Yves Ravey
Le Cours classique
1995
144 pages
ISBN : 9782707314956
11.60 €
30 exemplaires numérotés sur vergé des papeteries de Vizille
Après l'incident survenu à la piscine, quand Monsieur Pipota a surgi des vestiaires vêtu d'un maillot de bain à motifs exotiques et coiffé d'un bonnet rouge tel un phoque multicolore, le censeur des études s'est vu contraint d'instruire une enquête pour élucider le comportement des élèves et l'attitude du professeur de natation.
Mais chaque explication, en subvertissant la précédente, exclut les protagonistes les uns après les autres. Peu à peu se dévoile la logique très particulière du cours classique.
ISBN
PDF : 9782707326713
ePub : 9782707326706
Prix : 8.49 €
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Jean-Patrice Dupin (La Quinzaine littéraire, 16 février 1995)
Rigueur et humour
« Le cours classique », c'est le nom d'un cycle d'études dispensé au sein du collège Trinité, cadre du nouveau roman d'Yves Ravey. La routine y va de pair avec l'exigence, pour les élèves comme pour les professeurs, d'une rigueur morale à toute épreuve. Tant sont draconiennes les règles explicites ou implicites qui régissent ce cours, qu'il suffira d'un incident mineur pour donner lieu à une cascade de rebondissements qui entraîneront le lecteur dans les méandres tragiques et délicieux d'une logique absurde.
« Le Cours classique fait partie de ces livres dont on ne peut s'empêcher de se demander, au début, où l'auteur veut bien en venir. Conrad Bligh, un professeur sans illusions qui ne continue à enseigner que parce qu'il se sait totalement incapable de faire quoi que ce soit d'autre, donne à ses élèves des “ cours d'acquisition du savoir ”, tortueux monologues mêlant morale, principes, confidences et souvenirs personnels.
Peu à peu est mis sur le tapis l'événement qui préoccupe l'ensemble du cours classique : un professeur d'anglais tout ce qu'il y a de plus respectable (quoique répondant au nom plaisamment grotesque de monsieur Pipota), a été pris à partie, tourné en ridicule, et même quasiment noyé par des élèves dans une piscine, lors d'un cours d'éducation physique où il était venu prêter main forte à un collègue. Il faudra sanctionner les meneurs de cette action inqualifiable, bien sûr, et monsieur Saint-Exupéry, le censeur des études, ne manquera pas de prendre dans cette affaire les mesures qui s'imposent. Mais ce dernier ne va pas s'en tenir là : sa rigueur morale, son souci de justice et de perfection vont en effet l'amener à conduire une minutieuse enquête, avec interrogatoires et reconstitutions à l'appui, pour déterminer, au-delà du geste des élèves, qui est responsable du fait qu'un tel drame ait pu advenir dans un cadre tel que celui du collège Trinité.
Le Cours classique fait partie de ces livres dont au bout d'un moment on renonce à savoir où l'auteur veut en venir. Les questions qu'on se posait au début, voilà qu'on ne se les pose plus, voilà qu'on s'abandonne à des pentes inconnues, sur des parcours non balisés : on s'en remet au livre, et qu'il nous entraîne où il voudra !
La force très curieuse d'Yves Ravey, c'est qu'il parvient à construire un roman sur un incident objectivement anodin, non seulement sans jamais essayer de nous convaincre que cet événement n'est pas effectivement anodin – l'auteur n'en est pas dupe lui non plus, et l'humour pince-sans-rire qui affleure et s'affirme davantage au fil des chapitres en apporte la preuve s'il en était besoin -, mais encore sans jamais qu'on se désintéresse de cet événement et de ses conséquences possibles. Nous assistons en effet à la façon dont la mésaventure subie par Monsieur Pipota acquiert son statut de drame pour les protagonistes du cours classique, comment ils en viennent à lui accorder une telle importance, à lui attacher de telles implications. Cette métamorphose, qui tient en fait à la manière dont ceux qui incarnent l'autorité, professeurs ou censeur, se représentent les choses, prend corps à travers la façon dont ils en parlent. Ainsi, et même si vue de l'extérieur la prétendue gravité de l'incident en question prête à sourire, il n'empêche que nous voyons peu à peu disparaître la réalité des faits derrière ce qui peut en être dit, et les personnages eux-mêmes se réduire du coup aux seuls discours qu'ils se tiennent, qu'ils tiennent aux autres ou que l'on tient sur eux.
Et c'est là, dans cette prolifération des discours possibles, qu'Yves Ravey s'en donne à cœur joie, et que, sur la base de ce petit incident, il va pouvoir, à travers les voix de Bligh et de Saint-Exupéry, donner libre cours à d'inlassables réinterprétations et changements de perspective venant se renforcer, se contredire, s'enchevêtrer de la façon à la fois la plus logique et la plus invraisemblable, avec pour conséquences une confusion totale quant à savoir qui est victime ou qui est coupable, des sanctions terribles quoi qu'il en soit pour la plupart des protagonistes, et pour le lecteur une véritable jubilation devant ce déferlement d'arguties aussi oiseuses qu'imparables. Chaque tentative pour éclaircir la situation l'obscurcit davantage, mais comme, au lieu d'être plongés dans cette obscurité, nous assistons à son déploiement sous forme d'un minutieux délire fait de rebondissements multiples, tous plus inutiles et cocasses les uns que les autres, cet enlisement de la situation prend un tour véritablement fascinant.
Ce n'est pas l'histoire en tant que telle ici qui importe ; ce qui se passe au cours classique, ce qui arrive à ces professeurs, à ces élèves, à ces personnages volontairement présentés comme sans épaisseur, confinés entre ces murs sans forme, ne mériterait pas en soi un quart de l'intérêt que pourtant nous ressentons. Mais le spectacle de cette institution fermée sur elle-même, où s'élaborent et prolifèrent des systèmes de règles, de signes, de discours qu'un excès de zèle rend absurdes et asphyxiants, sans qu'à aucun des personnages ne soit laissée la possibilité d'avoir sur la situation le recul que parallèlement Yves Ravey offre à son lecteur, est ici magistralement mis en scène, avec une rigueur, un humour, et au bout du compte une cruauté qui font du Cours classique, dont le ton n'est pas sans rappeler parfois celui de Thomas Bernhard, un livre singulier et insidieusement attachant. »
Jean-Baptiste Harang (Libération, 16 février 1995)
Par Yves Ravey, un Cours classique gris et lent mais qui capte l'attention, écrit à la première personne du singulier, toujours seconde et plurielle.
« Le Cours classique est le troisième roman du discret et tenace Yves Ravey, il y est fidèle à l'ambition littéraire que l'on avait, peut-être à tort, cru lire dans les deux premiers : ne rien faire pour séduire, ou pire, tout faire pour ne pas séduire. Cette sorte de modestie ou de pureté, d'exigence, voire d'orgueil, n'est pas à la portée de n'importe qui. Il faut du talent pour ne pas plaire sans tout à fait déplaire, retenir l'attention en feignant de s'en désintéresser, et au bout du compte, le plus tard possible, subjuguer pour de bon, sans charme et sans hypnose, par la seule force d'une évidence d'écriture, d'intelligence, ici déviée par les personnages dans cette caricature de la raison qu'est la logique du fou.
Le Cours classique est une section du collège Trinité dont l'objet est tout entier dans les cinq premières lignes du livre : “ Dans le cours classique, les élèves n'apprennent rien d'autre que la soumission, mais personne ne leur est supérieur en intelligence ; ils apprennent à devenir les subalternes des êtres parmi les plus méprisables qui soient et qui sont presque leurs égaux, les professeurs. ” Conrad Bligh y est professeur, chargé du “ cours d'acquisition du savoir ”, Antonio Pipota y enseigne l'anglais, Jean-François Saint-Exupéry y est censeur des études, d'autres y ont d'autres responsabilités, la plupart ont appris la pédagogie à “ l'école naturelle ”, et rien ne prouve que la moindre lumière ait jamais pénétré l'établissement.
On peut lire sur la quatrième page de couverture du livre un clair exposé d'une intrigue à la fois rudimentaire et inextricable : “ Après l'incident survenu à la piscine, quand monsieur Pipota a surgi des vestiaires vêtu d'un maillot de bain à motifs exotiques et coiffé d'un bonnet rouge tel un phoque multicolore, le censeur des études s'est vu contraint d'instruire une enquête pour élucider le comportement des élèves et l'attitude du professeur de natation. Mais chaque explication, en subvertissant la précédente, exclut les protagonistes les uns après les autres. ” Précisons l'incident : deux élèves, suivis de tous les autres, ont maintenu sous l'eau la tête de leur piètre nageur de professeur d'anglais, et qu'on peut y voir un simple chahut ou une tentative d'assassinat. C'est selon. Et c'est ce selon-là qui fait tout le livre.
On peut bien sûr lire Le Cours classique d'un œil premier et s'y régaler d'une satire de l'école, toujours bonne à prendre, où cohabitent bonté et bêtise, tolérance et caporalisme, irresponsabilité, gentillesse et tyrannie, désolation. Et tenter de répondre à deux questions explicites : “ Pourquoi monsieur Pipota rase-t-il les murs son parapluie sous le bras ? ”, page 10, et “ peut-on aimer ses élèves et se laisser noyer par eux ? ” (page 117). On peut ensuite étendre la portée de la charge à la médiocrité de la nature humaine et au peu de talent de ceux qui cherchent à la contraindre, on peut enfin essayer de comprendre pourquoi ce texte aux allures volontairement grises et lentes finit par capter toute notre attention, à contre gré, inexorablement, jusqu'à la transformer tantôt en colère tantôt en rire sonore.
La technique narrative est particulière : presque tout le livre est écrit à la première personne, mais cette personne est seconde et plurielle. Seconde car un narrateur précède chaque fois la parole dite pour introduire celui qui va dire “ je ” et de temps à autre le relayer pour qu'il souffle un peu. Plurielle car quatre ou cinq personnes vont se partager successivement ce “ je ”, jusqu'à ce que Saint-Exupéry impose le sien d'autorité. Cette première personne se divise parfois, en passant d'un discours presque direct mais sans guillemets (Conrad parle à ses élèves) au récit intérieur d'un souvenir (Conrad évoque sa jeunesse). Et ce “ je ” dans son discours, une fois la parole prise, cite à son tour d'autres voix qui elles-mêmes rapportent un discours entendu, et s'établissent ainsi des strates gigognes de premières personnes dont on trouvera un exemple plus probant que ces explications embrouillées aux pages 118 et 119. Bref, Yves Ravey maîtrise parfaitement ces complications apparentes pour embrouiller son lecteur sans jamais le perdre de vue, jusqu'à lui faire croiser le regard du fou. Et, sa confiance gagnée, il se laisse enfin aller à quelques facéties qu'on lui croyait interdites, comme la description d'un plateau de cantine ou la séance de commande de vin pétillant dans la salle des professeurs. Mais ce n'était que pour mieux sauter dans une mort promise dès la première page. »
Patrick Kéchichian (Le Monde, février 1995)
« Le centre de gravité du roman d'Yves Ravey se constitue en se creusant comme un puits sans fond. Autour de l'obscure profondeur, un discours vertigineux se développe qui tient des minutes d'un interminable et fantomatique procès, de la froide et vide précision d'un rapport administratif, en même temps que du franc délire. »
Jean-Claude Lebrun (L’Humanité, février 1995)
« À sa façon impitoyablement destructrice, le “ cours classique ” nous propose une véritable image virtuelle d’une normalisation douce, qui préfère aux oppositions frontales les silences et les évitements, et opère dans la langue les tris en conséquence. Une vision personnelle sans concession, qui installe Yves Ravey parmi les talents les plus originaux. »
Rencontre
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