Propositions


René Rivara

Le Système de la comparaison

Sur la construction du sens dans les langues naturelles


1990
Collection Propositions , 224 pages
ISBN : 9782707313232
25.50 €


Les langues donnent du réel une représentation imparfaite, en raison notamment de l’absence de corrélations régulières entre les structures linguistiques et les structures de ce réel. L’hypothèse d’un tel isomorphisme s’est pourtant maintenue dans les études du domaine de la comparaison quantitative. On semble admettre qu’il ne peut exister que trois structures morphosyntaxiques, destinées à exprimer les trois relations comparatives qui peuvent seules exister entre deux objets “ réels ” : supériorité, égalité ou infériorité – situation particulièrement satisfaisante puis qu’ici la langue semble calquer ses structures sur celles du réel qu’elle décrit.
Un examen plus attentif fait apparaître la fausseté de cette conception : en réalité les relations comparatives sont construites par la langue et déterminées par d’autres structures que celles du réel.
Le système de la comparaison apparaît comme le résultat d’une interaction entre plusieurs secteurs de la langue. On doit étudier pour commencer les structures mentales oppositives de la sémantique scalaire (beaucoup / peu, grand / petit, much / little, etc.), composante fondamentale du système comparatif. La corrélation syntaxique, expression de la relation d’identité, et les négations qu’elle peut incorporer donnent ainsi naissance au couple des deux relations d’égalité et d’inégalité.
L’étude du système de la comparaison conduit à penser que l’image donnée du réel par la langue est déterminée en grande partie par des structures cognitives antérieures à l’élaboration des structures linguistiques.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Introduction

Chapitre I : La comparaison quantitative. 1. La conception classique de la comparaison – 2. Les deux relations comparatives et leurs marqueurs en français et en anglais

Chapitre II : Le processus de quantification. Quantification numérique et sémantique scalaire. 1. La quantification numérique – 2. Le processus de quantification au niveau linguistique – 3. La quantification dans le discours

Chapitre III : La quantification évaluative : les quantificateurs. 1. Sémantique dénotative et sémantique évaluative – 2. La sémantique scalaire : quantificateurs, adjectifs, adverbes – 3. La comparaison des quantificateurs

Chapitre IV : La quantification évaluative : noms, adjectifs, adverbes. 1. Le lexique de la quantité-qualité – 2. Le système complexe de la comparaison adjectivale – 3. La sémantique des comparatifs adjectivaux – 4. Conclusions

Chapitre V : Comparaison, corrélation, relation d’identité. 1. La comparaison comme corrélation – 2. L’expression de l’identité : corrélations relatives et comparatives – 3. L’énonciation des subordonnées corrélatives et les corrélations  logiquement anomales 

Appendice : L’argumentation du discours et le raisonnement de la logique. I. Qu’est-ce que la force argumentative ? – II. De quelques  opérateurs argumentatifs  – III. L’argumentation et le raisonnement

Références bibliographiques

‑‑‑‑‑ Extrait de l’introduction ‑‑‑‑‑

Les langues sont-elles un instrument valide de connaissance du monde qui nous entoure, ou bien sont-elles au contraire un écran entre la pensée et le réel ? Posé en ces termes, le problème est évidemment considérable, et un linguiste ne peut prétendre y apporter que des éléments de réponse. Dans la mesure où la question concerne la théorie de la connaissance, on peut considérer qu’elle ne porte pas sur les sciences exactes, qui se sont forgé un langage artificiel aux termes strictement définis et désormais autonome. En revanche, la validité des langues naturelles comme instrument de travail pose un problème qui intéresse d’autres disciplines, la philosophie, les sciences humaines et même les sciences de la vie.
À l’heure actuelle, ce problème est du ressort de plusieurs disciplines, notamment de la psychologie cognitive, mais certains linguistes ont déjà, dans un passé plus ou moins récent, proposé des réponses, dont la plus célèbre et la plus provocante est sans doute celle de l’hypothèse dite  de Sapir–Whorf . On sait que, se fondant sur une étude de la langue Hopi, B. L. Whorf (1956) affirme qu’elle ne contient aucune référence au temps, qu’elle soit lexicale ou grammaticale, et conclut que les Indiens Hopi n’ont nullement la notion du temps qui est la nôtre, et que l’on tient généralement pour universelle. Le travail de Whorf soulève un problème qui doit de toute façon être posé par les linguistes, celui du rapport entre les langues (leurs lexiques et leurs syntaxes) et les cultures. En ce qui concerne le rapport entre langue et pensée, l’hypothèse de Whorf, du moins dans sa version la plus forte, refuse à la pensée humaine toute universalité, et donc toute valeur comme instrument de connaissance des réalités autres que strictement culturelles.
En assujettissant la pensée aux structures de la langue qui l’exprime, Whorf et Sapir prenaient évidemment le contre-pied d’une conception à la fois très ancienne et largement répandue.
L’idée d’une sorte d’adéquation naturelle du langage et de la pensée est en effet contenue dans l’opinion commune que la langue est  l’expression de la pensée  ; et il est vrai qu’on a quelque difficulté à concevoir l’existence de formes de pensée non linguistiques. Dire que la langue sert à exprimer la pensée, c’est donner à celle-ci une antériorité, et considérer que la pensée, née d’un don divin ou du contact avec le réel, vient d’abord, et se donne ensuite progressivement, au gré de ses besoins, les moyens de s’objectiver – notamment dans le but d’être communiquée à autrui. En termes schématiques, cette vision des choses représente une conception qui a prévalu pendant des siècles chez les grammairiens et les philosophes.


 




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