Romans


Jean-Philippe Toussaint

L'Appareil-photo


1989
128 pages
ISBN : 9782707311979
12.70 €
50 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille

* Réédition dans la collection de poche double


« Il y a cinq ou six ans, lorsque je faisais de la photographie, j'ai essayé de faire une photo, une seule photo, quelque chose comme un portrait, un autoportrait peut-être, mais sans moi et sans personne, seulement une présence, entière et nue, douloureuse et simple, sans arrière-plan et presque sans lumière.
Je n'ai pas réussi à faire cette photo.
Et depuis je n'ai plus jamais fait de photos, jamais.
Je ne sais même pas ce qu'est devenu mon Nikon, l'agrandisseur doit sans doute être dans la salle de bain, avec les grands bacs de développement rouges à l'abandon.
Voilà, entre autres, un thème important (mais faux, bien sûr, inventé) que je n'ai pas traité dans ce livre.
Je n'ai rien traité dans ce livre, voyez, presque rien, quelques transitions farceuses, des souplesses de pupille, le murmure d'un fleuve infini miroitant dans la clarté de la nuit apaisée de mon esprit. »
Jean-Philippe Toussaint

* La Sévillane, un film de Jean-Philippe Toussaint (1993), d’après son roman L’Appareil-photo, avec Mireille Perrier, Jean-Claude Adelin, Jean Yanne.

‑‑‑‑‑ Extrait d’un entretien avec Jean-Philippe Toussaint ‑‑‑‑‑

« L'écriture, l'écriture des livres, pour moi, c'est plutôt sur une longue durée, quelque chose de régulier, pas vraiment de stratégie, quelque chose de lourd qui se met en place, une charrue, un truc qui avance et qui revient parfois, plutôt que quelque chose avec des décalages ou des paradoxes. Dans un film, rien n'est improvisé, cependant je laisse encore des choses ouvertes, des dialogues inachevés. Je n'arrête pas de modifier le texte du scénario. Rien n'est jamais fermé ou figé, mais il n'y a pas d'improvisation, tout ce qu'on voit à l'écran a été pensé, prémédité. Je n'ai pas l'impression d'être limité par le cinéma, j'y trouve la même liberté que dans l'écriture. Mais une phrase ou une idée amusante se préparent beaucoup, c'est plus long, c'est plus lourd. Et puis, bon, évidemment il y a des choses très chères, impossibles parce que trop chères, mais j'ai rarement des idées chères. La technique cinématographique est différente de la technique littéraire mais pas vraiment plus difficile ou plus facile, je me sens même plus naturellement à l'aise au cinéma ; maintenant, à force, je commence à me sentir à l'aise aussi pour écrire mais ça a été plus difficile, maintenant ça fait quand même quatorze ans que j'écris à temps complet, donc j'ai fini par avoir un peu d'expérience…
Au moment d'adapter L'Appareil-photo, je n'avais pas envie de faire une vraie adaptation mais je tenais beaucoup à faire une adaptation libre, c'est-à-dire à oublier davantage le livre, c'est-à-dire vraiment être cinéaste et pas du tout écrivain. Je me suis dit si on appelait le film La Sévillane, et pourquoi La Sévillane, parce que c'est la musique du film et pourquoi c'est la musique du film, parce que Pascale prend des cours de danse. Et voilà. J'ai réagi finalement avec assez peu de respect pour l'auteur du livre... »

ISBN
PDF : 9782707327659
ePub : 9782707327642

Prix : 5.49 €

En savoir plus

Pierre Lepape (Le Monde, 6 janvier 1989)

« Tout se passe comme si la première partie du roman (la réduction de la matière romanesque à quelques bribes souriantes d'une histoire sans histoire) n'était que l'illustration d'une philosophie minimaliste de la vie, dont la seconde partie ferait apparaître l'envers dramatique : le héros de Toussaint, comme le Pierrot de Queneau, est un être hypersensible, blessé par la moindre agression et qui cherche, sans vraiment y parvenir, à vivre moins pour vivre moins mal.
Dire que L'Appareil-photo est un livre superficiel, c'est donc simplement rendre compte de l'ambition et de la réussite d'un projet qui envisage de dire le plus secret et le plus subtil de l'angoisse humaine sans recourir aux artifices de la profondeur. Les surfaces de Toussaint, ses photomatons surexposées cherchent tout bonnement à saisir les frontières floues et mouvantes entre le désir de vivre et ]a peur de souffrir, entre la quiétude du sommeil et l'immobilité de la mort. Le livre se termine ainsi : “ Je regardais le jour se lever et songeais simplement au présent, à l'instant présent, tâchant de fixer encore une fois sa fugitive grâce – comme on immobiliserait l'extrémité d'une aiguille dans le corps d'un papillon vivant. Vivant. ” »

Jacques de Decker (Le Soir, 1989)

« Il y aurait une histoire de la littérature à écrire qui énumérerait les premières fois que certains fragments de réalité ont été saisis, cadrés par elle. Ainsi, cette expérience devenue si commune aujourd'hui de ne pas obtenir, dans une cafétéria de gare ou d'aéroport, dans une cantine de bateau ou dans un train, le récipient adéquat pour une boisson. Déguster un vin frais dans un verre véritable, de préférence un verre à pied, est un droit imprescriptible de l'homme. Il se trouve chaque jour bafoué dans ces établissements où il est convenu qu'un gobelet en matière indéfinissable peut servir à consommer n'importe quel breuvage.
Cette mésaventure survient au protagoniste du nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint. Elle est dérisoire, elle prête d'ailleurs à rire, et est le prétexte de l'un des gags du livre, mais dans le même temps elle illustre le type d'émotion très rare que L'Appareil-photo procure de bout en bout : celui de la formulation précise, détachée mais criante de pertinence, d'un échantillon de réel jamais repéré jusqu'ici, et passé au crible du langage. Jean-Philippe Toussaint avance d'un pas sûr, de roman en roman. Dans cet opus troisième, il atteint le stade du parfait équilibre, digne d'un maître oriental, entre l’observation, la restitution de cette perception et la méditation que ces deux premières démarches engendrent. Et le glissement poignant, qui est toute la mouvance du livre, sa dynamique propre, va d'une drôlerie un peu flottante, toute de distance ironique vers une sorte de gravité légère, et débouche sur une image finale belle comme une toile de Hopper.
Il faut imaginer, à la fine pointe de l'aube, lorsque le jour ne se signale que par une fine ligne à l'horizon, une cabine téléphonique en plein champs, à l'exact croisement de quatre routes, à quelques kilomètres d'Orléans, en cet endroit de France où l'on croit encore que la terre est plate. Dans cette cabine, un homme jeune assis adossé à la porte vitrée, qui attend dans la quiétude que la femme à qui il a dit “ je vous aime ” le rappelle. Il se doute bien qu'elle s'est rendormie. Il n'est pas inquiet, il s'imprègne seulement de l'intense vacuité de l’instant. L'heure de la sensation vraie, dirait Handke. L'heure où l'on peut vivre, où il n'est même pas nécessaire de le tenter, où l'être monte en soi comme une sève. C'est d'une clarté, d'une limpidité, d'une fraîcheur, d'une évidence superbes. »

Jacques-Pierre Amette (Le Point, 16 janvier 1989)

« Surgi en septembre 1985, Toussaint est devenu célèbre par un mince récit : La Salle de bain. Ce Bruxellois racontait les aventures d'un jeune homme élégant, transparent, décalé, distrait, improbable, sophistiqué. Il installait une bibliothèque dans sa salle de bain et des ouvriers polonais dans sa cuisine. Le livre faisait un curieux détour par Venise.
Une certitude, le ton était d'une originalité absolue : la rencontre de Buster Keaton dans un décor de film de Roman Polanski. Grosse impression sur la critique ; 55 000 exemplaires vendus et surtout, un accueil international unanime. Les grands pontes de la critique littéraire européens consacrent leurs colonnes à cet inconnu, comme s'il avait accompli dans l'art romanesque une petite révolution copernicienne.
Devenu le Musset de cette génération post-moderne, Toussaint publie en 1986 un second livre décevant, Monsieur, œuvre transitoire. Aujourd'hui, son troisième livre est une réussite spectaculaire. Dans L'Appareil-photo, Toussaint se joue de toutes les difficultés. Son registre, c'est une ironie féroce, oblique, pascalienne. Ici encore, on retrouve un narrateur lunaire et circonspect, Major Thompson égaré dans un supermarché à la tombée du jour. Il suffit d'une rencontre avec une jeune fille qui tricote dans une classe d'auto-école pour qu'une cascade d'incidents troublants ou burlesques fasse chavirer le lecteur dans un bonheur à l'état pur. Il suffit qu'un couple se promène avec une bouteille de Butagaz, qu'un touriste oublie un Instamatic sur une banquette de ferry-boat, qu'un voyageur rate son train dans la gare d'Orléans-les-Aubrais pour que tout déraille, délire, disjoncte divinement. Toussaint devient un Mozart farceur dans une comédie beckettienne. »

Isabelle Ruf (L'Hebdo, 9 février 1989)

« Jean-Philippe Toussaint, c'est tout autre chose : L’irritation que suscitent ses brefs romans fait place de plus en plus à l'admiration amusée. La Salle de bain racontait les déboires d'un jeune homme confiné dans sa baignoire pendant que des ouvriers polonais occupaient sa cuisine. Dandysme insupportable ou dérision charmante : on ne savait trop sur quel pied danser. Un deuxième récit, extrêmement mince et tout à fait charmant, Monsieur, réussit à faire l'unanimité contre lui. Pourtant, le récit d'une journée de Monsieur, cadre dans une entreprise high-tech, au sommet d'une tour verre et métal, “ assez au fait du mouvement ouvrier ”, gendre idéal, invité modèle, était un bel exercice de dérision. L'Appareil-photo, paru en janvier, réussit à séduire la critique. Comme toujours chez Toussaint, L’anecdote est mince : un jeune homme peu occupé entre dans une école de conduite un peu minable pour ouvrir un dossier. Il a bien de la peine à réunir toutes les pièces nécessaires, les photos surtout font problème. Des liens ténus se nouent avec la très charmante et très dormeuse employée de l'école, Sophie Poulougaïerski. La quête compliquée d'une bouteille de gaz dans les banlieues, un voyage solitaire à Milan, un autre à Londres, un amoureux, la destruction d'un Instamatic : petits sont les événements, et le narrateur sait y résister : “ Dans le combat entre toi et la réalité, sois décourageant ” Il ne parvient pas toujours à dissuader le réel : “ On passe progressivement de la difficulté de vivre au désespoir d'être. ”
La passivité, L’obstination douce du narrateur finissent par avoir raison de la minceur du propos. L'indifférence apparente, souriante, se craquelle. Des ruptures de ton réveillent : “ La pensée, me semblait-il, est un flux auquel il est bon de foutre la paix. ” Dans la nuit aux nuages ouateux, un léger lyrisme surgit en même temps que le jour se lève sur la cabine téléphonique protectrice. Jean-Philippe Toussaint nous avait avertis : “ Je n'ai rien traité dans ce livre, voyez, presque rien : quelques transitions farceuses, des souplesses de pupille, le murmure d'un fleuve infini miroitant dans la nuit apaisée de mon esprit. ” L'Appareil-photo est le récit d'une résistance passive mais efficace aux agressions de la réalité. En trois livres, Jean-Philippe Toussaint a légitimité ses obsessions, ses refus, ses rêves par un style immédiatement reconnaissable, curieuse alchimie entre l'anodin et l'universel. »

Michèle Bernstein (Libération, 5 janvier 1989)

« Voilà : en un roman brillant, moqueur, tendre, et certainement plus difficile qu'il ne parait à première vue, Jean-Philippe Toussaint a fait le tour d'un grand nombre de sentiments qui agitent les pauvres êtres que nous sommes. »

 




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