nous laissent perplexes, hilares et inquiets à la fois. Rien de grand dans les liens que Paul tisse avec Henri, son poisson rouge peut-être « suicidaire », dont la mort le rapprochera de Rodolphe, un ami – un être humain, cette fois-ci – de longue date, avec qui « l’amitié s’était construite sur fond de rien » et qui s’occupera avec galanterie de sa femme. Rien de grand, non plus, dans la rencontre de Simon, le menuisier chargé de lui faire sa cuisine et qui ne lui accorde qu’un vague intérêt, mais à qui il se raccroche comme à une bouée.
Rien de grand dans cette proposition modeste de Changer d’air, si ce n’est un style, un ton, un regard, qui décrivent à merveille un être assiégé par le découragement. Dénué de toute agressivité, nu, malgré ses efforts pour ne pas le rester, Paul est comme jeté en pâture dans un monde qui ne le reconnaît pas. A moins que...
Telle est la force de ce livre. Nous ramener de la manière la plus innocente possible à la nudité de notre propre vie, entendue comme la nudité d’une vie propre, trop bien rangée. Une vie qui, contre toute attente, peut être sauvée.

Florence Bouchy, Le Monde, 25 septembre 2015

Une femme tombe dans l’eau, d’un pont. Ce n’est pas une tentative de suicide. Juste une chute, qui pourrait figurer parmi les plus belles scènes de la tradition burlesque. En temps normal, Paul en aurait ri. Mais ce jour-là, non. Il assiste, « épouvantablement seul, à une scène horrible ». Et c’est sans doute parce qu’il ne rit plus, parce qu’il colle au réel sans savoir en discerner le relief ou en sentir la profondeur, qu’il décide de « changer d’air ». De s’autoriser une respiration pour remettre en mouvement un quotidien à bout de souffle.
Sa femme est écrivain, elle a passé une partie de l’été en résidence d’écriture. Il est professeur de lettres, pour faire bouillir la marmite. Il quitte son poste, sa femme et ses deux enfants, prend sa voiture et part s’installer à Lorient. Comme ça. Il achète un poisson rouge, pour lui tenir compagnie, et vivote dans un appartement sans évier – il lui faut faire la vaisselle dans la baignoire.
Ce premier roman de Marion Guillot doit à l’évidence beaucoup à ses aînés des Editions de Minuit – au Jean-Philippe Toussaint de La Salle de bain et de L’Appareil-photo(Minuit, 1985 et 1989), et au Christian Oster de Loin d’Odile et de Mon grand appartement (Minuit, 1998 et 1999). Comme chez Toussaint, l’attention prêtée aux objets et détails du quotidien tente de conjurer le sentiment de vide existentiel et métaphysique qui assaille le narrateur, mais ne peut le plus souvent que le rendre encore plus sensible. Ainsi du bocal vide du poisson rouge, qui ne désigne plus que « la terrible et terrifiante absence (…) qu’[il avait] éprouvée de façon presque identique devant d’autres objets ou espaces initialement prévus pour contenir, accueillir, ou recevoir : chaises, bancs publics, bouteilles ou restaurants… Quais en tous genres, évidemment ».
Tiraillements intérieurs

Comme chez Oster, le personnage est bien souvent « embarrassé » et ne sait que dire ou faire dans une situation des plus communes. Il projette ses tiraillements intérieurs sur son environnement habituel, préférant formuler ses difficultés d’ordre pratique que les émotions qui l’envahissent.
Ainsi, lorsque le problème de l’évier manquant est réglé, il lui faut trouver la situation problématique.
« Faire la vaisselle dans l’évier, ce serait par exemple tourner le dos au salon, ce que je ne faisais jusqu’alors, se dit-il, qu’en attrapant un plat dans le réfrigérateur – pour les conserves, c’est dans l’étagère collée au bar, et j’avais posé deux plaques électriques provisoires contre la cloison opposée, perpendiculairement à la fenêtre. »
Si la filiation littéraire de Marion Guillot peut parfois sembler trop évidente, la réussite de ce premier roman tient pourtant, justement, à sa capacité à rendre hommage à ses influences sans les pasticher, et à transformer, l’air de rien, en thème de son roman la difficulté qu’il peut y avoir à passer de la lecture à l’écriture. Professeur de lettres, gros lecteur, Paul a laissé à sa femme le rôle de l’écrivain. Il se contente d’entretenir un dialogue avec Platon, dont il lit l’œuvre intégrale, y cherchant sans doute les secrets de la maïeutique socratique. Changer d’air est le récit du trajet qu’il effectue, sans se le formuler, pour devenir à son tour créateur. Ne plus se contenter de reproduire chaque jour les mêmes gestes, les mêmes rituels, mais inventer son quotidien. Ne plus se limiter à la lecture des œuvres, mais entrer véritablement en dialogue avec elles. Ne pas se donner de « faux airs » de Minuit, mais assumer l’héritage pour voler de ses propres ailes.


Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, jeudi 22 octobre 2015

Marion Guillot. Un début prometteur

Beckett, Toussaint, Oster : comment ne pas penser à ces trois-là en lisant ce ­talentueux premier roman ? L’auteure, née en 1986, semble manifestement les avoir fréquentés. Mais son tour de force, c’est de faire passer sur le prestigieux compagnonnage un air nouveau, plein de malice et de ­fraîcheur, porté par l’audace de s’être glissée dans la peau du narrateur à la première ­personne. Il faut pour un tel exercice d’écriture une belle capacité de distanciation. Un formidable effet d’étrangeté en résulte, qui allie drôlerie et poésie.
Le narrateur de Marion Guillot s’appelle Paul Dubois. Impossible d’imaginer patronyme plus commun pour ce professeur de lettres quittant un matin de septembre le domicile familial afin d’aller faire sa rentrée dans un lycée de Lorient. Sur le port, avant d’aller prendre le bateau-bus, Paul s’attarde à la terrasse d’un café, pour un dernier moment de vacance. C’est bien en effet de cela qu’il s’agit : si l’allure et les gestes paraissent ­assurés, le monologue intérieur met d’emblée en alerte, signalant une altération de la volonté et une manière de ­déphasage avec le monde. Non loin de lui une femme alors trébuche et tombe à l’eau. Il prend note de l’incident, en observe scrupuleusement les détails. Et oublie seulement de se lever de sa chaise. Comme s’il ne pouvait se tenir que dans une sorte de hors-champ. Ce jour-là, contre toute attente, il en tire la conséquence et décide de « s’enfuir ». Il quitte sa compagne et leurs deux fils, prend sa voiture et se dirige vers Nantes. Maintenant seul, il peut goûter aux surprises d’une vie nouvelle. Le voici donc lancé dans une succession de micro-aventures, mi-absurdes mi-burlesques, culminant dans l’achat puis le drame de la mort d’un poisson rouge (« à quarante-cinq ans, séparé, sans emploi, je n’avais même pas été foutu de m’occuper d’un poisson ») et la problématique installation d’un évier dans le studio qu’il vient de louer, avec vue sur la flèche de la cathédrale depuis le Velux de la salle de bains. Marion Guillot excelle ainsi dans la composition d’instantanés désopilants, que son narrateur restitue avec un sérieux imperturbable. C’est que, même bouclé chez lui, Paul n’arrête pas de se sentir en danger. Quoi de plus angoissant, par exemple, qu’un banal canapé Ikea qui ne peut trouver sa place ? Le surréalisme ici continûment affleure, engendré par la panique devant le monde. À n’en pas douter, cet emballant premier roman touche juste et profond.

 

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