Romans


Éric Chevillard

Le Caoutchouc, décidément


1992
128 pages
ISBN : 9782707314185
15.00 €
40 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Furne est un contestataire. La lumière et l'obscurité l'indisposent pareillement, toujours menacée l'une par l'autre, l'inutile complexité du corps l'afflige, la loi de la pesanteur l'indigne au-delà de toute expression, et il n'aurait pas davantage voté les autres si seulement on l'avait consulté. Furne caresse l'idée de réformer l'ordre des choses, qui ne lui convient pas. Sept collaborateurs ingénieux et tout dévoués l'aideront dans sa tâche. De nouveaux matériaux seront conçus, de nouvelles matières. Mais Furne tirera aussi parti de la soie, par exemple, du caoutchouc, si obéissant, si compatissant, et bonne pâte, le musculeux, le miraculeux caoutchouc.

ISBN
PDF : 9782707325099
ePub : 9782707325082

Prix : 10.99 €

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Jean-Louis Ezine (Le Nouvel Observateur, 9 avril 1992)

Par ici la sotie !
Refaire le monde, quelle plus audacieuse industrie ? C'est le projet cocasse qu"a formé Éric Chevillard dans Le Caoutchouc, décidément.
 
« Un remaniement s'imposait. Nous restons soumis à des lois que nous n'avons pas votées : la gravitation universelle, les giboulées de mars, la fragilité des porcelaines, I'atome si fissible, I'aspect nombreux du parallélépipède, I'exiguïté du crâne, le poids du pied, I'éloignement des étoiles, le mutisme du poisson, la précession des équinoxes, sans même parler des tiraillements de l'épigastre. Ce ne sont pas les motifs d'avoir l'humeur mauvaise qui manquent. Le monde est mal fait. C'est par erreur qu'un dieu munificent mais étourdi nous aurait déposés sur une planète poissonneuse, aux trois quarts immergée, où nous n'aurions rien à faire. On ne compte plus les insatisfaits qui errent, le cœur lourd et les bras ballants, dans la morosité générale. C'est là qu'intervient Furne.
Furne est le héros du nouveau roman d'Éric Chevillard, Le Caoutchouc, décidément. C'est un contestataire, que la lumière et l'obscurité indisposent également. La loi de la pesanteur I'indigne au-delà de toute expression. Les volcans de type strombolien, la sauvagerie du fennec et la compressibilité des gaz figurent au nombre de ses griefs, que n'épuiserait pas l'inventaire méthodique des aberrations terrestres. Au reste, Furne évite le contact des choses. Il a observé que tout ce qui ne pique pas brûle, que tout ce qui ne tache pas colle, ne coupe pas grince, pèse, se fend, s'effrite, se froisse, s'effondre et c'est foutu. Prenez la volaille encore : trop de cris, trop de pattes, trop de fiente (désordre qui, ajouté au manque d'idéal où pataugent les poulaillers depuis la nuit des temps, soulève d'assez fines questions sur la vocation réelle de l'œuf dans l'étrangeté du cosmos). Il est un fait que Dieu n'avait pas pensé au fil à couper le beurre par exemple, ni même au beurre et pas davantage à la brouette, et que la perfection des allées conduisant aux demeures les plus historiques n'aura tenu qu'à l'invention du râteau. Et Furne vous le demande : pourquoi se cantonner au râteau ?
En sorte de rallier à sa cause tous les mécontents, ceux que le régime en place indispose et qui ne sauraient tolérer plus longtemps de telles conditions de vie, Furne caresse le projet de retoucher en profondeur le plan divin, et de proclamer le détail de ses innovations dans un " Manifeste pour une réforme radicale du système en vigueur ”. Entouré de sept collaborateurs tout dévoués à son entreprise sacrilège, il retape le monde à coups de décrets dans le cadre paisible de la Fondation Zeller. Abolition des mathématiques et de la glaciation de würm ne sont que deux aspects d'un programme où l'on nous promet des arbres moins végétatifs, une oreille antibruit, un éléphant pour chacun, la télépathie pour tous. On produira un clair-obscur à ridiculiser Rembrandt. En règle générale, il ne sera plus nécessaire de planter des tilleuls pour jouir de l'ombre des tilleuls : on la vendra en sachets. Le caoutchouc, au bénéfice de ses propriétés musculeuses et invertébrées, sera le matériau de base du paradis furnien. L'œuf ne perdra rien pour attendre, ni le prunier, fatigué de travailler pour des prunes. On voit par là que Furne est un visionnaire. Le Paganini des prophètes. C'est Graham Bell avant l'invention du téléphone, et qui se lèverait soudain de table parce qu'il a un coup de fil urgent à donner.
Déjà auteur de Mourir m'enrhume et de quelques autres romans de veine burlesque, Éric Chevillard s'impose ici, aux côtés des fantômes devinés de Lewis Carroll et de Boris Vian, comme une figure de ce monde parallèle, réputé imaginaire, sinon anéanti depuis longtemps, dont les habitants utilisent des collets pour piéger les savonnettes, se coiffent avec des anguilles vivantes, chassent le snark, traversent les miroirs et les cartes à jouer. Sans vouloir le vanter, ni attrister un récit désopilant à tous les degrés qu'on le lise, c'est aussi bien entendu un pique-nique sous les frondaisons de la plus ombrageuse philosophie. »

 




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