Romans


Yves Ravey

Moteur


1996
80 pages
ISBN : 9782707315625
10.65 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Contraint de quitter le domicile familial, le jeune Matt, à court d'argent, s'installe chez le Consul dans un préfabriqué où il se lie d'amitié avec Ricard, le frère du propriétaire.
Surgit un jour Martin Landau, inspecteur des enfants malades à la brigade hospitalière, dont l'enquête révèle qu'il se passe quelque chose d'anormal dans cet appartement. Il n'y serait pas question en effet des seuls travaux de bricolage du Consul, des circuits imprimés produits par Ricard et des compétitions de fauteuil roulant, il s'y déroule d'autres événements, que Matt ignore et qui pourtant le touchent de très près.

ISBN
PDF : 9782707326416
ePub : 9782707326409

Prix : 7.49 €

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Jean-Baptiste Harang (Libération, 17 avril 1997)

Ravey pour de vrai
Une fois rencontré, on sait que ce que mettait Yves Ravey dans ses premiers livres était vrai, et comment il a conçu un Moteur à violentes embardées.
 
Besançon envoyé spécial.
« Maintenant qu'on a rencontré Yves Ravey, il faudrait se souvenir de tout ce qu'on a écrit sur lui avant de le connaître, et préciser les choses, les rectifier, les contredire, s'excuser s'il le faut, ou charger la mule, comme si on pouvait toujours tout dire des livres, mais pas des gens, parce que les livres sont lancés dans le public, même si parfois ils tombent entre des fauteuils vides. Pas les gens.
On disait qu'Yves Ravey habite au numéro 1 d'une rue dans une ville, ça c'est vrai, à Besançon, il y est né le 15 décembre 1953, et cinq romans publiés plus tard, il y vit toujours, on disait qu'heureusement que la ville dans le livre d'alors (Bureau des illettrés, Éditions de Minuit, 1992) s'appelait Vaubant car à dire le véritable nom ça le fâcherait pour plusieurs siècles avec ses voisins, tant pis, c'est Besançon, maintenant on ne peut plus reculer. Surtout que de vive voix Ravey précise : “ J'aimerais vivre dans une capitale pour être anonyme, New York, je ne sais pas, j'ai l'idée d'une vie comme dans la télévision, quelque chose d'harmonieux qui n'existe peut-être pas. ” Une vie de feuilleton. Bon, on disait aussi, comme dans La Table des singes (Éditions Gallimard, 1989), qu'Yves Ravey avait été élevé en Autriche par un oncle tuberculeux, que son éditeur l'avait déçu, que son cousin répare des flippers. C'était du roman. Maintenant tout est vrai, pour le premier éditeur, pour le cousin. Pour l'Autriche, sa mère est autrichienne, française aujourd'hui, bisontine, et la grand-mère tenait une auberge là-bas, les vacances en allemand. L'allemand qui reste comme toutes ces langues qu'Yves Ravey rêvait d'apprendre. Mais non. Son père, prisonnier de guerre en Autriche, en a ramené une langue, une femme. Il était serrurier. Il est mort lorsque son fils Yves, l'un de ses cinq enfants, avait quinze ans : “ Je l'ai vu mourir, c'est pour moi la scène fondatrice, pour ma vie, au risque de vous surprendre, j'en garde le souvenir d'une sorte d'intellectuel ”.
Madame Ravey entre dans la fonction publique pour faire des ménages et Yves entre à l'École normale, la seule façon d'étudier sans argent, il sera professeur d'enseignement général des collèges, le français et le dessin. Yves Ravey aurait préféré le dessin, mais il nous fait une grosse allergie à la mine de plomb, il dit que dessiner ou écrire c'est la même chose, alors va pour la littérature. Combien ? Il ne sait plus exactement, peut-être quinze manuscrits envoyés chez Gallimard avant que le premier soit accepté : “ Pourquoi Gallimard ? J'avais probablement Genet en tête, ces livres refusés n'existent pas, les textes non lus n'existent pas ”, Gallimard publie La Table des singes puis refuse le suivant, Pascal Quignard a quitté la maison, Yves Ravey n'y connaît plus personne. Pour savoir ce qu'il en pense, se référer aux personnages de Zwiebel et Sterfuk du Bureau des illettrés. Ravey trouve chez Minuit sa vraie maison.
Yves Ravey écrit sans arrêt, la nuit, le midi entre les cours, il écrit six ou sept fois chaque manuscrit : “ Le roman, c'est comme si je mettais mon corps en jeu, c'est un organisme physique, l'écriture se développe comme un cancer, écrire, c'est comme une sexualité, c'est se coltiner avec la totalité des choses. L'écriture sort vainqueur, elle doit dominer tout le reste. Le livre a son système interne. À la fin, il se suffit à lui-même, ce qui est écrit est écrit, ça ne me regarde plus, je n'ai pas de stratégie d'auteur, le nombre des lecteurs, tout cela, ce n'est plus moi. ” II dit aussi, peut-être à cause d'une ancienne allergie, allez savoir, “ l'ordinateur, c'est très élégant, il n'y a pas de rapport avec la matière ”.
Mais aussitôt après, lorsque Yves Ravey vous ouvre sous le nez ce qu'il appelle ses brouillons, on voit la matière, brute, brutale, coltinée, dressée, travaillée, malaxée, de grands cahiers à onglets, à entrées multiples biseautées dans les coins, coloriées, où foisonnent mille bouts de notes, coupures de presse, de publicité, tickets de parking, photos coupées, détourées, éclatées, le tout crayonné, réécrit, entouré, détourné, fléché, au mépris de l'allergie qui guette. On voit là une armoire avec le père dedans, une notice pour un véhicule à pédalage assisté (qui est devenu dans le livre qui sort aujourd'hui, Moteur, un instrument de torture), un croquis illustrant une vague mécanique des fluides, le peloton du Tour de France, des génériques de films où puiser les noms des personnages. Et des pages entières de journaux dont chaque mot a été encerclé d'une ou l'autre couleur, et réécrit, un par un dans un décalage pour le tordre, le contraindre, le forcer vers un autre texte qui sera le livre. Si l'écriture est un cancer et le roman un organisme, maintenant qu'on a vu les radios, on est en droit de penser que Ravey nous le délivre guéri. Et tous ses livres, drôles, cocasses, têtus, ont en mémoire une violence subie, une victime et une révolte.
Yves Ravey s'en défend, s'en défend mal : “ Je suis fier que l'on trouve mes livres drôles, je ne veux surtout pas être doloriste, mais tout cela, tout ce dont je parle, c'est la misère humaine, c'est la vie, c'est trop dur. Trop dur. ” Moteur est son cinquième roman publié, drôle, tendu, immédiat, plus simple dans sa construction que les précédents, un style bâtard entre discours direct et indirect (comme dans Le Cours classique, Éditions de Minuit, 1995), faussement parlé, faussement modeste. Ravey avoue qu'il remet l'ouvrage sur le métier tant qu'il n'est pas capable de produire le texte de présentation de son livre, en quelques phrases, ici, elles sont trois : “ Contraint de quitter le domicile familial, le jeune Matt à court d'argent, s'installe chez le Consul dans un préfabriqué où il se lie d'amitié avec Ricard, le frère du propriétaire. Surgit Martin Landau, inspecteur des enfants malades à la brigade hospitalière, dont l'enquête révèle qu'il se passe quelque chose d'anormal dans cet appartement. Il n'y serait pas question en effet des seuls travaux de bricolage du Consul, des circuits imprimés produits par Ricard et des compétitions de fauteuil roulant, il s'y déroule d'autres événements, que Matt ignore et qui pourtant le touchent de très près ”. Pas mieux. Le livre parle de l'abus de pouvoir et de la méchanceté chez de toutes petites gens. »

Fabrice Gabriel (Les Inrockuptibles, 1996)

« Ici, pas de caméra pour enregistrer du rêve, mais une très prosaïque chaudière installée par le Consul dans le préfabriqué qu'il loue au jeune Matt, chômeur et fils de chômeur. Le roman s'ouvre ainsi sur une description proprement hallucinante de l'installation bricolée par le propriétaire, dont il détaille la configuration jusqu'à l'asphyxie du rire, l'extinction de la parole. Il est tentant d'y voir d'entrée la métaphore d'un roman qui turbine au discours direct, et dont l'énergie orale se dépense jusqu'au délire. Il y a bien sûr beaucoup d'humour dans cette façon de pousser les personnages jusqu’aux limites de leur discours, là où la logique se rompt, où le délire se fait menace. Dans l'obsession machinique du Consul se devine ainsi une forme de terreur bureaucratique, l'esquisse d'un enfer kafkaïen dont Ravey, depuis Bureau des illettrés, semble un familier. De fait, l'effroi nous saisit à certaines pages de Moteur, comme si planait sur le récit une ombre totalitaire, d'autant plus inquiétante que son horreur ne se révèle qu'à la fin. On repense alors a l'étrange fable sur les camps qu'avait publiée l'auteur l'année dernière, et l'on se dit que Moteur aurait pu porter à nouveau le même titre, si terriblement actuel : Alerte. »

 




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