Après avoir respiré des vapeurs nocives dans l’imprimerie où il travaille, monsieur Carossa tombe malade. Par crainte d’un licenciement, il demande au médecin le silence. Et puis, un jour, il ne se lève pas. Comme un animal écrasé sur la route, il gît, à même le drap.
ISBN
PDF : 9782707347909
ePub : 9782707347893
Prix : 6.49 €
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Christophe Kantcheff, Politis, 27 mars 2003
La mort nue
Yves Ravey raconte les derniers mois de son père. Une belle simplicité.
«“ Mon père ne travaille plus, depuis une semaine. ”Première phrase du sixième roman d'Yves Ravey, qui révèle l'identité première de son père : un travailleur. Un ouvrier qui ne supporte pas de ne pas pouvoir se rendre au travail, surtout pour ce motif aussi déplaisant, et sans aucun doute futile : la maladie. Il avait pourtant promis à sa femme, avant son mariage, “ de ne jamais tomber malade et de rapporter de l'argent chaque fin de mois ”.
Yves Ravey raconte les derniers mois de son père, alors que la maladie progresse, avant de le tuer, il a choisi le temps du présent pour ne laisser aucun espace à la nostalgie. Le présent favorise aussi la sobriété, le dépouillement. C'est sa manière d'écrire la mort de son père. Par courtes séquences successives, sans une once de lyrisme, encore moins d'apitoiement, comme si le pathos s'était fondu dans les ellipses. Les ellipses participent de la dimension éthique du livre d'Yves Ravey. Dimension remarquable.
Dans Le Drap, ni héros, ni pauvre type, ni jugement d'aucune sorte de la part du narrateur. Dans un roman familial, on avait presque oublié que c'était possible. Mais la justesse de la figure du père en dépend. Du récit, simple, naît la complexité. Quelques exemples. Le père a respiré des vapeurs de plomb dans l'imprimerie où il travaille, parce qu'il a ignoré le masque de protection. Mais il ne veut pas que le directeur du personnel sache que son mal – au début, on croit à du saturnisme – vient de là. Il n'a jamais usé de ses diplômes d'ingénieur parce qu'il n'a su repousser l'ordre de son père de reprendre sa serrurerie. Mais il est “ intelligent ”, dit sa femme aimante, qui aurait aimé que sa valeur soit reconnue, et lui, l'ouvrier, lit les livres de physique-chimie de son fils. En fait, le père est simplement resté fidèle à ses origines, avec .sa générosité et sa faiblesse de caractère, son autorité et son goût des choses simples : la pêche, ses outils...
Ainsi le père aime la vie et les siens. Mais ce qu'il porte en lui peu à peu le détruit. Contre le cancer – le mot n'est jamais cité -, il tente la fuite, l'illusion, l'escamotage. À chaque avancée du mal, il prévoit une résolution rassurante : “ Les médicaments commencent à agir ”, “ après l'opération, les choses vont s'améliorer ”... Rien que de très banal, de très humain. Et puis : “ Un jour, mon père ne s'est pas levé. ”
Yves Ravey signe là un livre d'autant plus fort que cette représentation nue de la mort, aujourd'hui, est presque taboue. On se rappelle quelques pages d'Annie Ernaux. On pense surtout à La Gueule ouverte de Maurice Pialat, où un fils accompagnait la mort de sa mère avec le même amour implicite, et la même impuissance. »
Fabrice Gabriel, Les Inrockuptiples, 26 mars 2003
Toutes les étapes de la mort d'un père :
un très beau livre de deuil, qui écorche durablement.
« Une heure à tuer, pas plus. Une heure : cela suffit pour lire les quatre-vingts petites pages du roman d'Yves Ravey, Le Drap. Et c'est une heure tuante, en vérité, qu'on passe en refaisant le parcours abrupt d'un bref chemin de croix. Car Le Drap – d'une blancheur sèche, roide, parfaite – ne raconte rien d'autre qu'une agonie : rythmé par d'inéluctables mais courtes séquences au présent, le récit donne le sentiment rare d'une mort qui va, qui vient, qu'on devine déjà là depuis longtemps. Quelques petits tableaux suffisent, sans couleurs inutiles, pour poser le père en son linceul, au bord d'une tombe qui ne tardera pas. Ce père s'appelle Carossa et son fils Lindbergh, mais on sait bien qu'ils ont le même nom, dans le fond : l'autobiographique a quelque chose d'inexorable, ici, qui donne au Drap sa force et sa voix, sobre et serrée comme un nœud qu'on ne défait plus. Romancier décalé, disciple de Thomas Bernhard et beckettien dissident, Yves Ravey s'oublie cette fois jusqu'à l'épure de quelques traits, quelques mots pour dire seulement l'obstination de menus gestes, la modeste absurdité d'un destin. Il lui suffit de peu et son père est là, fantomatique et bougon, dans le décor exact de Besançon, à l'atelier ou dans sa maison bancale, à la pêche ou dans sa vieille Peugeot 203 ... Pas d'effet de réel, pourtant : seulement l'évidente vérité des lieux, pour dire au plus près la fin d'un homme – et donc sa vie. Le Drap est une manière de tombeau, où les adjectifs sont comptés comme le temps, de plus en plus court à mesure que le blanc gagne. Car il y a quelque chose de pictural dans cet effort pour atteindre à la simplicité la plus crue : entre la page et la toile, le drap devient métaphore et désigne un silence monochrome à l'horizon de l'écriture. En attendant de l'atteindre, il faut faire avec , le corps : écrire la mort et peindre son père nu, gisant sur le lit dur d'un livre. Un très beau livre de deuil, sans larmes et sans manières, mais qui écorche durablement. Un livre tuant, vraiment. »
Rencontre
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