Romans


Dominique Noguez

Les Trois Rimbaud


1986
64 pages
ISBN : 9782707310781
7.60 €


Quand Arthur Rimbaud entre à l'Académie française, le 16 janvier 1930, personne ne semble se souvenir de “ l'homme aux semelles de vent ”, du chérubin diabolique des “ Reparties de Nina ” ou du “ voyou ” voyant qui avait défrayé la chronique du milieu littéraire vers 1872. Valéry lui-même, qui prononce l'éloge du nouvel académicien, expédie “ le Bateau ivre ”, Une saison en enfer et les autres œuvres de jeunesse en trois phrases allusives.
Au moment où l'on s'apprête à fêter le 50e anniversaire de la mort de l'écrivain, cette étude voudrait montrer que le Rimbaud de la maturité, celui qui revient du Harar en 1891, qui épouse la sœur de Claudel en 1907, qui se convertit en 1925 et à qui l'on doit quelques unes des œuvres en prose les plus importantes du XXe siècle, est déjà génialement présent, par la manière comme les thèmes, dans ces œuvres de jeunesse oubliées.
L'image qu'on se faisait jusqu'ici du “ patriarche de Charleville ” ne perd rien à cette confrontation.

Michèle Bernstein (Libération, 24 avril 1986)

Dominique Noguez et Rimbaud. Une chasse très spirituelle
 
 Ne cherchez pas, Rimbaud oblige, c'est un bateau. Un très joli bateau qui part du principe que, quand le diable se fait vieux, il devient ermite... Ou plus justement, que le diable devenu ermite, peut aussi devenir vieux. Ce qui permettra à Pierre de Boisdeffre de définir Rimbaud (mais avec une certaine exagération, quand même ?) comme “ le patriarche de Charleville ”.
Dans sa préface de 1912, et ne considérant que la jeunesse du poète, Claudel évoquait déjà trois Rimbaud (la violence – le voyant – la maîtrise). Pour Dominique Noguez, Les Trois Rimbaud sont évidemment a) le jeune poète (un peu oublié de nos jours), b) I'homme d'affaires colonial, c) le grand écrivain catholique français. La troisième période commençant soit en 1891, à son retour d'Afrique, soit en 1893, “ au moment où il refait surface, avec quel éclat, dans un Paris littéraire subjugué par ses Nuits d'Afrique ”, pour se terminer seulement à sa mort, en 1936 (il avait donc quatre-vingt-deux ans). Et tout le propos de Dominique Noguez est de montrer à quel point les œuvres de jeunesse préfigurent déjà – en un sens – celles de la maturité et de la vieillesse.
S'il fallait réinventer cette belle expression, “ pince sans rire ”, on le ferait immédiatement en I'honneur de Dominique Noguez : pas un mot de son petit traité ne tombe dans la franche rigolade et le lecteur ne sourit pas, le lecteur se tord. Une fois le principe posé, rien qui ne soit rigoureusement logique, prévisible même ; pourtant, on va de surprise en surprise. Donc, en 1896, Rimbaud publie son chef-d'œuvre, Nuits d'Afrique. De 1899 à 1911, il commence à accumuler des notes sur le fameux Système de la vie moderne, et en 1927-1928 (après l'éclatante conversion de 1925 au catholicisme), c'est L'Évangile Noir. En 1907, déjà au sommet de sa gloire, il avait épousé la sœur de Paul Claudel (“ ... 1907, d'abord l'année de la mort de sa mère et de son mariage avec Louise Claudel, on a assez commenté la succession rapide dans le temps de ces deux événements ”). J'ai honte de vous déflorer ces détails, le livre de Dominique Noguez devrait se savourer comme un cornet surprise. Rappelez-vous que je ne dis pas tout.
Cet ordre bêtement chronologique n'est pas celui, non plus, de Dominique Noguez. Prenant pour acquis que nous avons tous rabâché la vie de l'écrivain au cours de nos années scolaires, il ne procède que par références au fur et à mesure qu’elles appuient son argumentation. Ainsi débute-t-il : “ Quand Arthur Rimbaud entre à l'Académie française, le 16 janvier 1930, personne ne semble se souvenir de  I'homme aux semelles de vent ... ” C'est Valéry qui prononce le discours. Nous allons distinguer, c'est de saison, trois Dominique Noguez. Le premier, c’est celui du postulat, bête comme chou, mais génial : il fallait y penser. Le second, c'est la pseudo-cuistrerie, le langage et la thèse littéraire, les évidences minimes qui tombent comme des marteaux-pilons : “ ...Mais enfin la comparaison avec l'enfer est explicite dans les Nuits ( une sarabande infernale ) et des mots, des expressions même se retrouvent d'un texte à l'autre ( j'ai soif ...) ” Quant au troisième, pur délice, c’est le pastiche, les citations de tous les autres exégètes rimbaldiens, faussées mais si justes que l'on en reste troublé. La perfidie d'Etiemble-(“ ...S'il est abusif de dire, comme Etiemble, que Louise (Claudel) est morte des tourments et des mauvais traitements qu'il lui a prodigués… ”), la conciergerie littéraire de Léautaud, voici l'extrait de son Journal concernant la mort de Rimbaud : “ ...Duhamel arrive :  Vous avez vu L’Écho de Paris ?  me demande-t-il. Je lui réponds non.  Il présente Rimbaud comme un auteur Gallimard ! … ” Bernard Frank y va de sa désinvolture rapide : “ Tout au plus (dit-il des Nuits) d'un Loti supérieur ”. Renaud Camus, naturellement, défend son territoire ; mais, dit Noguez “ ...Quant à la permanence ou non de l'homosexualité après l'aventure avec Verlaine (... ) on peut difficilement suivre aveuglément Renaud Camus ( Perserverare rimbaldicum , in Chroniques achriennes (...) et tous ceux qui ont glosé sur d'hypothétiques liaisons avec Crevel ou Aragon... ”
Passons, passons, vous vous attarderez ensuite, sur la rupture avec Dada, I'excommunication de Breton. Notons, en courant, que si furent rares (les surréalistes, par exemple) ceux qui ne s'attachèrent qu'au premier Rimbaud et que la gent littéraire, dans son ensemble, ne voulant considérer que le dernier, seul Jean Cocteau sut célébrer la chèvre et le chou. Déplorons que l'iconographie ne comporte pas la fameuse photo de Cartier-Bresson, Rimbaud entre Gide et Malraux au Congrès des Écrivains de 1935 ; mais une autre de Rimbaud blanchi par l'âge, avant déjà adopté sa barbe hugolienne, et une encore, plus touchante, dans le jardin de Charleville en 1931, devraient suffire. Enfin, signalons que Dominique Noguez fait allusion au bruit qui courut, vers 1891, de la mort prématurée de l’écrivain. “ Petit jeu littéraire qui ne manque pas d'intérêt, ajoute-t-il... Comment verrions-nous Gide s'il était mort après Les Nourritures terrestres, Aragon après Le Traité du Style ?... ” Comment ? Ceux que les dieux aiment meurent à trente-sept ans. 

 

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