Il existerait une photographie de lui sur laquelle on le voit à peine, de dos marchant dans une rue d'Italie. Il porte un costume clair ; c'est l'été.
Autour de cette image, le narrateur du livre rassemble à la fois les épisodes de sa vie, ses fuites, ses errances et dispose plus que des souvenirs, moins qu'une mémoire, les mouvements d'une écriture capable d'inventer ce père. Aussi bien, la réussite de son entreprise dépend-elle moins de la teneur de ces fragments que de la distance qu'ils suggèrent en récompensant à travers leur fragile mosaïque l'image désirée.
Lucien Guissard (La Croix, 10 août 1985)
C'est à cause du sujet que je signale avec plaisir et grande estime littéraire le livre de Jean-Paul Chabrier : Un père. Mais personne ne parviendra à réduire ce livre à un sujet, pour la bonne raison qu'ici le destin de l'écriture, I'épreuve d'un cœur d'homme, est de ne pas trouver le père. Celui qui écrit a vu son père mort ; il le cherche vivant et nous le suivons, de loin, avec respect et impatience, pendant que les épisodes d"Allemagne, les bribes de mémoire, les mots qui s'accusent d'impuissance, tentent vainement de parvenir à un visage. Le père est-il perdu ou bien ne fut il jamais là ?
La littérature comme recherche, c'est aussi ce qui s'écrit au fur et à mesure que le père échappe au simulacre de la réinvention (ou de l'invention). Il en va de même pour l'amour lorsque le narrateur évoque Martha, ne sachant pas davantage si jamais un aveu parviendra à maturité. Il ne sait pas ; donc, la littérature peut continuer. Ce qu'il ne sait pas, le passé devrait en être le dépositaire, mais toute la question est de trouver l'accès. Ignorance de soi-même et impuissance devant ce qui n'est plus : Jean-Paul Chabrier traite ce double " sujet ” qui a inspiré tous les livres et même parfois de mauvais.
Celui-ci n'est pas mauvais, il est bon, malgré l'effet de ressassement qu'on a souvent utilisé auparavant, et s'il est bon c'est à cause de la simplicité des moyens mis au service d’une vraie profondeur. Rien là qui ne soit d'expérience, mais l'écrivain nous convainc par la pudeur, par l'humilité, par le sentiment qui triomphe de sa propre nuit.