Michel Butor (Mons-en-Barœul, Nord, 1926 - Contamine-sur-Arve, Haute-Savoie, 2016). Romancier, essayiste et poète, il a publié plus de deux cents ouvrages. Prix Théophraste Renaudot 1957 pour La Modification.
Michel Butor par lui-même.
Michel Butor a, paraît-il, beaucoup écrit, mais cela lui est toujours assez difficile. La plupart du temps il travaille beaucoup sur ses textes, les raturant, reprenant des dizaines de fois, et ceci après de longues préparations dans la plupart des cas. Pourtant il lui arrive aujourd'hui, comme une espèce de prime après tant d'efforts, d'écrire soudain une page ou deux presque d'un seul coup, auxquelles il ne trouve plus rien à changer.
Il aurait probablement pu gagner sa vie avec son écriture, mais il lui aurait fallu pour cela continuer à écrire des romans, ce que ses éditeurs l'ont supplié de faire bien des fois, s'y prenant avec toutes les ruses possibles. Et il n'aurait pas demandé mieux que de les satisfaire et d'avoir ainsi une existence plus simple. .Mais ses livres en ont décidé autrement, et c'est eux qui l'ont finalement amené à poursuivre une carrière universitaire anormale, qui lui permet une certaine liberté.
Il a maintes fois répondu à des questionneurs au sujet de cet itinéraire singulier. Il s'est mis à écrire des romans parce qu'il éprouvait une sorte de scission, dans sa vie intellectuelle, entre les études de philosophie ou de lettres qu'il poursuivait et qui l'avaient déjà amené à publier quelques textes critiques (les premiers étant sur Joyce et Jules Verne), et une activité poétique dans les marges du surréalisme, groupe dont il n'a jamais fait partie officiellement mais dont il a connu intimement certains membres.
Le premier de ses romans, Passage de Milan, a été commencé lors de son premier séjour de quelque durée à l'étranger. Ayant échoué à plusieurs reprises à l'agrégation de philosophie, et sentant qu'il ne pourrait que s'éloigner de plus en plus de la norme exigée pour un bon rang dans cette épreuve, il a commencé à ressentir un certain agacement quant à la vie parisienne qu'il aimait beaucoup jusqu'alors, et donc éprouvé le besoin de mettre quelque distance entre elle et lui pour pouvoir la considérer plus justement, la situer par rapport à d'autres façons de vivre et de voir. Il s'agissait donc dans ce roman de reconstituer une sorte de modèle réduit de son existence parisienne antérieure, à l'intérieur d'un immeuble situé à une adresse imaginaire. C'est en Angleterre du Nord, à Manchester où il était lecteur à l'université, qu'il a terminé cet ouvrage. À la nostalgie de la France s'ajoutait celle de l'Égypte toujours ressentie depuis comme une seconde patrie ; il y en a eu d'autres depuis.
Le décor de la ville de Manchester, quelque peu transformé, sert de fond à L'Emploi du temps qui a été écrit en grande partie à Salonique, étape suivante de sa carrière de professeur. Puis, c'est à Genève, dans une chambre sous les toits, dont la fenêtre donnait sur les coupes dorées de l'église russe, qu'a été mis au point La Modification qui valut à son auteur les lauriers d'un prix baptisé du nom d'un journaliste ancien. Cela provoqua une installation plus stable à Paris, avec une tentative de carrière dans les milieux de l'édition. Mais il s'est dit alors qu'il lui fallait absolument profiter de la fragile et passagère notoriété procurée, par le prix en question pour publier une œuvre plus audacieuse. Ainsi l'expérience accumulée dans l'enseignement secondaire à Genève, où il était professeur de philosophie, de lettres et d'histoire-géographie, s'est concentrée avec Degrés dans une étude de l'enseignement français et de la culture française vue à partir de cette cellule particulièrement sensible qu'est une classe de seconde à l'intérieur d'un lycée parisien.
Ces ouvrages, qui sont encore aujourd'hui parmi les plus connus de leur auteur, sont presque ensevelis sous une montagne de commentaires. Étant critique lui-même, et ayant publié une œuvre d'essayiste au moins aussi abondante que son oeuvre narrative, cela ne peut lui déplaire, mais il espère toujours que la glose rapproche du texte et n'en éloigne pas, ce qui arrive pourtant souvent. Dans ses cours ou conférences à l'étranger ou même en France quelquefois, il lui est arrivé d'avoir à parler de ses propres livres et de relire en particulier les plus anciens après un certain nombre d'années. Il a parfois l'impression de lire l'œuvre de quelqu'un d'autre. Ces textes ne lui semblent guère plus siens que ceux d'autres auteurs qu'il étudie dans ses cours. Il a le sentiment que certains de ses traducteurs ou exégètes les connaissent beaucoup plus en détail que lui. Pourtant, lorsqu'il lui arrive de lire certaines de leurs traductions dans des langues qu'il connaît suffisamment, le texte originel enfoui revient parfois sans une lacune.
Les voyages ont eu dans l'évolution de son œuvre un rôle décisif. Ainsi le voyage en Égypte commence cette période romanesque, et c'est le premier voyage aux États-Unis qui la termine sans qu'il l'ait nullement prévu.
Dans les années soixante, pour le jeune intellectuel français, la découverte de la ville de New York était aussi fondamentale que celle de la ville de Rome pour celui du XVIe ou XVIIe siècle. Bien des aspects de la vie américaine, qui font partie de notre décor quotidien aujourd'hui, n'avaient pas encore franchi l'Atlantique. Aussi celui qui revenait de l'autre côté de l'eau arrivait en quelque sorte des années prochaines. Certain qu'il lui faudrait répondre à d'innombrables questions, il a cherché à se renseigner le mieux possible sur le pays qu'il découvrait, ayant le sentiment que ses prédécesseurs en avaient parlé, pour la plupart, dans une incompréhension profonde. Ce qu'ils racontaient était exact naturellement, mais l'interprétation en était erronée.
C'est pour tenter de mettre en scène ses propres aventures dans l'espace américain qu'il a été conduit à écrire sa première étude : Mobile, qui a surpris certains. La nécessité de réfléchir sur la forme même du livre l'a amené à de nombreuses autres tentatives, qui se sont organisées en plusieurs séries parallèles qu'il s'efforce de poursuivre. Mais il s'est décidé à mettre une limite de cinq aux suites portant le même titre ou sous-titre.
C'est ainsi qu'il n'y a que cinq Répertoire (études critiques souvent essayées sous forme de conférences), cinq Matière de rêves (longs récits de rêves inventés à partir de rêves véritables de l'auteur ou d'autres). Et il n'y aura que cinq Illustrations (textes poétiques en général provoqués par la peinture), cinq Génie du lieu (autobiographie voyageuse ou méditations géographiques - ainsi le premier des trois déjà parus tourne autour de la Méditerranée ; le second intitulé Où avec la fantaisie orthographique de barrer l'accent grave, pour que ce soit aussi bien le lieu que I'altérité, tourne autour de l'hémisphère Nord ; le troisième, Bomerang, imprimé en trois couleurs, commence d'ajouter l'hémisphère Sud, etc.).
Les séries terminées n'impliquent nullement l'abandon d'un genre ou d'une recherche, mais obligent à un changement de forme, à une réflexion supplémentaire. Ainsi après Répertoire, viennent les Improvisations (sur Flaubert, Henri Michaux, Rimbaud, Balzac et lui-même).
Il aime les ateliers des peintres et leur conversation, ce qui l'a amené à une collaboration intense avec certains d'entre eux. C'est grâce à eux qu'il est revenu à une production de type poétique qu'il croyait avoir abandonnée lors de ses premiers livres, et qui constitue aujourd'hui l'essentiel de son activité. Sa fascination pour la musique est presque aussi féconde.
Il a une barbe depuis qu'il est grand-père. Il est toujours vêtu d'une salopette. Il vit dans un village savoyard au-dessus de Genève, et continue de courir le monde quand il le peut.
(Notice rédigée en 1988 et parue dans Le Dictionnaire : littérature française contemporaine, publié sous la direction de Jérôme Garcin aux Éditions François Bourin en 1988. Notice revue en 2003 pour la réédition augmentée de cet ouvrage publiée sous le titre Dictionnaire des écrivains contemporains de langue française : par eux-mêmes, aux Éditions Mille et une nuits en 2004).
Bibliographie (extrait) :
* Passage de Milan, roman (Minuit, 1954).
* L'Emploi du temps, roman (Minuit, 1956 et double n°1, 1980).
* La Modification, roman (Minuit, 1957 et double n°11, 1985).
* Le Génie du lieu (Grasset, 1958 et Cahiers rouges n°199, 1994).
* Répertoire I (Minuit, 1960).
* Degrés (Gallimard, 1960 et L"Imaginaire n°16, 1978).
* Histoires extraordinaires. Essai sur un rêve de Baudelaire (Gallimard, 1961 et Folio essais n°87).
* Mobile. Étude pour une représentation des États-Unis (Gallimard, 1962 et L'Imaginaire n°268, 1991).
* Réseau aérien. Texte radiophonique (Gallimard, 1962).
* Description de San Marco (Gallimard, 1963).
* Répertoire II (Minuit, 1964).
* Essais sur les modernes (Gallimard, Tel n°207, 1964).
* Illustrations. Tome I (Gallimard, 1964).
* 6 810 000 litres d"eau par seconde. Étude stéréophonique (Gallimard, 1965).
* Portrait de l'artiste en jeune singe. Capriccio (Gallimard, 1967).
* Entretiens, avec Georges Charbonnier (Gallimard, 1967).
* Essais sur les essais (Gallimard, 1968, 1988).
* Tourments (Fata Morgana, 1968).
* Répertoire III (Minuit, 1968).
* Paysages de répons. Dialogues des règnes (P. Castella, 1968).
* La Banlieue de l"aube à l'aurore, suivi de Mouvement brownien (Fata Morgana, 1968).
* Illustrations. Tome II (Gallimard, 1969).
* Les Mots dans la peinture (Skira, 1969 ; Flammarion, Champs n°87, 1980).
* La Rose des vents. 32 Rhumbs pour Charles Fourier (Gallimard, 1970).
* Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli (Gallimard, 1971 ; édition augmentée, Actes Sud, 2001).
* Ou. Le Génie du lieu II (Gallimard, 1971).
* Travaux d"approche (Gallimard, Poésie n°84, 1972).
* Les Sept femmes de Gilbert le Mauvais (Fata Morgana, 1972).
* Intervalle. Anecdote en expansion (Gallimard, 1973).
* Illustrations. Tome III (Gallimard, 1973).
* Répertoire IV (Minuit, 1974).
* Matière de rêves (Gallimard, 1975).
* Second sous-sol. Matière de rêves II (Gallimard, 1976).
* Illustrations. Tome IV (Gallimard, 1976).
* Troisième dessous. Matière de rêves III (Gallimard, 1977).
* Boomerang. Le Génie du lieu III (Gallimard, 1978).
* Elseneur, suite dramatique (Thièle, 1979).
* Envois (Gallimard, 1980).
* Quadruple fond. Matière de rêves IV (Gallimard, 1981).
* Sept à la demi-douzaine (Lettres de Casse, 1982).
* Brassées d’avril (La Différence, 1982).
* Répertoire V (Minuit, 1982).
* Exprès. Envois II (Gallimard, 1983).
* Voyage avec Michel Butor. Entretiens avec Madeleine Santschi (L’Âge d’homme, 1983).
* Loisirs et brouillons, 1964-1984 (Dominique Bedou, 1984).
* Improvisations sur Flaubert (La Différence, 1984 ; Pocket, Agora n°32, 1989).
* Herbier lunaire (La Différence, 1984).
* Avant-goût (Ubacs, 1984).
* Traitements de textes. Cartes et brouillons (Dominique Bedou, 1985).
* Improvisations sur Henri Michaux (Fata Morgana, 1985).
* Hors d’œuvre (L’instant perpétuel, 1985).
* Frontières. Entretiens avec Christian Jacomino (Le Temps parallèle, 1985).
* La Famille gribouillage (Dominique Bedou, 1985).
* Chantier (Dominique Bedou, 1985).
* Mille et un plis. Matière de rêves V et dernier (Gallimard, 1985).
* L’Œil de Prague (La Différence, 1986).
* Cartes et lettres. Correspondance Michel Butor - Christian Dotremont, 1966-1979 (Galilée, 1986).
* Une visite chez Pierre Klossowski. Le samedi 25 avril 1987 (La Différence, 1987).
* Avant-goût II (Ubacs, 1987).
* Le Retour du boomerang (Presses universitaires de France, 1988).
* Improvisations sur Rimbaud (La Différence, 1989, 2005 ; Pocket, Agora n°136, 1994).
* L’Embarquement de la reine de Saba (La Différence, 1989).
* L’Appel du large. Avant-goût III (Ubacs, 1989).
* Au jour le jour. Carnets 1985 (Plon, 1989).
* Zone franche (Fata Morgana, 1990).
* La Forme courbe (Le Temps parallèle, 1990).
* Patience (Métailié, 1991).
* Échanges. Carnets 1986 (Z’éditions, 1991).
* En mémoire. Avant-goût IV (Ubacs, 1992).
* Transit A - Transit B. Le Génie du lieu IV (Gallimard, 1992).
* Essais sur le roman (Gallimard, Tel n°206, 1992).
* Une schizophrénie active. Entretiens avec Madeleine Santschi (L’Âge d’Homme, 1993).
* Improvisations sur Michel Butor. L’écriture en transformation (La Différence, 1993).
* L’Utilité poétique (Circé, 1995).
* Le Japon depuis la France. Un rêve à l’ancre (Hatier, 1995).
* Stravinsky au piano (Actes Sud, 1995).
* Gyroscope. Porte chiffres - Entrée lettres. Le Génie du lieu V et dernier (Gallimard, 1996).
* À la frontière (La Différence, 1996).
* Répertoire littéraire. Choix de sept études extraites de Répertoire, III, IV et V (Gallimard, Tel n°273, 1996).
* Curriculum vitae. Entretiens avec André Clavel (Plon, 1996).
* Correspondance Michel Butor - Georges Perros, 1955-1978 (Joseph K., 1996).
* Ici et là. Relations intercontinentales (Publisud, 1997).
* Douze ans de vie littéraire parisiennes. Entretiens anciens, 1956-1967 (Presses universitaires de Rennes, 1997).
* Vingt blocs de charbons (Ombres, 1997).
* Pour tourner la page, avec Lucien Giraudo (Actes Sud, 1997).
* Improvisations sur Balzac 1. Le marchand et le génie (La Différence, 1998).
* Improvisations sur Balzac 2. Paris à vol d’archange (La Différence, 1998).
* Improvisations sur Balzac 3. Scènes de la vie féminine (La Différence, 1998).
* Géographie parallèle (Amourier, 1998).
* Le Sismographe amoureux. Improvisations sur Henri Michaux (La Différence, 1999).
* Mais où sont les rouilles d’antan (Fata Morgana, 1999).
* Entretiens. Quarante ans de vie littéraire 1. 1956-1968 (Joseph K., 1999).
* Entretiens. Quarante ans de vie littéraire 2. 1969-1978 (Joseph K., 1999).
* Entretiens. Quarante ans de vie littéraire 3. 1979-1996 (Joseph K., 1999).
* Quand au livre. Triptyque en l’honneur de Gauguin (Bibliothèque de France, 2000).
* L’Aède en exil, adapté de Hölderlin (Fata Morgana, 2001).
* Archipel de Lucarnes, photographies de Michel Butor (Ides et calendes, 2002).
* Collations (Seghers, 2003).
* Au rendez-vous des amis (Amourier, 2003).
* La Pluie séductrice (L’Instant perpétuel, 2003).
* Le Corbeau revient vers la côte nord-ouest (L’Instant perpétuel, 2003).
* Le Sommeil d’Ariane (L’Instant perpétuel, 2003).
* Michel Butor par Michel Butor (Seghers, Poètes d’aujourd’hui, 2003).
* Errances botaniques (Slatkine, 2003).
* L’Horticulteur itinérant (Melville / L. Scheer, 2004).
* Entre les vagues. Journal (Main d’œuvre, 2004).
* Anthologie nomade (Gallimard, Poésie n°391, 2004).
* Épîtres florales (Slatkine, 2005).
* Dialogue avec Rembrandt van Rijn sur Samson et Dalida (Abstème et Bobange, 2005).
* La Grève de la quincaillerie (L’Instant perpétuel, 2005).
* Le Sel, sous le vent de l’Algarve (Comp’act, 2006).
* Seize lustres (Gallimard, 2006).
* Don Juan en Occitanie (L’Atelier des brisants, 2006).
* Œuvres complètes 1. Romans (La Différence, 2006).
* Œuvres complètes 2. Répertoire 1 (La Différence, 2006).
* Octogénaire (Les Vanneaux, 2006).
* Œuvres complètes 3. Répertoire 2 (La Différence, 2007).
* Œuvres complètes 4. Poésie 1 (La Différence, 2006).
* Œuvres complètes 5. Le Génie du lieu 1 (La Différence, 2007).
* Œuvres complètes 6. Le Génie du lieu 2 (La Différence, 2006).
* Œuvres complètes 7. Le Génie du lieu 3 (La Différence, 2008).
* Œuvres complètes 8. Matières de rêves (La Différence, 2008).
* Œuvres complètes 9. Poésie 2 (La Différence, 2009).
* Œuvres complètes 10. Recherches (La Différence, 2009).
* Œuvres complètes 11. Improvisations (La Différence, 2010).
* Œuvres complètes 12. Poésie 3 (La Différence, 2010).
* Hugo (Buchet-Chastel, "Les auteurs de ma vie", 2016).