Romans


Christian Gailly

Les Évadés


1997
256 pages
ISBN : 9782707316004
14.70 €
30 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille
* Réédition dans la collection de poche double .


Le jeune Jérémie Tod ressemble trop à son père. On va le lui faire payer. En pleine rue, on le fait battre par un policier. Un homme, Théo Panol, intervient. Maladroit, il tue le policier. Il est arrêté, jugé et condamné : trente ans de réclusion. Ses amis décident de le faire évader. Les chances de réussite sont à peu près nulles. Ils vont quand même essayer.

ISBN
PDF : 9782707327512
ePub : 9782707327505

Prix : 7.99 €

En savoir plus

Éric Reinhardt (Les Inrockuptibles, 24 septembre 1997)

Les enragés
Au carrefour de la parabole politique, d’un romanesque échevelé et de sa parodie, Les Évadés, le nouveau roman de Christian Gailly, suit pas à pas neuf personnages perdus dans une ville, en quête d’espoir et d’histoires d’amour.
 
« De par sa nature et son esprit, Les Évadés n'est pas facilement résumable : son centre est partout, sa structure est subtile, L’intrigue repose sur neuf personnages principaux d'importance équivalente, les chemins qui mènent au cœur des Évadés sont innombrables.
Nous pourrions dire d'abord que l'espace de chacun des livres de Christian Gailly est un espace de vérité, un espace paradoxal où la lucidité la plus abrupte cohabite avec le désir, la tendresse, la légèreté. Nous pourrions dire que Christian Gailly s'affirme de livre en livre comme un pessimiste épris d'espoir, un désenchanté avide de clarté, et qu'il ouvre des plaies en nous pour le plaisir d'en guérir quelques-unes. Nous pourrions dire aussi qu'il est l'écrivain de l'amour, du couple, de l'aventure conjugale, que tous ses livres, d'une manière ou d'une autre, racontent des histoires d'amour, que ses récits sans concession sont à la fois terribles de dureté et d'une infinie délicatesse. Nous pourrions ajouter, dans cette perspective, que Les Évadés est un inextricable entrecroisement d'histoires d'amour, histoires amour présentes et passées, d'histoires d'amour agonisantes et larvées, d'histoires d'amour réelles et chimériques, les personnages étant liés sans exception par des liens sentimentaux aussi vifs qu'incertains. Nous pourrions dire tout simplement que Christian Gailly, avec ce roman, enferme dans l'espace clos d'une petite ville une communauté d'individus sans illusion, qu'il les suit chacun avec la même attention, la même acuité, la même cruauté, et qu il les anime comme un marionnettiste. Les Évadés est un roman très romanesque, en CinémaScope et en Technicolor, aux résonances de série B.
Les protagonistes y sont enfermés, dans leur vie, ou dans la vie des autres, dans leur mémoire, ou dans leur infamie ; à l'image de la localité qui les abrite, ville sinistre et sclérosée située en bordure de mer, ils sont également au bord de quelque chose : “ Arthur, lui, son histoire était finie. Il aurait bien voulu la prolonger mais avec quoi ? ” Comme toujours chez Christian Gailly – et c'est cet exquis cocktail de noirceur et de lumière qui fait la saveur de ses livres –, tout espoir n'est pas perdu pour autant : “ Il constatait, chaque jour, chaque matin au petit déjeuner, ou avant selon les jours, qu'il y avait, chez lui, en lui encore, quelque chose à user. (…) Les restes, les résidus, d'une sensibilité laissée pour morte. ”
Il y a donc Arthur Maiden et sa femme Elisabeth, un couple usé résidant dans un hôtel, dont la tenancière, une certaine Eva Kendall, est amoureuse de Théo Panol, un quincailler banal et taciturne qui manifeste à son endroit l'indifférence la plus courtoise. Un jour, sous les yeux d'Eva et des époux Maiden, Théo Panol tue accidentellement un policier : “ Un moment comme celui-là arrive. Il faut qu'on y aille. C'est plus fort que soi. On passe sa vie à se dégonfler et puis un jour comme celui-là arrive. Le jour qu'il fallait. Le compte y est. Trop de lâchetés se sont accumulées. Il faut y aller. ” Le flic bat un gamin en pleine rue, Théo sent qu'il doit intervenir, il y va, blesse mortellement l'officier de police, est embarqué par une patrouille, et va en prendre pour trente ans. Il est donc le premier des personnages à s'évader, à s'évader de lui-même, des limites de sa personnalité, et il semble avoir atteint par ce geste à une certaine tranquillité d'esprit, à une sorte d'état de sainteté : les trente ans dont il écope ne l'ébranlent guère, le laissent même curieusement indifférent. Eva et les époux Maiden raccompagnent donc l'adolescent ensanglanté chez sa mère, la veuve Louise Tod. Outre le fait qu'elle survit comme une ombre dans le souvenir de Charles, son défunt mari, outre le fait qu'elle vit avec un pianiste renommé dont l'unique fonction est d’emplir le silence de la maison des accords de son clavier, la famille Tod est maudite : un drame ancien attaché à son nom et à celui du parrain de la ville, L’autoritaire et tout-puissant Scott Amundsen, fait peser sur elle la honte et l'infamie. Le pianiste Maurizio “ veillait sur elle depuis que Charles. C’était une charge, un travail. Ce travail consistait à occuper le silence. Le faire taire ? Non, l'occuper. Par sa présence, sonore, être là, au piano. Louise, depuis que Charles, ne supportait plus le silence. ” Le souvenir de cette histoire qui n'est pas dite innerve le livre de son mystère, la syntaxe de Christian Gailly bute par endroits sur ce mur de silence en s'interrompant brusquement, en s'absentant, en détournant son cours, comme dans ces villages où les histoires locales imprègnent toutes les mémoires sans être jamais racontées : tout le monde les connaît, tout le monde en identifie les sournoises conséquences, et tout le monde communique par sous-entendus.
Amundsen est également veuf, il vit également, tout comme Louise, dans l'obsession de son veuvage, et cette symétrie fournit des indices sur la nature du drame. S'il faut attendre le deuxième tiers du livre pour que s'éclaircisse ce mystère (et ces pages-là, le récit du drame, sont sans doute les plus belles que Christian Gailly ait jamais écrites), on apprend en revanche rapidement que c'est Scott Amundsen qui a commandité la police le passage à tabac du jeune adolescent : celui-ci a été surpris courtisant sa fille Alix, laquelle, révoltée par la violence et la possessivité névrotique de son père, va bientôt le renier et se rendre au chevet du jeune homme. L'hérésie suprême est donc réalisée, L’inconcevable est consommé, tandis qu'Eva se désespère du sort de Théo, tandis qu'Arthur Maiden accorde une ultime chance à son histoire en désirant vainement la belle Eva, tandis qu'Elisabeth continue toutes les nuits à imaginer de quelle manière elle pourrait tuer son conjoint. Nous en sommes là, à peu de chose près, quand Christian Gailly met en branle la bouleversante machinerie narrative du dénouement : chaque personnage est alors en position d'attente au bord d'une ligne mentale, chacun est mûr pour pousser cette petite porte intérieure qui l'éjectera sur la scène d'une libération collective, d'une rédemption commune, d'une belle et nostalgique solidarité : “ On imagine mal ce qu'un chien même petit, surtout petit, est capable de faire. Quand sa rage. La rage de sa rage. Enragé par sa propre rage. Exactement comme quand un homme. Plus capable de se contrôler. Arthur eût aimé saccager le tribunal. ” Car Les Évadés est peut-être avant tout une parabole sur la solidarité, sur la beauté du sentiment collectif La même idée germera en effet au même instant dans la tête des principaux personnages, dans une sorte de télépathie et d'illumination générale : faire évader Théo Panol. La scène est belle, elle fait penser à ces films de Lubitsch ou de Capra où les opprimés réunissent leurs petites forces et leurs grands sentiments pour partir à l'assaut des oppresseurs et des salauds, et le souffle qui traverse le dernier quart du livre est aussi riche et inventif qu'il est salutaire : il vient à point nommé pour nous rappeler, en ces temps d'individualisme et de cloisonnement, que la beauté du soulèvement collectif n'a pas d'égal – dût-il se terminer dans le sang. Les Évadés nous laisse ainsi un arrière-goût d'amertume (et on souffrirait presque, malgré tout, de ne pas être de cette histoire), et résonnera longtemps en nous comme une mélodie familière et lointaine, un chant de douleur et d'espoir. Et le directeur de la prison de conclure : “ Comment peuvent-ils croire qu'ils vont réussir ? C'est insensé. J'ai pourtant vu ça souvent mais chaque fois ça m’étonne, régulièrement je m'interroge. Non, au fond, je ne m'interroge pas, je sais pourquoi. C'est évident. C'est ce qui rend ma charge difficile. On pense détruire l'espoir. Ils le gardent. On pense qu'ils l'ont perdu et c'est à ce moment-là qu'ils vont chercher ce qu'il y a de meilleur en eux. Le merveilleux, il est là, monsieur : il s'évadent, ils essaient, ils savent que c'est voué à l’échec mais ils essaient quand même, et vous voulez que je vous dise pourquoi ? Parce que l'échec, L’ultime, L’échec mortel, serait de ne pas essayer, vous comprenez ? »

Jean-Noël Pancrazi (Le Monde, 1997)

« Et ce qu'il y a de plus bouleversant dans Les Évadés, c'est cette sorte de conspiration du courage, cette solidarité grisée, ce complot des énergies, des amis de Théo qui entreprennent de le sauver et se lancent dans une équipée presque irréelle, emportée par un grand mouvement d'émotion rêveuse, un élan de Iyrisme aérien qui permet à chacun de se sublimer lui-même, quitte à en mourir. Bien sûr, tout s'achève par une pantomime sanglante au bout d'un quai. Mais “ les innocents ” sont-ils à jamais vaincus ? Pas tout à fait. Car c'est la beauté du geste qui l'emporte. Et la beauté ne s'atteint, ne s'offre vraiment qu'avec la fin de la peur. On sent que Gailly n'a plus peur, ou presque, qu'il est parvenu, lui aussi, à s'évader de lui-même comme si l'injonction du narrateur de K.622 à la reine aveugle de la nuit, “ Tirez-moi de moi-même ”, avait été écoutée. Il vous serre la main comme cela, à plusieurs reprises, avec une chaleur presque comique, une gentillesse allègre, déjà distrait, sans doute habité par le rythme, entre swing et blues, d'un nouveau personnage qui l'attend, là-bas, près de sa table, dans sa maison de l'Haÿ-les-Roses, sous le ciel qui dans un revers de lumière prend soudain, comme dans ses romans, un bleu tamisé de fin de jour, de début d'histoire. »

 




Toutes les parutions de l'année en cours
 

Les parutions classées par année