Paradoxe


Benjamin Hoffmann

Les Paradoxes de la postérité


2019
256 pages
ISBN : 9782707345035
29.00 €


Il n’y a qu’un problème littéraire vraiment sérieux : c’est la transmission des textes à la postérité. Le reste : les modalités de renouveau d’un genre, les singularités d’un style comme le dialogue entre les œuvres, il sera toujours temps de s’y intéresser lorsque les contradictions impliquées par la quête d’approbation d’un public virtuel auront été comprises. C’est à cette tâche que se consacrent Les Paradoxes de la postérité. En démontrant l’échec ultime de toute recherche d’immortalité symbolique par l’entremise de la littérature, ce livre avance qu’il importe de trouver une réponse nouvelle à la question : « Pourquoi écrit-on ? »

ISBN
PDF : 9782707345059
ePub : 9782707345042

Prix : 20.99 €

En savoir plus

Paloma Blanchet-Hidalgo, Art Press, mai 2019

Benjamin Hoffmann la transmission comme don

L’essai de Benjamin Hoffmann dévoile les paradoxes liés au désir de postérité littéraire, et aux modalités de la transmission.

Le passage des textes à la postérité. C’est à cette question prégnante qu’entend répondre Benjamin Hoffmann, écrivain, essayiste et professeur de littérature française à l’université d’État de l’Ohio. Né en 1985, l’auteur, identifiant quelques paradoxes auxquels  se heurte la quête de la transmission d’œuvres écrites, met ici en évidence cette forme « d’immortalité symbolique » qu’est l’inscription de notre trace et des fruits de notre pensée dans la mémoire d’un « public anonyme, lointain, indéterminé ». L’enjeu est ici métaphysique. Opposer à la conscience de notre finitude et à l’impermanence de toute chose la fixité d’une parole imprimée : voilà bien ce à quoi aspirent ces créateurs portés par la fétichisation du texte, ces poètes, romanciers, dramaturges ou universitaires pour qui, face à la mort, leur production s’impose comme ultime recours. C’est avec finesse que cet essai tripartite dégage trois paradoxes inhérents au concept de postérité. Un « paradoxe de la croyance », en premier lieu, résulte du transfert occidental, dès le 18e siècle, des caractères de la divinité à l’idée de postérité. La transmission des textes aux générations futures est, dans cette perspective, conçue sur le modèle d’une divinité aux jugements incertains, révocables. Une telle espérance en une « immortalité symbolique » - en lieu et place d’une immortalité spirituelle – est au cœur d’un débat épistolaire entre Denis Diderot et le sculpteur Falconet, correspondance poursuivie de 1765 à 1767. Le Pour et le Contre et Dialogue sur la postérité explorent la postérité sous l’angle de l’émulation comme moyen d’accomplir des actions illustres. Mais l’idée d’une « éternité symbolique » suffit-elle à susciter chez l’auteur une forme de dépassement ? Benjamin Hoffmann problématise alors cette comparaison topique de la postérité avec un « tirage au sort ». L’exemple de L’Histoire de ma vie de Casanova permet de saisir si la gloire posthume est obtenue au gré d’une imprévisible loterie. De fait, Casanova, qui clame n’avoir conçu son projet autobiographique qu’à la toute fin de sa vie, mène une existence de jouissance dans le but stratégique de la convertir en récit. Le « pari casanovien » met en lumière cet autre « paradoxe de la croyance » : le détachement affiché vis-à-vis de la postérité cache un comportement tactique.
Aux « paradoxes de la croyance » succèdent les « paradoxes de l’identité ». Les contradictions entourant cette notion découlent d’une tension entre la complexité, la mutabilité d’un sujet au fil du temps et l’image simplifiée – voire « fictionnalisée » - que la postérité retient de cet individu après sa mort. Ainsi la recherche de l’immortalité symbolique présuppose-t-elle ce paradoxe insurpassable : des écrivains, la postérité ne se souvient jamais que de leurs doubles fictionnels. De manière plus frappante encore, Benjamin Hoffmann s’interroge : a-t-il jamais existé un sujet dont les générations futures puissent effectivement se souvenir ? Ce faisant, il confronte la croyance occidentale en l’existence d’une entité-sujet, substance individuelle, distincte et pérenne, à la conception bouddhique de la personne, qui a renoncé à une telle idée du sujet, comme à celle de l’unicité de l’existence. Un paradoxe fondamental émerge autour de ce principe bouddhique : il ne peut y avoir transmission de ce qui, en vérité, n’a jamais été.
DIMENSION SENSIBLE
L’essayiste explore enfin une série de paradoxes qui se nouent autour des œuvres et, plus exactement, autour des modalités de leur diffusion : les « paradoxes de la médiation ». La reconnaissance des œuvres de l’esprit est conditionnée par les intermédiaires – culturels, sensibles, humains – dont la précarité menace la préservation qu’elles doivent assurer. La dimension sensible des textes intéresse directement cette problématique. Car, s’il n’existe pas de littérature sans médiation matérielle, il n’existe pas non plus de support physique pérenne. Mais un autre péril menace la postérité : la survie des membres qui la composent. Évoquant 1984 (1949) de Georges Orwell ou 2084. La Fin du monde (2015) de Boualem Sansal, l’auteur analyse avec justesse la contradiction entre la démarche testamentaire d’un auteur et la destruction potentielle de ses légataires.
Pour toutes ces raisons, et dès lors que surgit l’angoisse qu’un effort fourni une vie durant soit voué à la méconnaissance du public à venir, n’est-il pas absurde de persister à écrire ? Ne risque-t-on pas de voir le fantasme d’une « éternité symbolique » dévorer notre existence ? Benjamin Hoffmann reconnaît s’inscrire contre une idée « naïve et spontanée de la postérité ». « Mon geste a quelque chose de sacrilège », admet-il, tout en incitant à renoncer aux travaux « qui ne sont utiles qu’à la satisfaction de notre vanité ». Cet essai rappelle nos pratiques littéraires à une urgence : délaisser une certaine logique des Belles-Lettres pour une éthique du don ; penser tout exercice de transmission culturelle come la mise en place d’une rencontre altruiste. Une telle lecture offre donc de reconsidérer la zone émotionnelle où se joue, en nous, le plaisir pris à l’écriture. Et l’auteur d’espérer : « Peut-être même en viendrons-nous à poser cette question avant d’entreprendre un nouveau livre : en quoi servira-t-il autrui ? » Benjamin Hoffmann nous y invite, et bellement.

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année