Critique


Denis Hollier

Les Dépossédés

Bataille, Caillois, Leiris, Malraux, Sartre


1993
Collection Critique , 208 pages
ISBN : 9782707314420
22.40 €


 Les études rassemblées dans ce volume ont pour objet l’héroïsme paradoxal d’écrivains qui, de Leiris à Malraux, de Sartre à Bataille et à Caillois, ont milité pour la naissance d’un monde qui n’aurait pas de place pour eux, dans lequel la littérature ne se verrait reconnaître aucun droit, un monde qui les attire parce qu’il exigerait d’eux le sacrifice de leur activité artistique, terre promise dont ils attendent une seule chose : qu’elle fasse d’eux des interdits de séjour. Si le XIXe siècle a été celui du sacre de l’écrivain, le XXe siècle qu’ils représentent aura été celui de son sacrifice. Là où leurs prédécesseurs se demandaient comment la littérature est possible, ils la veulent impossible et, quand ils s’interrogent sur ses conditions de possibilité, c’est pour être à même de les saper, de les défier. L’engagement devient ici un exercice de dépossession, la forme extrême de l’automutilation, une déclinaison systématique des formes dépossessives et impersonnelles du langage et de l’existence.
Les démêlés de Leiris avec l’espace conjugal, les difficultés éprouvées par Sartre dans le maniement des particules possessives, les plaidoyers de Bataille en faveur d’un communisme pour lequel il avait peu de sympathie mais dont il escomptait une intolérance absolue à l’égard des valeurs qui lui tenaient à cœur, la fascination de Caillois pour la démission cléricale, les divers “ adieux aux plumes ” découlant de l’esthétisation de la contrainte politique : autant de formes revêtues par la passion de la dépossession qui a donné son ton à la guerre froide en littérature. 
Denis Hollier

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

La littérature doit-elle être possible ? – La poésie jusqu’à Z – Actes sans paroles – Mimétisme et castration 1937 – La tombe de Bataille – Le désir insatisfait – De l’équivoque entre littérature et politique – Crainte et tremblement à l’âge du surréalisme – À l’en-tête d’Holopherne – La valeur d’usage de l’impossible – L’adieu aux plumes – Note bibliographique.

‑‑‑‑‑ Extrait de l’ouvrage ‑‑‑‑‑

Le temps fort des débats sur la littérature engagée remonte à la Libération et au Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre. Sartre, on le sait, ne demande pas aux écrivains de s’engager, il leur montre qu’ils le sont. Il ne leur demande pas de choisir entre une littérature engagée et une qui ne le serait pas. Il montre que, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, l’engagement est une dimension constitutive de la littérature. Il ne s’agit donc pas de l’altruisme d’esthètes qui acceptent de s’oublier pour rejoindre les hommes : plus elle s’engage, mieux la littérature répond à sa définition, à sa vocation, moins elle s’oublie. Vouloir la littérature, c’est d’abord vouloir un monde dans lequel elle est possible, un monde qui lui reconnaisse le droit d’exister. L’écrivain doit travailler à ce qu’existe le monde qui lui donne les moyens d’écrire et d’être lu. La littérature engagée c’est donc, simplement, la littérature veillant elle-même à ses conditions de possibilité. Mais cette analyse implique que la littérature tienne à être possible.
Qu’est-ce que la littérature ? a provoqué une mémorable levée de boucliers. Du côté des dégagés, on disait que la littérature a mieux à faire qu’à porter le poids du monde : elle doit le faire oublier Un second type de critiques (celles, notamment, de Bataille et de Blanchot) a opposé à Sartre un engagement inverse. Il ne s’agissait plus ici de mettre la littérature à l’abri de la politique, de restaurer l’autonomie de l’art, de lui ménager des réserves dans lesquelles il serait à l’abri de la propagande. Il ne s’agissait plus de protéger l’art contre le monde. Il s’agissait au contraire de l’exposer à un monde où il n’aura plus de protecteur. 

Catherine David (Le Nouvel Observateur, 1er avril 1993)

Quand la littérature plaide coupable
 
“ Ce qui compte dans un vase, c’est le vide du milieu. ” Comme tout ce qu’écrit Denis Hollier, cette phrase – une de ses préférées – s’applique d’abord à la littérature, cette cathédrale bâtie sur le néant du langage. Révélées par l’expérience de la guerre mondiale, l’exigence du manque et sa fertilité ont constitué le paradoxe fondateur de la modernité. Rôdant aux alentours du vide, prédateurs acharnés à leur propre perte, quelques écrivains d’avant-garde déchiraient les limites de l’art. À travers ses lectures contrastées de Bataille, Caillois, Leiris, Malraux, Sartre réunies dans un recueil d’articles intitulé Les Dépossédés, Denis Hollier émet l’hypothèse que seul le franchissement de l’interdit révèle le secret du manque : la littérature doit “ plaider coupable ”. Talonné par les écrivains dits “ engagés ”, sartriens, le libéralisme républicain offrait enfin ses avenues à une littérature innocente, légitime. Horreur ! Contre ce certificat d’existence, les purs se révoltent et deviennent mendiants d’interdits, avocats du pire. Ainsi, explique Denis Hollier, un Georges Bataille a-t-il pu croire que “ la littérature avait besoin du communisme ”, non parce qu’il la rendait possible mais parce qu’il l’envoyait au goulag. Pour ces écrivains “ engagés à se faire exclure ”, la littérature est la “ conjonction de l’impossible et du nécessaire ”.
Les temps ont changé depuis ces tragédies paradoxales. Attentif, depuis New York où il enseigne, aux moindres frémissements des plumes parisiennes, Denis Hollier décèle dans l’air du temps une jeune littérature hors anathèmes, plus humble, sans doute un peu fade, souhaitant être reconnue, diffusée, traduite. “ Pour la première fois depuis longtemps une littérature rêverait d’être acceptée... ” Mais un prochain retour de balancier rendra, n’en doutons pas, son parfum d’interdit à l’acte poétique. Sans quoi nous serions réduits, “ comme l’Italienne de Stendhal, à regretter que ce soit permis. Peccato che non sia un peccato ”. Dommage que ce ne soit pas un péché... 

 

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