Romans


Yves Ravey

Sans état d'âme


2015
128 p.
ISBN : 9782707329073
12.50 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


 John Lloyd disparaît une nuit sans laisser de trace. Stéphanie, son amie, va charger Gustave Leroy de mener l’enquête. C’est sans compter sur son dépit amoureux. Ni sur l’arrivée de Mike Lloyd qui entend bien retrouver son frère.

ISBN
PDF : 9782707329103
ePub : 9782707329097

Prix : 8.99 €

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Jérôme Garcin, L’Obs, 17 septembre 2015

Polar et la manière

Une fois encore, avec ce petit ravier de suspense, Ravey ravit. Tout en faisant la nique au genre, qu’il sert avec une invisible virtuosité. Voici en effet un polar singulier. Il compte seulement une petite centaine de pages, ne comporte pas de scène de crime, et on en connaît la victime ainsi que le meurtrier dès le début. Si l’on ajoute que les flics désertent cette histoire – leur voiture n’apparaît qu’à la toute fin – et que le principal suspect est chargé de l’enquête, on comprendra qu’on tient, avec ce roman noir, tendance gris souris, l’anti-« Millénium ». Autrement dit, notre revanche.
Sans délaisser l’intrigue, Yves ravey, un mix bisontin de Simenon et de Bove, s’intéresse surtout à l’atmosphère. Ici, elle est plombée. Dans la campagne franc-comtoise, près de Dammartin-les-Peupliers, où poussent le maïs et des croix blanches, un Américain fortuné disparaît. Il était pourtant le futur mari de Stéphanie, employée au dancing local, Le Mayerling. Stéphanie charge alors Gustave, alias Gu, son copain d’enfance et amoureux transi, de retrouver John Lloyd. Malgré son emploi de routier sur les routes de l’Est et malgré les menaces d’expropriation qui pèsent sur lui (il occupe la maison que son père, ouvrier agricole, avait construite et que la mère de Stéphanie, pour laquelle le vieil endetté avait travaillé jusqu’à sa mort, a l’autorisation de raser), Gu accepte de jouer, ou feindre de jouer, le limier d’occasion en pick-up et costume bleu pétrole. Sauf que Gu ne semble guère pressé de trouver le cadavre et le coupable. C’est un enquêteur qui flemmardise et atermoie. Il en sait trop ou pas assez. Moi, je sais, mais je ne dirai rien. Dans cette histoire, il faut compter aussi avec l’enquêteur d’une compagnie d’assurances et avec Mike, qui débarque du Texas, où il enseigne l’Histoire, pour ressusciter son frère John et se recueillir sur la tombe de leur grand-père, tué par les Allemands.
Insaisissable adepte du laconisme et de l’ellipse, plus soucieux de géographie que de psychologie, étonnant portraitiste de personnages sans visage, Yves ravey s’ingénie, lui aussi, à disparaître de son propre texte, laissant à Gustave Leroy le soin de raconter, d’une voix fatiguée, sans état d’âme, sa propre histoire. Jusqu’au moment où… Frissons littéraires garantis.

Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 17 septembre 2015

Yves Ravey
Un roman magistral


Le narrateur de ce récit formidablement orchestré s’appelle Gustave Leroy. Un lointain successeur du chansonnier ouvrier de la première moitié du XIXe siècle ? Probablement, quand on sait le soin que prend l’auteur à choisir les noms de ses personnages. Gu, c’est ainsi qu’on le surnomme dans cette région industrielle proche de la frontière, est en effet la figure centrale de cette étouffante histoire de déterminisme social et de guignon, telle une goualante noire. Plus loin, il est question d’un certain Harold Llyod. Difficile de croire à un autre hasard : l’acteur comique du muet américain avait vécu avec un père obsédé par l’idée de rapidement s’enrichir. Non sans rapport avec ce qui suit.
On ne dira jamais assez la méthodique densité des fictions d’Yves Ravey. Une accumulation de notations et de détails insérés dans les histoires racontées sous des angles inattendus, qui agissent en impitoyables révélateurs d’un état des choses. Situant cette œuvre au plus haut du réalisme contemporain. A l’exemple de Gu, bercé dans son enfance par le ferraillement nocturne des trains de transport automobile, puis passé par le lycée technique avant de devenir chauffeur routier sur les routes européennes. Stéphanie, dont il est amoureux depuis toujours, l’a lâché pour John Lloyd, un Américain argenté. Blanche, la mère de l’infidèle, lui a récemment signifié qu’il devrait bientôt quiter la maison dont il ignore qu’il n’est plus le propriétaire : étranglé par les dettes liées à l’état de son épouse, son père l’a vendue avant de mourir. Or, depuis quelques jours, John Lloyd n’a plus donné signe de vie. La dernière fois qu’on le vit, c’était tard une nuit sur le parking du Mayerling (l’art des noms qui font sens), la boîte tenue par Betty, une autre amie d’enfance de Gu. Celui-ci quittait justement l’établissement. Le nœud narratif est en place. Limpide et cependant sophistiqué en diable, ainsi qu’à l’ordinaire chez Ravey.
Gu va maintenant raconter par le menu la recherche de Lloyd. Plutôt bien placé pour cela. D’ailleurs Stéphanie l’en a chargé. Ingénuité ou perversité ? Un étourdissant jeu du chat et de la souris commence, qui se présente comme une merveille de roman noir. Suspense, exposition au goutte à goutte des enjeux, prégnance des arrière-plans, raffinement de l’action et maîtrise millimétrée de l’écriture donnent au récit une intensité et une épaisseur incomparables. En faisant sans conteste l’un des textes les plus talentueux de la rentrée.


Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 15 octobre 2015

Pas le choix

Une ellipse, et c’est fait : Gustave Leroy, alias « Gu », s’est débarrassé de John Llyod. On peut le dire sans déflorer quoi que ce soit. Ce crime se produit dans le nouveau roman d’Yves Ravey, Sans état d’âme. En même temps reparaît en poche La Fille de mon meilleur ami. Même univers.

Tout commence par un souvenir d’enfance. Gu est installé, le soir, sur le pont de chemin de fer, avec Betty et Stéphanie. Tous trois comptent les trains qui passent, les yeux fermés : un concours où le garçon l’emporte souvent.

Devenu adulte, il vit avec ce souvenir qui précédait l’appel de son père pour les devoirs. Il vit aussi avec l’amour qu’il éprouve pour Stéphanie, et celui que Betty éprouve pour lui. Mais on connaît ce genre d’histoire. Betty, déçue, a épousé Personnaz et tient avec lui le Mayerling, une discothèque à l’orée de la ville. Stéphanie tombe amoureuse de John Lloyd, un Américain qui rêve de l’emmener dans son Minnesota natal. Chose que Gu vit très mal. De même qu’il vit mal la mort de son père et le fait que le vieil homme, qui a travaillé toute sa vie, se soit vu flouer par Blanche, sa patronne et la mère de Stéphanie. Blanche a acheté la maison des Leroy et compte bâtir un bel immeuble. Gu n’aurait plus qu’à se lover ailleurs et à rester pauvre.
Voilà donc réunis tous les ingrédients d’une intrigue serrée à l’extrême, dans laquelle la trame criminelle importe moins que ce qui la sous-tend : l’amour, l’argent, et une forme de fatalité. Les romans d’Yves Ravey ont en effet une dimension théâtrale que leur usage très singulier du dialogue ne contrarie pas. Le cadre est simple : unités de lieu, de temps, d’action : on est dans l’Est de la France, non loin de la frontière (ce doit être le Jura). La maison familiale, celle de Blanche, la galerie commerciale, des terres vides environnantes et le Mayerling, suffisent pour qu’on voie le décor. Quelques jours suffisent pour que tout se résolve ; le crime est suivi d’un châtiment que l’on devine dans la dernière phrase. La fatalité, on l’a évoquée, c’est celle qui est liée aux amours déçues. Comme chez Racine, A aime B qui aime C qui aime… Mais pas seulement. Gu est chauffeur routier, rêve de liberté et voit dans son camion le seul moyen d’échapper à tout ce qui lui pèse : la solitude, la maladie de sa mère qui n’a plus toute sa tête, la mort du père, vieux travailleur qui a contracté des dettes auprès de sa patronne. Il lui a été soumis vivant, son fils le sera après sa mort. A ceci près que Gu tente de venger ce père et d’échapper au sort qui lui est promis. Tuer Lloyd, c’est retrouver Stéphanie, la reconquérir. Pour ce faire, il prétend enquêter sur la disparition du jeune Américain et éloigner tout soupçon. Mais des erreurs de débutant en décideront tout autrement : il a volé la carte de crédit de sa victime, usurpé ses papiers d’identité pour dépenser sans trop compter. Le frère de John, Mike, venu enquêter sur la disparition de son frère, n’aura pas de mal à le confondre.
On sent bien, là aussi, que le romancier se soucie peu de la vraisemblance propre au roman policier. Chez un auteur de « polars », l’assassin serait d’une subtilité sans égale, cacherait les traces du crime, échapperait, en deux ou trois cents pages, au détective chargé par les parents de Lloyd de résoudre l’énigme de sa disparition. En moins de cent pages, tout est dit, et davantage. En effet, l’œuvre dense et sèche de Ravey met en relief les mécanismes de classe, comme dans Un notaire peu ordinaire ; l’auteur décrit ici, comme dans La Fille de mon meilleur ami, des êtres sans envergure pris dans l’engrenage de l’escroquerie, à cause de dettes, bien souvent. On s’en sort comme on peut, de façon sordide. Pas le choix, comme chez Jim Thompson, l’auteur de Des cliques et des cloaques (Le « série noire » d’Alain Corneau, avec des dialogues de Georges Perec). On pourrait trouver de moins bonnes références.

 




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