Essais


Claude Simon

Quatre conférences

Textes établis et annotés par Patrick Longuet


2012
128 p.
ISBN : 9782707322210
13.50 €
59 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille, 50 €


Les romans de Claude Simon éclairaient souvent sa réflexion d'écrivain, tout autant que ses lectures longuement méditées. À l'occasion de plusieurs conférences il a exprimé ce travail particulier, aussi distinct d'une théorie littéraire que d'une pensée philosophique dont il se défiait sans cesse. Chacune de ses « causeries » (disait-il) devenait la matière première de la suivante comme si l’écrivain affinait sans cesse un propos toujours inachevé à ses yeux.
Les quatre conférences réunies dans ce livre, prononcées entre 1980 et 1993, sont ainsi des réécritures ultimes et marquent le point le plus abouti de considérations toujours très réfléchies à partir de quatre objets : La Recherche du temps perdu, la mémoire, la poétique et l’écriture. Entre elles, de nombreux échos ou des références récurrentes font choeur, assez pour faire entendre que leur auteur ne séparait pas des préoccupations que l’exercice de la conférence oblige à dissocier.
Chacune est établie à partir de dactylogrammes annotés et numérotés, complétés parfois d’une feuille manuscrite où les sources, soigneusement recopiées, demeuraient ainsi à part. Les mentions orales indiquant une citation ont été supprimées : l’usage des guillemets renseigne assez le lecteur. Par souci de fidélité au dactylogramme, les notes font référence aux éditions citées par Claude Simon et nous avons indiqué, entre parenthèses, la correspondance avec une édition plus récente et plus accessible. Enfin, la bibliothèque de l’écrivain a parfois permis de préciser l’origine d’une citation choisie en dehors de son contexte original.
Réa Simon a ouvert autant que nécessaire l’accès aux archives comme à la bibliothèque : je la remercie et plus encore d’avoir toujours soutenu et facilité le principe de cette édition.

P.L.  

ISBN
PDF : 9782707324351
ePub : 9782707324344

Prix : 9.49 €

En savoir plus

Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 1er février 2012

Les irréductibles

Claude Simon à travers des conférences, J.M. Coetzee dans ses chroniques littéraires : quand deux écrivains nous ouvrent les portes de leur univers littéraire via les livres des autres.

A l'heure où les écrivains semblent avoir remplacé les libraires pour jouer le rôle de « critiques littéraires », il est assez réjouissant de voir comment de très grands auteurs, tous deux prix Nobel de littérature, s'y prennent pour parler des autres écrivains, de leurs romans, de littérature.
Ni Claude Simon ni J.M. Coetzee ne tentent de « singer » les critiques dans ce qui est leur job - l’évaluation et la hiérarchisation de textes qui paraissent peu ou prou au même moment – mais ils se livrent, chacun à sa façon, à un vrai travail d’écrivain : exposer brillamment son goût de lecteur, montrer l’enjeu de son écriture à travers certaines œuvres (de Proust, de Joyce, etc.) dans le cas de Claude Simon ; commettre poétiquement des microrécits, voire des sortes de nouvelles, autour de livres, de figures et de trajectoires d’écrivains importants (Italo Svevo, Robert Walser, Philip Roth, etc.) pour Coetzee.
Quatre conférences de Claude Simon, qui sort aujourd’hui, forme un antidote heureux, lumineux de finesse et d’intelligence face à une certaine petitesse ambiante. Simon fait des descriptions l’étendard de son programme en littérature et s’en explique dans un texte définitif intitulé « Ecrire » : « […] au contraire d’un Montherlant ou d’un Breton déclarant tous deux que lorsque dans un roman ils arrivent à une description ils tournent la page, je serais enclin à dire que, personnellement, lorsque cesse une description et que l’auteur commence à se livrer à des considérations psychologiques ou sociales, alors c’est moi qui tourne la page. »
C’est que Simon se tient implacablement du côté de Proust, où les descriptions expriment un réseau de sensations, réminiscences, toute une symbolique psychique et poétique imbriquée (lire l’essai fulgurant intitulé « Le Poisson cathédrale »). C’est pour mieux étayer au passage sa définition de la littérature contemporaine : « […] je ne peux que m’élever contre certaines formules radicalisantes comme, par exemple : "Le roman cesse d’être le récit d’une aventure pour devenir l’aventure d’un récit”, qu’il me semble urgent de corriger de la façon suivante : “Le roman ne cesse d’être le récit d’une ou plusieurs aventures en même temps et dans la mesure où il est aussi l’aventure d’un récit.” »
Or le récit, c’est la langue, et la langue tout ce qui s’oppose au moralisme de certains pourtant grands romans (Madame Bovary de Flaubert…), « car “la qualité sentimentale que les moralistes prêtent aux objets et aux événements” n’est le plus souvent, sinon toujours, que le masque dont se couvrent les différents pouvoirs établis pour se maintenir en place, condamner et proscrire tout ce qui dérange l’ordre dont ils sont bénéficiaires ». La langue représente pour Claude Simon un réseau de signes et de significations subtilement imbriqués : une « irréductible ».
Les textes qui composent le recueil De la lecture à l’écriture de J.M. Coetzee font eux aussi la part belle à ces irréductibles, ces « irréguliers » du XXe siècle que furent Svevo, Musil, Marai, Walser, Benjamin, Schulz, Celan… Pas étonnant que les irréguliers soient d’abord et avant tout ces auteurs de la Mitteleuropa qui, pour beaucoup, se heurtèrent au fascisme et à l’antisémitisme. A travers leurs textes, leurs vies, appréhendés comme un tout esthétique, donc politique, Coetzee démontre les mécanismes intimes qui travaillent une œuvre, et inversement comment les mécanismes de l’œuvre façonnent une existence. A lire et relire, que l’on soit écrivain ou critique (ou les deux).

Josyane Savigneau, Le Monde, 17 février 2012

Claude Simon, sous le signe de Proust

Dans ses « causeries », le Prix Nobel de littérature expose sa méthode, au plus près de la sensation

C'est un livre qui s'adresse à tous les passionnés de l’œuvre de Claude Simon (1913-2055), mais aussi à ceux qui, aimant la littérature, disent pourtant avoir parfois quelques difficultés à le lire. Les quatre conférences réunies ici - 1980, 1982, 1989, 1993 –, ces « causeries », comme il disait, éclairent sa méthode, son mode de narration, sa volonté d’être, constamment, au plus près de la sensation.
Claude Simon, Prix Nobel de littérature 1985, était un grand lecteur, ce que tout écrivain devrait être. Et ses lectures, longuement méditées, nourrissaient son travail. Comme l'explique dans son avant-propos Patrick Longuet, qui a édité ces Quatre conférences, il a exprimé là "ce travail particulier, aussi distinct d'une théorie littéraire que d'une pensée philosophique dont il se défiait sans cesse".
En effet, dès le début de la dernière conférence, "Littérature et mémoire", prononcée à Queen's University, dans l'Ontario, le 29 octobre 1993, Claude Simon prend soin de préciser : "Avant de commencer, il me faut dire qu'à la différence de certains écrivains je ne suis pas un théoricien de la littérature et que je n'ai pas écrit mes livres en application ou pour faire la démonstration d'une conception particulière du roman (...) et tout ce que je me bornerai à faire (...) c'est d'essayer de formuler quelques petites observations qui me sont venues à l'esprit au cours de mes lectures ou de mon travail. Rien de plus." On voit ici, comme souvent, la modestie de Claude Simon, mais aussi tout ce qui l'oppose au théoricien du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet. Pour en savoir plus, on se reportera à l'excellente biographie de Mireille Calle-Gruber, parue à l'automne 2011, Claude Simon, une vie à écrire (Flammarion).
La première conférence, "Le poisson cathédrale" (1980) est une magistrale réflexion sur la description, nourrie par une lecture minutieuse de Proust, par une connaissance intime de La Recherche du temps perdu. "Longtemps on a considéré la description comme une composante secondaire de la fiction, tellement secondaire même qu'elle était tenue pour simplement décorative, inutile, importune même puisqu'elle interrompt le déroulement de l'action porteuse ou chargée de sens et qui, aux yeux du lecteur traditionnel, importe seule", relève Claude Simon, avant de longuement citer et commenter des passages de Proust, pour démontrer la puissance de la description.
Et il est évident qu'il se reconnaît dans la manière dont l'auteur, dans Le Temps retrouvé, définissait son travail : "Je considérais attentivement quelque image qui avait retenu mon attention, un nuage, un triangle, une haie, une fleur, un caillou, sentant que peut-être, derrière ces signes, se tenait quelque chose d'autre que je devais essayer de découvrir, un système de pensée qu'ils exprimeraient à la manière de ces hiéroglyphes qui semblent ne représenter que des objets naturels."
"Bon qu'à ça"
La deuxième conférence, "L'absente de tous bouquets" (1982) traite de la question de la modernité artistique, de la vraisemblance. Claude Simon a maintes fois été interrogé sur la question de "progrès" en art, et il tente de répondre, convoquant de nouveau Proust, mais aussi Joyce et des peintres, pour récuser ce mot de progrès et y substituer "différences" et "évolutions".
La troisième dit tout dans son titre "Ecrire" (1989) et part de la question posée un jour à de nombreux écrivains par le journal Libération : "Pourquoi écrivez-vous ?" et du lapidaire : "Bon qu'à ça" de Samuel Beckett. La plus belle réponse de Claude Simon se trouve à la fin de la dernière conférence, "Littérature et mémoire", quand il raconte comment en URSS, à l'Union des écrivains, on lui a demandé quels problèmes le préoccupaient. Son propos a "jeté un froid", mais il résume parfaitement sa vie et son oeuvre : "Le premier : commencer une phrase ; le deuxième : la continuer ; le troisième enfin : la terminer.

 




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