« Reprise »


Gilles Deleuze

Spinoza Philosophie pratique 


2003
collection de poche Reprise n°4
176 pages
ISBN : 9782707318442
10.50 €
* La première édition de ce livre a paru aux Presses universitaires de France en 1970. Elle a été rééditée aux Éditions de Minuit en 1981, modifiée et augmentée de plusieurs chapitres (III, V et VI).


La philosophie théorique de Spinoza est une des tentatives les plus radicales pour constituer une ontologie pure : une seule substance absolument infinie, avec tous les attributs, les êtres n’étant que des manières d’être de cette substance. Mais pourquoi une telle ontologie s’appelle-t-elle Ethique ? Quel rapport y a-t-il entre la grande proposition spéculative et les propositions pratiques qui ont fait le scandale du spinozisme ? L’éthique est la science pratique des manières d’être. C’est une éthologie, non pas une morale. L’opposition de l’éthique avec la morale, le lien des propositions éthiques avec la proposition ontologique, sont l’objet de ce livre qui présente, de ce point de vue, un dictionnaire des principales notions de Spinoza. D’où vient la place très particulière de Spinoza, la façon dont il concerne immédiatement le non-philosophe autant que le philosophe ?

ISBN
PDF : 9782707330277
ePub : 9782707330260

Prix : 9.99 €

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Roger-Pol Droit (Le Monde, 11 juillet 2003)

Vie à la Spinoza façon Deleuze
Quand le philosophe français, mort en 1995, présente son confrère hollandais en maître de vie, il se dépeint lui-même.
 
« Les grands auteurs ne font jamais de petits livres. Des ouvrages brefs, éventuellement, mais jamais petits. Voyez Deleuze. Son travail majeur concernant l’auteur de l’Ethique, intitulé Spinoza et le problème de l’expression est paru en 1968 aux Éditions de Minuit.
Le présent titre, publié en 1981, semble n’être qu’un recueil d’articles : six courtes études, parues au fil des années 1970, où se mêlent notamment des éclaircissements biographiques sur l’ascète d’Amsterdam, un index raisonné de ses concepts majeurs, une analyse de notre manière de lire ce philosophe inclassable trois bons siècles après sa mort. Le volume, du coup, pourrait paraître composé de matériaux disparates et de points de vues dispersés. C’est exactement l’inverse : grande cohérence, exacte pertinence.
Il suffit d’entrer dans ces pages vives, nerveuses, lumineuses, pour se retrouver, comme à chaque fois avec Deleuze, emporté par un tourbillon d’intelligence. Les dernières lignes évoquent, à propos de Spinoza, un vent-rafale, un vent de sorcière. Il se pourrait que Deleuze parle de lui-même.
L’unité de ce volume multiple repose sur l’affirmation que les registres de la vie et de la pensée spinozistes ne se séparent pas.
Vivre en philosophe, polir des lentilles pour microscope, user de la méthode géométrique, c’est finalement une seule et même activité. Elle vise à augmenter la puissance d’agir, donc la joie. Au lieu d’être seulement théoricien, architecte de système, grand maître du rationalisme, Spinoza apparaît ainsi, indissociablement, comme un penseur pratique, engagé dans une transformation permanente de soi et du monde. Deleuze ne cesse d’insister sur la grande santé de ce penseur malade et chétif : “ Dans toute sa manière de vivre comme de penser, Spinoza dresse une image de la vie positive, affirmative, contre les simulacres dont les hommes se contentent ”. Ne pas se méprendre sur l’apparente austérité de la vie du sage : pauvreté, frugalité, chasteté ne sont pas des moyens de se mortifier mais, paradoxalement, des façons de vivre plus. La philosophie de Spinoza s’emploie ainsi, selon Deleuze, à défaire les jougs qui entravent la vie.
Cette métamorphose passe par trois déplacements dont chacun désactive un point fondamental de la vie intellectuelle et affective usuelle.
Contre la primauté de la conscience, Spinoza rétablit la puissance du corps et montre que la pensée est plus vaste que la conscience que nous en avons. À la domination des valeurs, principalement du bien et du mal, il substitue la différence du bon et du mauvais, qui concerne des rapports de compatibilité entre les corps et n’implique aucun jugement de type moral.
Pour combattre les passions tristes, désir de servitude et goût de la mortification, le philosophe installe la joie comme corrélat de la compréhension et de l’action pleines. C’est en cela que l’éthique spinoziste est mode de vie, philosophie pratique, et ne saurait se confondre avec une morale qui juge l’existence du dehors et se donne le ridicule de la condamner.
Pour confirmer cette différence centrale entre l’éthique, science des comportements, et la morale, imposition des normes, on se reportera à l’étude que propose Deleuze de la correspondance avec Blyenbergh, où Spinoza répond à son correspondant sur le problème du mal. On y retrouve un lieu commun du temps : le mal n’est rien, en tout cas rien de réel et positif. C’est une sorte d’empoisonnement, une décomposition des rapports du corps. Ici, la profonde singularité de Spinoza est de renvoyer le bien aussi du côté de l’illusion et de l’inexistence : la réalité est par-delà bien et mal. Si l’existence est une épreuve, “ c’est une épreuve physique et chimique, une expérimentation, le contraire d’un Jugement ”, souligne Deleuze.
On pourrait demander dans quelle mesure ce Spinoza “ nietzschéisé ”, ou plutôt recomposé par Deleuze tout comme Nietzsche l’a été, est effectivement celui qui vécut entre Amsterdam et La Haye au XVIIe siècle.
La question peut intéresser historiens et experts. Elle n’est pas réellement pertinente pour qui choisit de se laisser emporter par le souffle de ce court volume. Une fois averti que le Spinoza ici entrevu ressemble fortement à Gilles Deleuze lui-même, bien que tout soit également dans les textes du philosophe, le lecteur n’a aucune raison de bouder son plaisir. Il est intense et rare. »

 

Du même auteur

Poche « Reprise »

Livres numériques

Voir aussi

* Conclusions sur la volonté de puissance et l’éternel retour, dans Cahiers de Royaumont, Nietzsche, dir. Gilles Deleuze (Minuit,1966).
* L’ascension du social, postface à La Police des familles, de Jacques Donzelot (Minuit, 1977 et Reprise , 2005).
* L’Épuisé , dans Samuel Beckett, Quad et autres pièces pour la télévision (Minuit, 1992).

Sur Gilles Deleuze :
* Vincent Descombes, Le Même et l’autre (Minuit, 1979).
* David Lapoujade, Deleuze, les mouvements aberrants (Minuit, 2014).




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