« Double »


Yves Ravey

Enlèvement avec rançon


2013
128 p.
ISBN : 9782707322845
8.00 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 2010.


Max et Jerry ne se sont pas revus depuis que Jerry a quitté la maison familiale pour l'Afghanistan. Max, son frère, est resté comptable dans une entreprise d'emboutissage.
Et, si, un soir, Jerry passe la douane en fraude pour un retour de quelques heures parmi les siens, c'est que, comme Max, il poursuit un objectif qui devrait lui faire gagner beaucoup d'argent. Le plan ne peut échouer. Quitte à employer les grands moyens.

ISBN
PDF : 9782707326157
ePub : 9782707326140

Prix : 7.99 €

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Jean-Maurice de Montrémy, Livres Hebdo, vendredi 2 juillet 2010

Un crime si parfait…

Max et Jerry sont frères. Ils ne se sont pas revus depuis vingt ans. S'ils se retrouvent c"est pour enlever la fille du patron de Max. Voici la quintessence d’un thriller en 144 pages. Signé Yves Ravey.

Max est comptable de l’entreprise Pourcelot , emboutissage en tous genres. Il a un faible pour la fille du patron, Samantha. A défaut de pouvoir caresser la belle, il caresse au moins un projet : l’enlever. Plan bien romanesque pour un comptable. Aussi Max compense-t-il cette fougue en se fixant un objectif pragmatique : il enlèvera Samantha, certes, mais ce sera contre une rançon extorquée au très antipathique Salomon Pourcelot, père de la jeune femme ; employeur peu recommandable, de surcroît.
L’affaire se déroule près de la Suisse, à la saison des neiges, ce qui permet à Yves Ravey d’imposer dès les premières lignes son art de l’épure avec une économie qui tient de la tragédie autant que de la comédie. Il suffit d’un mot pour que la machine broie du noir ou produise, au contraire, la blancheur éclatante du rire. Avec une grande maîtrise, Ravey alterne l’éclairage. Jusqu’à la conclusion, le lecteur hésite entre les deux couleurs. Ce qui relance le suspense. Les treize dernières lignes fixent définitivement le ton, comme on fixe une photo. Mais à chacun de les découvrir. C’est l’un des plaisirs de ce texte.
Max a un frère aîné qui s’appelle Jerry. Ils ne se sont pas vus depuis vingt ans. Pour apporter son aide technique à l’enlèvement (et s’adjuger une part de la rançon), Jerry surgit à la frontière suisse, côté pentes et forêts. Il franchit celle-ci par le blanc : son frère et lui sont de bons skieurs. Ce retour en fraude s’explique par le noir qui recouvre les vingt années d’absence de Jerry. Il suffit de savoir que Jerry a longuement séjourné en Afghanistan. Pour quoi faire ? Max - qui est le narrateur – ne nous le dira jamais. En tous cas, Jerry sait très bien comment on gère un rapt, comment on braque et comment on utilise la logistique d’un réseau dormant qui se réveille pour l’occasion.
Au détour d’une ligne, on apprend que Max et Jerry se nomment Capucin. Le lecteur pensera peut-être que tout cela c’est pour rire. Max et Jerry Capucin ravissant Samantha Pourcelot à M. Salomon, son père, en échange de cinq cent mille euros… Ce serait « Max et les emboutisseurs » après Max et les ferrailleurs ? Pas si sûr. Imaginez, par exemple, que Samantha soit en proie au syndrome de Stockholm et trouve du charme à la froide brute tueuse qu’est Jerry plutôt qu’au cerveau comptable qu’est ce cher Max ? Imaginez encore que les deux frères ne soient pas si d’accord qu’il n’y paraît sur l’emploi de la rançon ?
Rassurez-vous, si Max est le narrateur du roman, c’est que Max a survécu. Son crime est parfaitement réussi, impeccable jusqu’au bout. Pensez-vous, pour autant, que Ravey soit un immoraliste et que chez lui le crime paie ? C’est que vous ne savez pas encore en quoi le crime de Max est parfait, trop parfait. Si parfait…
En cent quarante-quatre pages, Yves Ravey signe un thriller admirablement stylisé. On peut penser à Hitchcock ou au Samouraï de Melville. C’est dire.

Isabelle Rüf, Le Temps, 4 septembre 2010

La force inquiète d'Yves Ravey

Mince et dense, « Enlèvement avec rançon » confirme l"importance d’Yves Ravey, écrivain discret, qui vit à côté de chez nous.

« Yves Ravey, c'est toujours bien, affirme la bibliothécaire en tamponnant un livre ancien, jamais je n"ai été déçue. » Une grande lectrice, après y avoir goûté, a lu tous ses ouvrages dans l’élan.
Ces deux-là peuvent se réjouir (et beaucoup d’autres, espérons-le) : le 9 septembre paraît Enlèvement avec rançon, le onzième roman d’Yves Ravey (lire ci-dessous). Le premier, La Table des singes, est paru chez Gallimard en 1989, grâce à Pascal Quignard. L’auteur avait 36 ans et des liasses de manuscrits refusés. Gallimard n’a pas suivi. Est alors intervenu Jérôme Lindon, son autorité, ses exigences, et Minuit est resté la maison de Ravey.
Depuis se suivent, à un rythme soutenu, romans et pièces de théâtre. Même en ce mois d’août, alors que la sortie de son livre l’inquiète, Yves Ravey ne cesse d’écrire, d’écrire et de raturer, d’écrire et de jeter, jusqu’à ce qu’il obtienne ces épures dont chaque détail est chargé de sens. Le dernier roman s’ouvre sur une scène de neige: «J’aime skier. J’ai donc écrit vingt pages. Puis j’ai presque tout ôté.»
«On ne peut pas se reposer, un texte en appelle un autre», dit-il aussi, lui qui écrit entre les cours. Car Yves Ravey enseigne, les arts plastiques et le français, au collège. Un bon prof : il suffit de se promener avec lui dans les rues de Besançon, la ville où il vit depuis toujours, de voir les élèves le saluer, lancer une plaisanterie. A la rentrée, il leur fera analyser une image célèbre - une petite fille qui meurt de faim, derrière elle, un vautour. Que faut-il faire : agir, aider l’enfant ou photographier pour témoigner ? Une passionnante question d’éthique, d’esthétisation de l’Histoire. «Même si j’en avais les moyens, je ne quitterais pas ce métier. C’est un bon antidote à l’enfermement de l’écriture, trop dur, trop anxiogène. Je me sens utile, un beau métier dévalorisé.»
Une fois, il est resté trois ans sur un texte, huit heures par jour. «Jusqu’au moment où j’ai compris : si c’est l’histoire de ton père que tu veux écrire, eh bien, écris-la.» C’était Le Drap (2003), à peine 70 petites pages, qui disent la mort du père, empoisonné par les émanations toxiques, l’alcool et une conception «héroïque» du travail. Un chef-d’œuvre de concision, une bombe miniature qui condense le matériel autobiographique éparpillé dans les romans précédents, drôles, plus expérimentaux, plus bavards. Pudeur de la lecture, s’intitule un texte paru chez Les Solitaires intempestifs. Pudeur de l’écriture aussi. Depuis Le Drap, elle est comme libérée, simple et sophistiquée.
Les romans qui suivent tiennent du polar, mais un polar à l’intrigue mince, qui vaut pour ce qu’il révèle du monde et des êtres. Des enfants, de très jeunes gens en sont souvent les acteurs et les victimes, manipulés et malins (Pris au piège, Bambi Bar, Cutter). «Des histoires, j’en ai des dizaines. Mais peu tiennent de bout en bout. Il faut savoir abandonner celles qui n’ont pas la densité suffisante.»
Ses vacances, Yves Ravey les passe en Italie, à visiter musées et églises. Sur ses murs, les ânes et les camions d’Alain Mathiot lui rappellent Maître Eckhart. La peinture nourrit son écriture et sa pensée. C’est peut-être d’elle qu’il tient ce sens du détail qui fait la force de ses histoires. «Il faut obéir à la nécessité de circonscrire un fait dans la durée et dans l’espace», dit-il. Si dans Enlèvement avec rançon, les deux frères mangent des œufs au plat, c’est d’abord qu’il faut bien prendre des forces, que le temps est mesuré. «Moi, je vis le truc en même temps. Et comme c’est moi qui fais à manger à la maison, je cuisine là aussi.» Ce repas permet de les faire discuter. «Des gens comme eux ne peuvent se dire des choses importantes que dans l’action.» Les œufs renvoient à ceux que leur préparait la mère le dimanche soir, ils recréent une intimité et permettent de circonvenir le frère de retour. Il laisse de côté les tranches de lard. La piste est précieuse : il est revenu musulman. Dans un roman, tout doit se tenir dans une cohérence absolue et imperceptible, y compris les noms des personnages qui «conjuguent dans la symbolique», à la fois évidents et décalés. Ainsi, «Max, le comptable, c’est le larbin du patron, pas brillant, sans saveur».
Les livres d’Yves Ravey sont brefs, à peine 150 pages aérées, mais sitôt qu’on les déplie, ils ouvrent sur un monde. Ce monde est souvent celui de l’exploitation (des enfants, des travailleurs). Les bruits du monde y pénètrent – la Yougoslavie dans Bambi Bar, l’Afghanistan dans Enlèvement avec rançon. La Résistance et la collaboration sont aussi là. Il faut savoir cette mère autrichienne que le père est allé rechercher après son retour du STO. Mais tous ces éléments jouent en sourdine, sans explication ni justification, sans point de vue moral. Ils donnent juste «le reflet effrayant de notre humaine condition». L’audience d’Yves Ravey s’élargit. On l’invite dans des universités, des colloques. Ses pièces sont jouées. Le Drap sera monté à la Comédie-Française en 2011. On voudrait que ses livres rencontrent le large public pour lequel il écrit et qui s’y reconnaîtrait.

Frères complices, frères ennemis

Sur le quai de la gare de ­Vallorbe, deux frères s’étreignent. Ils ne se sont pas vus depuis vingt ans. Dès les premiers mots de Jerry, un agacement ancien sourd chez Max. C’est lui qui le dit. Ils ont en commun leur enfance, et un projet qui réclame une bonne entente, au moins pendant quelques heures : enlever la fille du patron de Max «qui ne répondait pas à mes avances». Deux petits paragraphes et tout est posé pour que la tragédie s’accomplisse. A moins qu’il ne s’agisse d’une bouffonnerie : Max et Jerry, nouveaux Pieds Nickelés? Avec Ravey, on ne sait jamais.
Il fait nuit, c’est l’hiver, il faut passer de l’autre côté de la frontière, à skis, sous la neige. C’est un passage d’une grande beauté, paisible en dépit du risque, de l’agressivité toujours en alerte. Jerry vérifie les détails du plan, on sent qu’il a l’habitude de commander. Salomon Pourcelot, le patron de l’entreprise dont Max est le comptable, devra verser 500 000 euros en échange de sa fille. Moitié pour chacun, qui s’en ira ensuite de son côté. On ne sait pas ce que Max compte faire de son argent, sinon le planquer et attendre. Jerry, lui, destine la somme à « l’organisation ». Il ne souhaite pas en dire plus. On apprend par bribes qu’il a vécu en Afghanistan, qu’il n’a ni femme ni enfants, que son arme vient d’Israël. On sent qu’il est prêt à tout.
L’enlèvement a lieu comme prévu, brutal. Jerry gère la séquestration. Max le comptable s’affaire à réunir l’argent de la rançon pour son patron. Tous deux accumulent de menues erreurs, de celles qui font tout capoter. Samantha, l’otage, joue un rôle trouble qui attise les jalousies. L’histoire se termine dans une explosion de violence. Comme c’est Max qui la raconte, et qu’il n’est pas bavard, elle a beaucoup de trous. Au lecteur de les combler. Et d’abord, cette énigme : d’où parle Max, et à qui, après la catastrophe finale ? On peut imaginer pour lui une fin cynique, riche et heureux. Ou, plus moralement, le voir traqué, bientôt rattrapé par ses crimes. On a le droit de s’inquiéter pour sa vieille mère, dont il se sert sans scrupule. Ravey nous laisse nous débrouiller avec nos questions.
Enlèvement avec rançon est une histoire de trahison et d’amour fraternel, de rancœurs familiales longuement macérées, l’ombre des parents plane : la tombe du père, la mère, dans son EMS. Comme toujours dans les romans d’Yves Ravey, un arrière-plan social se dessine par touches. Non seulement les ouvriers syriens de Pourcelot n’ont pas touché leur paie, mais ils seront renvoyés chez eux sous peu. Les comptes du patron ne sont pas nets, ce qui le lie à son comptable. La politique mondiale fait aussi irruption avec le terrorisme et ce « réseau dormant » auquel appartient Jerry, prêt à se réveiller. Par quel fanatisme ce garçon, né dans une patelin du Jura français, issu de la classe ouvrière, s’est-il embarqué jusqu’au bout dans une cause si éloignée de lui ? Yves Ravey se garde bien de fournir des réponses. Ce qui l’intéresse, c’est la terreur elle-même, celle qui le fascinait dans sa jeunesse « romantico-marxiste », devant l’attentat aux Jeux olympiques de Munich en 1972 ou les actions de la Rote Armee Fraktion, et qu’il voit à l’œuvre aujourd’hui. Il n’y a aucune morale, aucun jugement dans ce roman, dépouillé jusqu’à l’os, tragique comme peuvent l’être les westerns, burlesque aussi, comme eux, parfois. Du grand art.

Jean-Baptiste Harang, Le Magazine littéraire, septembre 2010

Le succès de la rançon

 Avec un titre pareil, Enlèvement avec rançon, on en fera un film, c'est sûr, avec deux mauvais garçons qui se ressemblent, pas si mauvais, malheureux plutôt, un bourgeois vaguement cynique en Vel Satis, et une jeune fille de famille, sans foi ni loi, cabocharde, des seconds rôles patibulaires, des gros bras, et une ou deux âmes lentes, casting facile, scénario ficelé, un film de trop, découpé comme le roman, brut de récit comme le roman, rapide, efficace. Des noms volés aux séries B, Max, Jerry, Samantha. On en fera un film raté, comme souvent avec les bons livres, ces livres sans gras écrits entre les lignes, qu"on lit d’une première traite, bien calé sur les rails, qu’on prend pour des scénarios, suspense, action serrée, phrases courtes, pas de baratin, un début sur les chapeaux de roues (une Clio, un Ford Transit), des rebondissements imprévus, forcément, une fin inespérée. Quel est le producteur qui saura résister à cela ?
Jerry revient, après vingt ans passés en Afghanistan, pour quelques heures au pays natal, il tombe dans les bras de son frère Max, et, « quand il a relâché son étreinte, il a demandé si j’étais toujours prêt à enlever la fille de mon patron, qui ne répondait pas à mes avances, et j’ai fait oui de la tête », c’est Max qui raconte, voyez que ça n’a pas traîné, dès la première page, et on ne va pas tarder à l’enlever la fille du patron, on va demander la rançon, on le sait depuis le titre, et tout est dans le film.
Et pourtant, il faut revenir, relire ou se souvenir d’avoir lu entre les lignes, là où tout est écrit, tout ce qui ne se filme pas, se fracasser les yeux sur les chemins de traverse, accepter que votre cœur fébrile défaille sur des petits morceaux de rien qui ne font pas avancer l’intrigue, mais intriguent pour eux-mêmes, pour ce qu’ils disent de notre médiocre humanité, de nos vies sans héros, de vos violences sans bravoure.
Ce n’est pas le projet d’enlèvement qui compte, mais la phrase d’avant, sur le quai de la gare : « Et tout de suite, sans que j’oublie rien de ce qui nous liait, notre enfance, mon père et ma mère, nos rapports se sont tendus », nous n’avons pas dépassé la première page que tout est noué. Le père est mort, la mère à l’hospice, la question n’est pas de savoir si le patron paiera la rançon, si Samantha s’échappera, si les costauds reprendront l’avantage, mais si Max a bien fait de déposer chaque semaine un bouquet de pivoines sur la tombe du père de la part de Jerry. Pendant vingt ans. Même pas des pivoines, mais des fleurs choisies par leur mère depuis son fauteuil roulant. Des pivoines contre un Desert Eagle 50 Magnum, ce n’est pas du cinéma. Pas même de fauteuil roulant, seulement un taxi.
Entre les lignes, il y a juste la place pour l’amour qu’on ne dit pas, la rancune qui ne s’avoue pas, la jalousie qui fait honte, la violence qui ne vous appartient pas. Les lignes noires sur blanc, c’est juste le temps de la magie d’une écriture, le culot de terminer un chapitre de thriller par ces trois petites phrases : « J’ai lâché le guidon. Le vélo s’est déséquilibré. Je l’ai retenu par la selle », page 35.

Corina Ciocârlie, Tageblatt, septembre octobre 2010

Piste noire

Yves Ravey publie chez Minuit depuis 1992 et ses romans ne ressemblent à rien de connu. A l'image du tout nouveau Enlèvement avec rançon, ses dernières livraisons sont de « faux polars » stylisés, à l"intrigue mince - à peine 140 pages aérées, mais quel régal !

Max et Jerry sont frères. Ils ne se sont pas revus depuis vingt ans. Jerry a quitté la maison familiale pour l’Afghanistan, alors que Max est resté comptable dans une entreprise d’emboutissage. S’ils se retrouvent en pleine montagne près de la frontière helvétique, ce n’est pas seulement pour le plaisir de se serrer longuement dans les bras. Quand Jerry lâche son étreinte, il demande à Max s’il est toujours prêt à enlever Samantha Pourcelot, la fille de son patron, qui ne répond pas à ses avances. On est page 7, et Max fait oui de la tête.
Dans les brefs romans d’Yves Ravey, tout va toujours très vite, trop vite, comme sur ces pentes abruptes, semées d’embûches, par lesquelles les deux malfrats ont décidé d’aborder le vif du sujet : quelques virages à ski sur la glace suivis d’une petite faute de carres – premier avertissement sans frais pour Max –, avant de poursuivre en dérapage entre les rochers. « Au pied de la piste, Jerry a voulu savoir si le fourgon était bien garé à l’endroit prévu. J’ai hoché la tête et je lui ai demandé s’il pensait que ça pouvait réussir. Il a soupiré : Il est trop tard pour s’inquiéter. »
Par touches précises, contrastées, en noir et blanc – blanc comme la neige des Alpes, noir comme les pistes à suivre, y compris narratives –, Yves Ravey délimite son périmètre romanesque, son nouveau lieu du crime. Depuis Bambi Bar (2008) et Cutter (2009), on connaît la chanson : peu ou pas de commentaires, encore moins de pose moralisatrice, juste ce qu’il faut d’étonnement face à un piège qui se referme inexorablement sur les personnages.

Double bonus

Côté accessoires, par contre, cet Enlèvement avec rançon s’annonce haut en couleurs : un demi-million en coupures de cent, deux cents et cinq cents, une Renault Vel Satis pour le transport de fonds, une Ford Transit parquée derrière un hangar, un Desert Eagle calibre 50 Magnum caché sous un chandail, un sewing kit de l’hôtel Sheraton, trois sacs de sport – deux Olympique de Marseille et un Manchester United. Chaque détail, on s’en doute, est capital, tout comme le fameux fusil accroché au mur au début de l’acte I, et qui ne manquera pas de détoner à la fin de l’acte V.
Depuis son premier roman sorti chez Minuit, Yves Ravey ne cesse de buter contre « cette horrible littérature » pavée de bonnes intentions, qui représente le fonds de commerce du Bureau des illettrés (1992). De quoi est donc faite, par contraste, la bonne littérature qui réclama toujours, obstinément, de mauvais sentiments ?
Les romanciers américains de la trempe de Kerouac vous diront que, si le personnage est en train de frire des œufs au début d’un chapitre, le lecteur devrait immédiatement sentir la chaleur de la graisse qui lui éclabousse le visage. C’est exactement ce qui se produit tout au long de ce frétillant Enlèvement avec rançon – avec un double bonus consistant, primo, à rappeler que si le ravisseur, dans le feu de l’action, se prend le temps de préparer des œufs au plat pour son frère aîné, c’est en guise d’hommage à ceux que leur mère leur servait le samedi soir lorsqu’ils étaient petits et sages ; secondo, à suggérer discrètement que, si Jerry écarte de la fourchette les tranches de lard au bord de l’assiette, c’est sans doute parce qu’il a opté entre-temps pour la loi et la foi islamique.
D’ailleurs, 80 pages plus tard, un « frère d’armes » – le Grand Dédé, rencontré à Peshawar – sonnera à la porte pour enfoncer aussitôt le canon de son revolver sous le maxillaire inférieur de Max. Le lecteur appréciera, tout en essuyant discrètement une goutte de sueur froide sur sa tempe.
 

Lire aussi l'article de Vincent Jolit (revue Rhinocéros) 
http://rhinoceros.eu/2010/09/enlevement-avec-rancon-d-yves-ravey/

 




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