Romans


Claude Simon

Le Vent
Tentative de restitution d'un retable baroque


1957
244 pages
ISBN : 9782707300560
18.75 €


« Qui est Antoine Montés ? un idiot ? un saint ? l'incarnation de l'innocence désastreuse ? Devenu son ami, ayant interrogé le notaire, recueilli les bruits qui courent en ville, le narrateur tente de reconstituer l’aventure du héros. Mais Montès, tout sensible qu’il est, n’a du monde et des êtres qu’une perception confuse et fragmentaire. Il paraît incapable de s’intéresser vraiment à ce qui lui arrive, de mener des actions réfléchies, et même de terminer ses phrases. Le narrateur se doit - à cette époque Claude Simon se réclame d’un réalisme phénoménologique – de respecter cette réalité vécue : il en propose donc moins une reconstitution cohérente qu’une restitution à coups d’images, de tableaux successifs, de propos suspendus. Davantage, il ne cesse de recourir à son imagination pour visualiser ce qu’on lui raconte, pour « inventer » ce réel (« je ne pouvais m’empêcher d’imaginer », « il me semblait le voir », « je cherchais à l’imaginer »). Le Vent devient ainsi un grand roman problématique : parce qu’il dénonce notre incorrigible besoin de raison et la prétention des récits traditionnels à imposer un ordre logique au réel ; et parce qu’il s’avoue constamment la restitution imaginaire de ce que Montés a ou aurait vécu. Ce qui ne nuit en rien à son pouvoir d’émotion. Même « réinventé », le destin de Montés est pathétique, tout comme l’amour pudique et timide qu’il porte à Rose et aux deux fillettes.
Portrait d’un être dont le comportement ingénu conteste la logique des notaires et l’ordre établi, Le Vent est aussi l’admirable évocation d’une ville méridionale avec ses petites gens, ses places, ses platanes, ses saisons et le vent « immémorial » qui donne son titre au roman. »
Jean-Luc Seylaz, Dictionnaire des œuvres (Laffont, « Bouquins », 1994).

ISBN
PDF : 9782707325433
ePub : 9782707325426

Prix : 8.99 €

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Jean Blanzat (Le Figaro littéraire, 26 octobre 1957)

« Dans ses romans, depuis Le Tricheur paru il y a douze ans jusqu’au Sacre du Printemps de 1954, Claude Simon s’est montré imprégné de Faulkner
S'il s’agissait d'une hypothèque, elle ne semblerait pas levée dans cette Tentative de restitution d'un retable baroque. Lorsque Claude Simon parle, par exemple, de la “ vie (qui) reprend sa superbe et altière indépendance, redevient ce foisonnement désordonné, sans commencement ni fin, ni ordre ” ; lorsqu'il montre une femme belle, “ mais de cette sorte de beauté pour ainsi dire injuriée, au delà de ce qu'on appelle couramment la beauté, avec ce quelque chose d'autre que les mutilations ou la patine ajoutent ou plutôt confèrent à une de ces têtes trouvées dans les ruines ”; lorsqu'il nous montre son héros “ assistant impuissant, navré et ironique au déroulement de sa propre vie ”, nous reconnaissons, sur quelques points essentiel, L’empreinte et jusqu'au vocabulaire faulknériens.
Voilà qui touche à l'originalité profonde de ce livre, mais n'enlève rien à sa richesse, à sa force obsédante, à son art accompli.
Tentative de restitution d'un retable baroque, dit le sous-titre, qui répond avec précision au propos de l'auteur. Un narrateur, professeur de Iycée dans une ville qui pourrait être Perpignan, essaie de reconstituer, en rassemblant et ordonnant les témoignages de ses différents acteurs ou de ses témoins, une brève et rapide histoire qui vient d'occuper la chronique locale. Le mot retable suggère la succession des tableaux. Il a une résonance religieuse qui ne correspond pas à la nature entièrement profane des événements, mais qui pourrait se justifier par le caractère du héros principal, sorte de saint qui accomplit un destin exemplaire. Quant au terme “ baroque ” il nous semble amplement explicable par l'abondance des détails méticuleux et obsédants, par la mise en scène théâtrale des principaux épisodes et jusque par la démarche du style très précis, mais insistant et ciselé.
Le sens le plus général du livre, une épigraphe de Valéry nous le livre : “ Deux dangers ne cessent de menacer le monde, L’ordre et le désordre. ”
Lorsque Antoine Montès, figure centrale du retable, arrive dans une ville du Midi de “ cent mille habitants ”, bâtie au milieu des vignes, dans un “ paysage aigre et brutal ” traversé par le vent (“ cette tempête, cet ouragan quasi permanent ”), bordé vers la mer “ d’étangs morts ”, il incarne, sans le savoir, sans le vouloir, le désordre. Cet homme cent fois décrit comme “ un de ces personnages sortis de Daumier, du type échassier, poussiéreux et râpé ”, vient de loin pour prendre possession d'un héritage. Son père, qu'il n'avait jamais vu, est mort quelques jours auparavant. Il avait laissé péricliter un domaine de deux cents hectares de vigne, jadis un des plus beaux du pays. Montès, contrairement à l'attente, et, sans doute, aux intrigue du notaire, décide, par une bizarre piété filiale, de garder la propriété En faisant cela il se heurte à l'Ordre que le notaire incarne comme le représentant de toute la ville, un Ordre extrêmement simple, fondé sur un critère unique : “ L’Argent ”. Montès est pour cet ordre un adversaire désarmé, parce que le monde tel qu’il est lui est inconcevable : “ Il ne pouvait sans doute pas s'empêcher d'aller à contre-courant, de se précipiter d'une manière ou d'une autre dans les sens interdits, en pensant probablement que c’étaient les bons, ou même sans rien penser du tout ; parce qu'il ne pouvait, ne savait pas faire autrement. ” Naturellement Montès perd la partie. Au bout de sept mois de fausses manœuvres il est acculé à la vente ; “ tout (rentre) de nouveau dans l’ordre reformé, indestructible, jusqu'au vent lui-même… ”
Cet aspect social n'est que le plus banal du drame de Montès. Arec “ sa douceur, sa catastrophique bonne volonté.. (sa) conception obstinément boyscoutesque et optimiste du monde à quoi il se raccroche, qu'il cherche à préserver, à tenir pour vraie contre l'évidence même ”, l'homme pour quelques êtres de son espèce est rayonnant Il exerce “ sur les gens, à son insu, un incompréhensible attrait… ” Ils passent à son propos de “ L’ahurissement ” à “ L’exaspération ”, à la “ fascination ”. Autrement dit, il tend sur d'autres plans, à détruire un autre ordre, celui du conformisme moral, des sentiments falsifiés et de la résignation. C'est pourquoi il est dangereux, involontairement, à la manière de certains saints non militants. Montès attire particulièrement deux sortes d'être : les femmes et les enfants. Dans L’hôtel de troisième ordre où il a choisi de loger en attendant le règlement de ses affaires, Antoine Montès rencontre une serveuse, Rose, la femme à la “ beauté pour ainsi dire injuriée ” Une des plus belles scènes du roman montre l'homme au cœur intact, parlant à la “ bonniche ” avilie par un destin qu'elle accepte et dont par là elle se rachète, scène d'un amour pur, sans aveu, qui ne trouve – autre trait faulknérien – un semblant d'accomplissement que devant le cadavre de Rose, tuée par son mari, un gitan voleur, qui s'est cru dénoncé et a été lui même abattu par la police. Cet épisode, bref et violent, reste un peu gros pour le livre, et, d'une façon générale, les événements et les faits rapportés dans le roman résistent, dans leur banalité conventionnelle, à la transposition poétique et épique vers quoi tend le récit.
Il se trouve que, d'une façon très indirecte, mais cependant certaine, Montès est à l’origine de la mort de Rose, qu'il aimait. C'est qu'il a intrigué, puis, sans le vouloir, séduit une de ses jeunes cousines, Cécile, très “ jeune fille d'aujourd'hui ”, attirée par ce non-conformiste. Alors, comme le notaire, champion de l'ordre social, Hélène, sœur de Cécile, championne de l'ordre moral, se dresse devant Montès. Elle a voulu l'atteindre à travers son amour pour Rose et elle a, par une dénonciation, déclenché l'intervention doublement meurtrière des policiers.
Hélène agit de l'extérieur comme “ la stupide déesse de la tragédie grecque ”. Antoine Montès, parce que son destin le dépasse, ressemble lui aussi à un héros grec de tragédie. Toutefois, et c'est en cela que profondément il nous touche, il n'est pas moralement passif ou même distrait. Tout au contraire, nous dit le narrateur : “ Il vit en permanence dans (un) état de terreur. ” C'est qu'il a conscience de sa singularité, de sa responsabilité. “ Est-il possible, se demande-t-il, de faire un seul geste sans que tout se trouble comme la vase d'une mare ? ” Le retable dont il s'agit, nous le voyons, est dédié à la pureté, plus dangereuse que la pitié. »

André Dalmas (La Tribune des Nations, 27 septembre 1957)


« Histoire d'un personnage et de la sensibilité, récit d'une aventure ou aventure du langage, le livre de Claude Simon est tout cela et, si le mot n'était pas affaibli par l'usage immodéré qu'on en a fait, je dirais de ce roman qui est “ extra ” ordinaire.
L'ouvrage a deux titres, ou plutôt son titre Le Vent est suivi d'une ligne qui le précise : Tentative de restitution d’un retable baroque.
Pourquoi le vent ? Parce que le livre refermé, l'aventure n'est terminée ni pour le lecteur, ni pour le langage. Des huit ou dix personnages principaux, L’auteur a exprimé tout ce qui pouvait l'être d'une façon raisonnable, mais la vie du langage continue hors de leur présence : la vie du langage d'abord, celle du décor enfin, sorte de théâtre naturel sur lequel le vent, la pluie ou la lumière jouent le rôle de ces forces permanentes que l'homme ne peut contrôler. Le vent et la tempête dont le souffle fait le son aigu de la lamentation, comme, si le vent enviait aux hommes endormis, aux créatures passagères, leurs possibilités de paix, leur faculté d'oubli : le privilège de mourir.
Pourquoi baroque ? Baroque veut dire bizarre parce qu'irrégulier et ce qui est irrégulier dans le livre de M. Simon c’est que la vie n'y est point décrite, ni de L’extérieur, ni même de l'intérieur. Elle est reconstituée.
L’anecdote est simple : un jeune homme revient dans son pays après trente-cinq ans d'absence. Je précise : c'est la mère du jeune homme qui autrefois avait fui alors que le jeune homme était conçu, non point né. Il revient parce que son père est mort, que le notaire doit lui donner connaissance d'un testament. Pendant la durée de ces pourparlers, le jeune homme vit dans un petit hôtel de la ville. Le livre fait le récit de ce séjour.
Combien dure cette “ vacance ” : une semaine, un mois, un an ? Nous ne le saurons pas et nous n'avons point besoin de le savoir parce que l'écriture de M. Simon nous fait éprouver “ la déchirante nostalgie du temps s'écoulant, impossible à retenir, comme le sable, L’eau entre des doigts d'enfant, s'enfuyant, inexorable, définitif ”.
On ne peut parler de cette aventure en l'analysant ; il faudrait aussi, page par page, faire en même temps la synthèse des éléments qui la composent : souvenirs, récit indirect, parenthèses, tous éléments du langage ici disposés pour rendre sensibles au lecteur les rythmes divers de cet écoulement fatal du temps. Si l'on me permet d'employer une image, je dirais que le héros immobile est comme le récif qui contrarie le flot du courant et son histoire est celle de la sensibilité d'un homme qui use ainsi ses forces.
Quant aux autres personnages, ils tentent d'échapper à la destruction en s'accrochant à cet homme comme le ferait celui qui se noie. Le héros est à la fois conscient et inconscient de ces efforts qui l'entraînent à sa perte, une partie de lui-même essayant de tromper l'autre, s'efforçant de lui faire oublier ce qui est “ décidé, résolu et, par conséquent, par avance, irrémédiablement perdu ”. Il assiste, “ impuissant, navré, ironique, au déroulement de sa propre vie ou plutôt de celle qu'un autre lui-même lui imposait sans qu'il fût possible de démêler si c'était avec ou contre son propre assentiment ”.
Ces personnages, ce sont les personnages privilégiés, ceux qui ont le privilège de vivre : c'est-à-dire de se voir mourir. En face d'eux : les autres, formant une sorte de personnalité collective hors de laquelle il n'est point pour eux de sécurité.
C'est par le langage que l'auteur fait entrevoir au lecteur les conséquences terribles de la vigilance de son héros. La page ou la phrase ne sont pas construites à la façon de celles de Joyce ou de Proust : point de développement linéaire (Joyce), pas de noyau central autour duquel s'organise le paragraphe (Proust). Tout se passe comme si le langage était d'abord disloqué pour être ensuite reconstitué. Chaque phrase écrite est contredite, sinon détruite, par la phrase suivante. Si une forme nouvelle est ainsi élaborée, c'est qu'elle était nécessaire à L’accomplissement du dessein de l'auteur : éviter que les événements, les détails, les menus faits ne prennent cet aspect “ solennel ” que rien ne leur confère sur le moment et que la sensibilité n'enregistre d'ailleurs pas.
Ce travail est tout à fait remarquable. Il apporte la preuve que les problèmes de la communication et de l'expression sont de faux problèmes lorsque l'auteur dispose d'un outil qui lui est personnel, c'est-à-dire d'un style. »

(Preuves, janvier 1958)

« Le Vent est un roman envoûtant par la manière violente dont il décompose et recompose dans le même moment l'histoire d'un homme (…) C'est un portrait plutôt qu'une histoire, du reste, que nous livre Claude Simon. Un portrait avec des ombres impénétrables, de violents reliefs, et un fond de tableau peint dans le détachement – la nature dans un paysage sec et riche à la fois, dans le sud-ouest de la France – comme pour mieux faire ressortir les visages et les corps des hommes. »

Claude Mauriac (Le Figaro, 1957)

« Un roman riche et neuf qui atteint, dans son foisonnement, à la pure et nette poésie des œuvres de rigueur. »

Maurice Nadeau (France-Observateur, 1957)

« Claude Simon n'a rien écrit de meilleur, et qui soit plus remarquable dans l'actuelle production depuis L'Emploi du Temps de Michel Butor... Ce que ne fait pas sentir un compte rendu, c'est la réussite par laquelle tout cela tient debout, existe et empoigne par la seule vertu du langage... nous obligeant à épuiser le sens d'un geste ou d'une attitude, c'est-à-dire à reconstruire par notre regard, autour de ce geste ou de cette attitude, le monde entier et son histoire. »

Jean Mistler (L'Aurore, 1957)

« Les dons littéraires dont fait preuve M. Claude Simon dans Le Vent sont éclatants... J'emploie rarement le mot admirable. Je n'en vois pas d'autre pour qualifier ce livre, le plus original que j'aie lu cette année. »

Olivier de Magny (Les Lettres Nouvelles, 1957)

« Tout au long de ce livre magnifique, la réalité irrécusable des choses et des éléments s'oppose au caractère incertain des hommes, à leur vacillante liberté de roseau, a leur souffrance à peine intelligible. »

Jean Piel (Critique, 1957)

« L'apparition du livre de Claude Simon est un événement peut-être plus significatif que tout autre – en dépit de certaines apparences – de l'orientation du jeune roman français contemporain. »

Jacques Valmont (Aspects de la France, 1957)


« Le romancier le plus doué sans doute de sa génération. »

Émile Henriot (Le Monde, 1957)

« On m'assure de différents côtés qu'il vient de paraître “ un très grand livre ” : Le Vent, de M. Claude Simon... Un écrivain violent, emporté et fort, doué d'une respiration assez large pour venir à bout de ses longues phrases, où il veut tout mettre... Réel, têtu, touffu, solide, étrange et total, M. Claude Simon est tout cela... C'est son système qui déconcerte : je n'ai pu lire son livre jusqu'à la fin, malgré plusieurs tentatives, pour ma part, de pénétration. Comme disait James Joyce, lui aussi inventeur d'une façon d'écrire à part : “ On verra bien, dans cent ans, si je me suis trompé. ” Au lecteur donc de juger tout seul. »

 




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