Vercors (Paris, 1902 - Paris, 1991). Pseudonyme de Jean Bruller.
Vercors par lui-même.
Une carrière ambiguë (ambidextre ?). À l'âge où l'on se détermine, le jeune Bruller hésite. Les Lettres ? Victor Hugo ou rien, il a eu le tort de naître le jour du centenaire dudit, ce serait trop de concurrence dans l'immortalité. Les Sciences ? Einstein ou rien, il ne décroche qu'un diplôme d'ingénieur et, de dépit, le jette aux orties. Les arts ? Rembrandt ou rien, il tâte un an de la peinture, trouve qu'il manque de génie et jette ses pinceaux. Daumier ou rien, c'est moins intimidant, il s'aventure bravement dans l'humour noir, se lance avec le succès de ses 21 Recettes pratiques de mort violente, se confirme dans la satire avec La Danse des vivants, longue série d'estampes mi-figue mi-raisin où, devenu philosophe en philosophant, il exprime un pessimisme pas encore à la mode : tout est absurde et rien ne sert à rien.
Si c'est là sa philosophie, on se demande un peu pourquoi il s'évertue à dessiner et mieux encore à publier (mais peut-être est-il le premier à en rire ?). Contradiction à quoi la guerre va mettre un terme ; et le désastre : oubliant du coup pour de bon que rien ne sert à rien, il s'engage avec entrain dans la lutte clandestine ; d'abord un peu Tartarin dans un réseau d'espionnage éphémère, puis plus efficace dans la résistance intellectuelle. Avec un premier récit signé Vercors, Le Silence de la mer (qu'il croit de circonstance et dont la vogue mondiale - et durable – le laissera bien étonné), il fonde les éditions de Minuit ; où, encouragé, il récidive avec La Marche à l'étoile, plus tard, avec Les Armes de la nuit et le voilà écrivain. Croit-il, car ce n'est pas le sentiment des milieux littéraires : d'où sort-il celui-là ? Un caricaturiste ! Résistant tant qu'on voudra mais pas homme de lettres. Boudé par les médias, s'il persiste néanmoins (quarante ouvrages en quarante ans), c'est que le silence, ça le connaît : ses Silences gravés d'avant-guerre, ses illustrations du Silence d'Edgar Poe juste avant l'écriture du Silence de la mer puis, plus tard, de la Bataille du silence (ça le travaille on dirait ...), s'il persiste, donc, c'est la faute à Hitler. Le monstre est mort, avec sa bande de criminels et leurs abominables aberrations ; mais le ventre est toujours fécond et leur doctrine appuyée sur Darwin séduit encore nombre d'esprits (toute la sociobiologie). Pour en venir à bout une bonne fois il ne suffit pas d'axiomes indignés mais subjectifs et sentimentaux. Il y faut une réfutation objective, irréductiblement fondée sur ce fait : l'espèce humaine. Sur ce qui la distingue spécifiquement de toute la Création. Personne ne semblant s'en soucier, il va se dévouer à chercher lui-même puis, intrépide, proposera une distinction radicale : seul l'homme refuse de subir la domination aveugle de la Nature, à quoi toute bête obéit sans broncher. (Cf. La Sédition humaine in Plus ou moins homme puis – l'humour reprenant ses droits et pour ne pas trop se prendre au sérieux – Les Animaux dénaturés.) Or, ce refus rebelle qui nous fait hommes, c'est ce que dénoncent ceux-là qui entendent nous ramener, nous courber sous ce joug ; ce qui serait faire régresser notre espèce en la réduisant, de ce divorce hominisant, à un bestialisant retour à la nature et c'est là leur aberration. Ouf.
Ouf, et, s'il s'en tenait là, l'auteur ferait retour, lui, à ses crayons. Mais une chose en entraîne une autre et, de fil en aiguille, le voilà engagé dans bien d'autres spéculations. L'humanité a toujours tragiquement manqué d'un projet qui la dirige. Or ce qui précède peut lui en offrir un : porter à son accomplissement cette spécificité hominisante encore trop peu assise. Évidence pour l'auteur ; mais pour ses lecteurs ? Ce n'est pas l'abondance des commentaires critiques qui peut les éclairer... De nouveau donc il va s'en charger lui-même, dans une suite de romans tels que Colères pour le sérieux, Sylva pour l'humour, Sillages, Comme un frère, beaucoup d'autres. Zoo pour le théâtre etc. (Plus, en souvenir du prophète oublié de l'Europe humaniste, un Moi, Aristide Briand.) Apparemment, sans provoquer davantage d'attention. Apparence trompeuse ? Peut-être est-il plus écouté qu'il ne le croit ? Quelques-uns le lui disent (des enseignants, des hommes de science). Tant mieux, on verra bien. Quoi qu'il en soit, une voix des profondeurs lui rappellerait en cas de besoin que rien ne sert à rien et que ce monde absurde n'en cessera pas de tourner.
(Notice rédigée en 1988. Parue dans Le Dictionnaire : littérature française contemporaine, publié sous la direction de Jérôme Garcin aux Éditions François Bourin en 1988, et dans la réédition augmentée de cet ouvrage publiée sous le titre Dictionnaire des écrivains contemporains de langue française : par eux-mêmes, aux Éditions Mille et une nuits en 2004).
Bibliographie (extrait) :
* Le Silence de la mer (Minuit, 1942 ; Albin Michel, 1951).
* Désespoir est mort (Minuit, 1943 ; Albin Michel, 1951).
* La Marche à l'étoile (Minuit, 1943 ; Albin Michel, 1951)
* Le Songe (Minuit, 1945).
* Le Sable du temps (Minuit, 1945).
* Souffrances de mon pays (Émile-Paul, 1945).
* Portrait d"une amitié (Minuit, 1946).
* Les Armes de la nuit (Minuit, 1946 ; Albin Michel, 1953).
* Les Mots (Minuit, 1947 ; Actes Sud, 1994 ; Alternatives, 2004).
La Fin et les moyens, dans l"ouvrage collectif L’Heure du choix (Minuit, 1947).
* L’Imprimerie de Verdun (La Bibliothèque française, 1947).
* Les Yeux et la Lumière. Mystère à six voix (Minuit, 1948 ; Albin Michel, 1950).
* Plus ou moins homme (Albin Michel, 1950).
* La Puissance du jour (Albin Michel, 1951).
* Le Silence de la mer et autres récits (Albin Michel, édition définitive, 1951).
* Les Animaux dénaturés (Albin Michel, 1952).
* P.P.C. ou le concours de Blois (Albin Michel, 1952, 1957).
* Les Armes de la nuit et La Puissance du jour (Albin Michel, 1953 ; Le Seuil, Points n°323, 1997).
* Les Pas dans le sable (Albin Michel, 1954).
* Portrait d’une amitié et d’autres morts mémorables (Albin Michel, 1954).
* Colères (Albin Michel, 1956).
* Les Divagations d’un Français en Chine (Albin Michel, 1956 ; Kailash, 1998).
* Le Périple. Sur ce rivage 1 (Albin Michel, 1958).
* Monsieur Prousthe, un souvenir. Sur ce rivage 2 (Albin Michel, 1958).
* Liberté de décembre, suivi de Clémentine. Sur ce rivage 3 (Albin Michel, 1960).
* Sylva (Grasset, 1961 et Les Cahiers rouges n°158, 1992).
* Zoo ou L’Assassin philanthrope, théâtre (1963 ; Magnard, 2003).
* Les Chemins de l’être, une discussion, avec Paul Misraki (Albin Michel, 1965).
* Quota et les Pléthoriens, avec Paul Silva-Coronel (Stock, 1966).
* La Bataille du silence. Souvenirs de minuit (Presses de la cité, 1967 ; Presses Pocket n°760, 1970 ; Minuit, 1992 et "Double", 2024 ; Omnibus, 2002).
* Le Radeau de la Méduse (Presses de la cité, 1969).
* Contes des cataplasmes (G.P., 1971).
* Sept sentiers du désert (Presses de la cité, 1972).
* Sillages (Presses de la cité, 1972).
* Questions sur la vie à Messieurs les biologistes, essai (1973).
* Tendre naufrage (Presses de la cité, 1974).
* Ce que je crois (Grasset, 1975).
* Je cuisine comme un chef. Les 101 plus fines recettes de la gastronomie française mises à la portée des personnes les moins expérimentés (Seghers, 1976 ; édition revue et corrigée, sous le titre Je cuisine comme un chef sans y connaître rien, Christian Bourgois, 1991).
* Les Chevaux du temps (1977).
* Zoo - Le Fer et le velours - Le Silence de la mer, théâtre (Galilée, 1978).
* Pour Shakeaspeare. Hamlet, Macbeth (Galilée, 1978).
* Sens et non-sens de l’histoire (Galilée, 1978).
* Camille ou L’enfant double (G.P. Rouge et or, 1978).
* Assez mentir, Vercors, Olga Wormser-Migot (Ramsey, 1979).
* Le Piège à loup (Galilée, 1979).
* Moi, Aristide Briand. 1862-1932. Cent ans d’histoire de la France. 1.Essai d’autobiographie (Plon, 1981 ; Complexe, 1993).
* Les Occasions perdues ou L’Étrange destin. 1932-1942. Cent ans d’histoire de la France. 2. (Plon, 1982).
* Les Nouveaux jours. Esquisse d’une Europe. Briand l’oublié. 1942-1962. Cent ans d’histoire de la France. 3. (Plon, 1984).
* Anne Boleyn. Les 40 mois qui ont fait l’Angleterre. Essai d’histoire partiale (Perrin, 1985).
* Le Tigre d’Anvers (Plon, 1986).
* Le Silence de la mer. Naissance de Vercors, théâtre (Actes Sud, 1990).
* À dire vrai, entretiens avec Gilles Plazy (François Bourin-Julliard, 1991).
* Le Grenier d’Armor (Michalon, 1997).
* Le Silence de la mer et autres œuvres (Omnibus, 2002).
* Le Commandant du Prométhée (Portaparole, 2009).
* 21 recettes pratiques de mort violente (Portaparole, 2010).
* Frisemouche fait de l'auto (Portaparole, 2011).
* Le Mariage de Monsieur Lakonik (Portaparole, 2011).