Jacques Ozouf



Jacques Ozouf (Alençon, 1928 - Limogne-en-Quercy,Lot, 2006).

Bibliographie (extrait) :

* Nous les maîtres d'école. Autobiographies d'instituteurs de la Belle Époque (Julliard /Gallimard,  Archives  n°27, 1973 ;  Folio histoire  n°50, 1993).
* Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry. François Furet / Jacques Ozouf (Minuit, 1977, 2 vol.).
* La République des instituteurs. Jacques et Mona Ozouf (Le Seuil / École des hautes études en sciences sociales / Gallimard, 1992 ;  Points Histoire, 2001).

___________________

Revue de Presse

Philippe-Jean Catinchi (Le Monde, 1er août 2006)

Jacques Ozouf
Historien attaché aux origines de la culture politique en France comme à l'histoire de l'éducation

L'historien Jacques Ozouf est mort, samedi 29 juillet, à Limogne-en-Quercy (Lot). II était âgé de 77 ans. Né à Alençon le 8 septembre 1928, Jacques Ozouf appartient à une famille marquée par la tradition socialiste et très attachée à l'idéal de la laïcité républicaine. Ce neveu de Pierre Brossolette fait ses études secondaires au lycée Henri-IV, avant de fréquenter la Sorbonne et d'obtenir l'agrégation d'histoire en 1954. Il adhère au PCF, mais le quitte dès 1956, au moment de l'écrasement par l'armée soviétique du soulèvement de Budapest.
En 1954 également, il rencontre à la Bibliothèque nationale celle qui deviendra, un an plus tard, sa femme, Mona ; après une année d'enseignement au Mans, il obtient avec son épouse un poste double à Caen, où ils restent cinq ans. Maître assistant à Vincennes à la fin des années 1960, Jacques Ozouf est élu en 1971 directeur d'études à l'EHESS, où ce contemporaniste traite de  l'histoire de la France aux XIXe et XXe siècles .
Spécialiste de la vie politique, il livre ses analyses électorales au Nouvel Observateur et participe au débat intellectuel en donnant des articles à de nombreuses revues (Esprit, Projet...) tout en affirmant la spécificité de sa démarche d'historien.
Attaché aux origines de la culture politique en France – il lance avec François Furet une formidable enquête sur les  blancs  et les  rouges  – comme à l'histoire de l'éducation – là encore une grille d'étude sur les instituteurs de la Belle Epoque permet de prendre en compte le témoignage oral, à un demi-siècle de distance, des pionniers de la laïcité au village comme dans les villes –, Jacques Ozouf anticipe l'intérêt bientôt reconnu aux archives orales, comportements collectifs et traces mémorielles.
De son enquête sur les hussards noirs, il tire une anthologie exemplaire, Nous, les maîtres d'école..., parue dans la toute jeune collection de Nora et Revel, Archives  (Gallimard/Julliard, 1967), dont elle devient le best-seller, et, plus tard, cosigne avec son épouse Mona La République des instituteurs (Seuil/Gallimard,  Hautes Études, 1992). Parallèlement, avec François Furet, il livre le fruit d'une enquête sur l'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Lire et écrire (Minuit,  Le sens commun, 1977), qui fait toujours référence.
Jacques Ozouf met la même rigueur dans sa participation à l'édition du Journal du septennat de Vincent Auriol, dont s'occupe son ami Pierre Nora – il signe le dernier volume : 1953-1954 (Gallimard,1971). Une attaque met brutalement un terme prématuré à une carrière modèle d'intellectuel engagé et rigoureux.
Élevé par des militants laïques intransigeants, Jacques Ozouf fut un merveilleux professeur dont les élèves se rappellent la bonté bienveillante comme la stricte honnêteté intellectuelle. Ennemi de l'esbroufe, discret et doux, il ne concevait pas le dévoiement des effets de manches et s'en tenait à une stricte ligne qui le tenait écarté du centrisme comme d'une gauche sectaire. Authentique social-démocrate, il servait sinon de conscience, du moins de boussole, à ses amis. Hermétique au moindre ressentiment, il laisse l'exemple rare d'un intellectuel généreux, simplement bon.

______________

Antoine de Baecque (Libération, 2 août 2006)

Jacques Ozouf quitte les bancs de l'école républicaine

Mort de l'historien, époux de Mona Ozouf et chef de file, avec Furet et Le Roy Ladurie, de l'école des Annales .

Jacques Ozouf, historien important de l'école républicaine, pilier de l'école des Annales (du nom de la revue) dans les années 60 et 70, mari de Mona Ozouf depuis cinquante ans, est mort samedi à Limogne-en-Quercy (Lot), d'une attaque cérébrale, alors qu'il se promenait dans la rue, à 77 ans. Né dans une famille d'instituteurs, pour qui l'instruction publique était comme une lettre de noblesse, il a consacré une part importante de sa vie à cet objet précis : comment, par la scolarisation, la France est devenue un pays républicain entre la fin du XIXe siècle et les années 30 ?
Ozouf est entré en histoire en même temps que ses amis de la Sorbonne, au début des années 50, Denis Richet, Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet. Tous au Parti communiste, lui le plus distant puisque son éducation lui a laissé un cepticisme à la Montaigne. Mona Sohier, jeune philosophe montée de Bretagne à Paris, le rencontre en 1954, s'intégrant immédiatement à la bande et épousant le plus élégant du groupe l'année suivante :  On allait manger les spaghettis chez François Furet, rue Daubenton. Il était impressionnant, revenant d'une terrible opération due à la tuberculose. Il dirigeait les tubards, les étudiants en " post-cure ” : On était communistes et ça discutait sans fin.  Ils y croiront jusqu'à l'invasion de la Hongrie par l'URSS, en 1956, puis resteront un peu pour prolonger l'amitié.
Jacques Ozouf, à la fin des années 50, est avec Furet et Le Roy Ladurie, l'un des chefs de bande des Annales, prônant une histoire par enquêtes archivistiques sérieuses, et la compréhension des grandes évolutions historiques de la culture et de la politique françaises. Exemplaires en sont ses trois premiers livres : enquête qu’il dirige avec Furet sur la lecture et l'alphabétisation de la France, de Louis XIV à Jules Ferry ; l'édition, faite avec Pierre Nora, du Journal de Vincent Auriol ; une autre enquête enfin, sur les instituteurs, menée entre 1961 et 1964 auprès de 4000 d'entre eux, sur leur vie et leurs méthodes, publiée dans un livre qui fait date en 1973, Nous, les maîtres d'école, dans la collection Archives chez Julliard.
En 1977, un grave accident vasculaire vient bouleverser sa vie, lui interdisant de poursuivre activement ses recherches. Il lui a fallu des années pour reprendre, avec l'aide de sa femme et de nombreux collègues de l'École des hautes études. Et c'est en 1992 que le couple Ozouf publie l'aboutissement de l'enquête menée trente ans plus tôt sur les instituteurs, La République des instituteurs.
Jacques Ozouf était incollable en statistiques électorales, et aimait le rugby presque pardessus tout.