Critique


André Green

Un œil en trop

Le complexe d’Œdipe dans la tragédie


1969
Collection Critique , 288 pages
ISBN : 9782707300775
26.50 €


Trois essais psychanalytiques sur la face négative du complexe d’Œdipe dans la tragédie antique, élisabéthaine, classique.
Le meurtre de la mère par le fils, tel que le mettent en scène Eschyle dans l’Orestie. Sophocle et Euripide dans Electre, offre l’occasion d’une confrontation entre les trois tragiques traitant le même thème du matricide et de sa sanction. Le meurtre de la femme par l’époux est vu à travers la folie jalouse d’Othello, où Shakespeare dévoile, par la structure de la tragédie, le procès de la paranoïa.
Le meurtre de la fille par le père est celui du sacrifice d’Iphigénie en Aulide, où Racine fait, par rapport à Euripide – celui de l’Iphigénie à Aulis et celui des Bacchantes –, l’économie du sacrifice.
Un prologue sur la lecture psychanalytique des tragiques, fixant la ligne de cette contribution à la critique littéraire, et un épilogue où sont examinées les relations entre le mythe d’Œdipe et la vérité qui s’y fait jour à travers les déformations qu’elle subit, encadrent ces trois essais.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

Prologue : La lecture psychanalytique des tragédies – Chapitre 1 : Oreste et Œdipe, de l’oracle à la loi – Chapitre 2 : Othello, une tragédie de la conversion, magie noire et magie blanche – Chapitre 3 : Iphigénie en Aulide, l’économie du sacrifice – Épilogue : Œdipe, mythe ou vérité

‑‑‑‑‑ Extrait de l’ouvrage ‑‑‑‑‑

Il y a entre la psychanalyse et le théâtre un lien mystérieux. Lorsque Freud cite les œuvres les plus grandioses de la littérature : Œdipe-Roi, Hamlet, Les Frères Karamazov, il constate qu’elles ont toutes les trois le parricide pour objet ; on a attaché moins d’importance au fait que deux sur trois sont des œuvres de théâtre. II faut se demander si le théâtre, parmi les divers genres artistiques, ne jouit pas pour Freud d’une faveur particulière, malgré tout ce qui a retenu son attention dans les autres. Plus que les expressions plastiques, malgré le Moïse de Michel-Ange ou la Sainte Anne de Léonard, plus que la poésie, malgré Goethe, Schiller ou Heine, plus que le conte, malgré Hoffmann, plus que le roman, malgré Dostoïevski et Jensen, Sophocle et Shakespeare sont à part, ce dernier surtout, puisque Freud reconnaît en lui un maître dont il analyse les textes comme s’il avait affaire aux découvertes d’un illustre précurseur. Mais cette affection semble porter sur le genre tout entier.
À quoi cela est-il dû ? Le Théâtre n’est-il pas la meilleure incarnation de cette autre scène qu’est l’inconscient ? Autre scène, c’est encore une scène où la rampe matérialise la coupure, la ligne de séparation, le bord à partir duquel conjonction et disjonction pourront remplir leur office entre la salle et la scène pour la représentation, comme le barrage de la motricité est la condition du déploiement du rêve. Mais la texture de la représentation n’est pas celle du rêve, et on pourrait être tenté de la rapprocher du fantasme. Ce dernier doit beaucoup à la reprise par le processus secondaire d’éléments que leur appartenance rattache aux processus primaires, ceux-ci subissant alors une élaboration comparable à celle à laquelle répond le cérémonial, la mise en ordre des actions et des mouvements dramatiques, la cohérence de l’intrigue théâtrale. Cependant, entre la structure du fantasme et celle du théâtre, les différences restent nombreuses. Résumons-les en disant que le fantasme serait à la rigueur à rapprocher d’une certaine forme de théâtre comportant un récitant qui parlerait d’une action se déroulant en un lieu qu’il désignerait en lui restant extérieur, tout en n’y étant pas étranger. Le fantasme évoque davantage le conte, voire le roman. Ses attaches avec le roman familial renforcent cette comparaison. Au théâtre, par contre, nous retrouvons comme dans le rêve cette égalité, de droit sinon de fait, qui règne entre les divers protagonistes se partageant l’espace de la scène. À tel point que, dans le rêve, lorsque la représentation du rêveur se charge d’un poids excessif, celui-ci la dédouble et charge lui attire personnage de représenter, à l’état isolé, lui ou quelques-uns de ses traits ou de ses affects. Contentons-nous de ce jugement qui malgré son caractère approximatif nous paraît le plus juste : la situation du théâtre est à placer entre rêve et fantasme.

Jean-Marie Benoist (La Quinzaine littéraire, 1969)

 Voici une lecture des Tragiques par un psychanalyste. Et cette lecture est à son tour un texte, fort beau. L’auteur mène de front avec succès les trois entreprises d’une fidélité à la psychanalyse, au théâtre, à la “ littérature ”, c’est-à-dire au projet d’écrire sans lequel il n’y a pas d’acte de lecture.
La gageure est de taille, dont le sous-titre déjà fait mention : Le complexe d’Œdipe dans la tragédie. C’est bien ce noyau primordial, cet enchevêtrement sombre et fécond, dans lequel on ne distingue pas si la tragédie est avant le complexe, – puisque celui-ci emprunte au mythe son nom, – ou si la structure du complexe aperçue par Freud n’a pas au contraire une préséance “ essentielle ” sur l’événement tragique, puisqu’elle est universelle dans sa syntaxe même.
Par une traversée qui suit pas à pas le développement de chacune des grandes pièces qui lui sont matériau d’analyse, André Green nous mène du grand cycle de l’Orestie, eschyléenne (et sophocléenne) à l’Iphigénie de Racine (confrontée à celle d’Euripide) ; entre les deux la jalousie d’Othello. Trois étapes de lecture critique qui vont au plus profond, au plus secret de chacun des textes, convoqué dans la chair même de son signifiant, en ce lieu, ce milieu où s’articule le désir à la question de sa représentation. 

 




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