Romans


Jean-Philippe Toussaint

L'Instant précis où Monet entre dans l'atelier


2022
32 pages
ISBN : 9782707347831
6.50 €
45 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille.


A travers une seule image, obsédante, lancinante, celle qui capture l’instant précis où Monet entre dans son atelier, je me suis efforcé de peindre les dernières années de la vie de Monet. C’est dans ce grand atelier de Giverny où il a peint les Nymphéas qu’il se sent à l’abri des menaces du monde extérieur, la guerre qui gronde aux environs de Giverny, la vieillesse qui approche, la vue qui baisse inexorablement. C’est là, dans l’ombre de la mort, qu’il va entamer le dernier face-à-face décisif avec la peinture. C’est là, pendant ces dix années, de 1916 à 1926, que Monet va poursuivre inlassablement l’inachèvement des Nymphéas, qu’il va le polir, qu’il va le parfaire.
J.-Ph.T

L'oeuvre (D')Après Monet d'Ange Leccia est présentée au musée de l'Orangerie du 2 mars au 5 septembre 2022.

ISBN
PDF : 9782707347855
ePub : 9782707347848

Prix : 4.99 €

En savoir plus

Nathalie Crom, Télérama, 2 mars 2022

Inspirant, l’auteur invite à une déambulation dans son paysage mental d’écrivain. Cet essai paraît en même temps qu’un très beau récit.

« C’est vous l’écrivain », lui répondit Jérôme Lindon, le directeur des éditions de Minuit, lorsque Jean-Philippe Toussaint, dont il avait accepté de publier le premier roman (La Salle de bain, 1985), sollicita son avis sur des modifications qu’il envisageait d’apporter à son manuscrit. « C’est vous l’écrivain », donc c’est à vous de voir et de savoir. « ‘‘C’est vous l’écrivain.’’ La phrase m’a marqué à jamais […] Encore aujourd’hui, quand je suis confronté à une difficulté quand j’écris et que j’aimerais consulter quelqu’un pour avoir un avis sur la question, je sais très bien que la seule personne à qui je peux m’adresser, c’est moi-même », écrit Jean-Philippe Toussaint dans ce livre dont il a emprunté le titre à Jérôme Lindon et à cette leçon d’autonomie inaugurale à son parcours d’écrivain. Un livre qui, dans le prolongement du remarquable L’Urgence et la Patience, paru il y a tout juste dix ans, constitue une invitation à pénétrer dans l’atelier d’un écrivain : son bureau mental, en quelque sorte, sa solitude heureuse, le lieu où germent et s’élaborent ses romans (L’Appareil-photo, La Télévision, Faire l’amour, La Vérité sur Marie...), où surgissent et se résolvent mille embarras et dilemmes, depuis près de quatre décennies désormais.
Beaucoup avait été dit déjà dans L’Urgence et la Patience, où Jean-Philippe Toussaint énonçait notamment le jeu des forces a priori contradictoires, en réalité complémentaires, au milieu desquelles se tient l’écrivain : « L’Urgence, qui appelle l’impulsion, la fougue, la vitesse ; et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l’effort, […] indispensables l’une et l’autre à l’écriture d’un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie. » Il y revient ici, sans solennité, sur le ton de la conversation. Il y ajoute maintes réflexions et observations sur les rituels, méthodes et pratiques qu’a forgés une vie entière vouée à l’écriture (« Le chemin de ma vie est un chemin d’écriture, je n’ai jamais su d’où il venait… »). Se souvenant de ses débuts, réfléchissant au rôle d’exemple que joua son père, le journaliste et romancier Yvon Toussaint. Revisitant les lieux où il a posé un jour ou l’autre son ordinateur. Évoquant ici le rôle de la promenade dans son processus mental, là sa relation à la ponctuation, à la typographie ou aux dictionnaires… Théorisant peu, mais notant cependant : « Un livre, je préfère l’écrire plutôt qu’il soit écrit », parce que « en faisant on est vivant. Ayant fait, on est mort ».
On songe à ces mots, lisant le mince et très beau récit qui paraît en même temps que ce bréviaire d’écrivain : dans L’Instant précis où Monet entre dans l’atelier, Jean-Philippe Toussaint se saisit en quelques phrases des dernières années de la vie du vieux peintre, à Giverny, alors qu’il met toute son énergie « non pas à terminer Les Nymphéas, mais à poursuivre leur inachèvement ». Reprendre, corriger, retoucher sans fin, « car finir Les Nymphéas, c’est accepter la mort, c’est consentir à disparaître. Tel est le statut unique des Nymphéas dans l’histoire de la peinture, une œuvre à la fois achevée, et même plus qu’achevée, achevée jusqu’à l’os, avec assiduité, avec ténacité, avec acharnement […] et pourtant une œuvre toujours vivante ».


Jérôme Garcin, L’Obs, 10 mars 2022

C’est ça, la littérature. A peine trente pages, qui nous racontent ce qu’on savait déjà et nous montrent ce qu’on avait déjà vu, mais donnent l’illusion d’une révélation. Comme un supplément de grâce. Oubliez donc les fameuses photos en noir et blanc de Monet et son protecteur Clemenceau claudiquant, feutre sur la tête et canne à la main, sur le pont japonais du jardin fleuri de Giverny. Oubliez, si c’est possible, la longue geste des « Nymphéas », ces nénuphars blancs sur lesquels, de 1914 à sa mort, en 1926, le peintre a fait glisser les lumières du petit matin et su soleil couchant, passer l’ombre des saules et des nuages normands. Et lisez, sans vous presser, « L’Instant précis où Monet entre dans l’atelier ». Jean-Philippe Toussaint, qu’on croirait embusqué derrière un arbre, regarde Monet quitter chaque jour, à l’aube, sa maison et marcher vers son atelier, où s’impatientent ce rêve, ce défi et cette promesse : la série des « Nymphéas ». A Giverny, c’est la paix, harmonieuse et liquide, mais au loin, la Grande Guerre tonne, tue, ensevelit sous la boue et la cendre des paysages autrefois verdoyants. Au fond du parc, Monet ouvre la porte de l’atelier, son havre, où « il prend congé du monde. Il passe le seuil et, devant lui, encore invisible, immatériel, c’est l’art qui l’attend ». Son regard, embué par une double cataracte, se porte sur les toiles blanches, où va naître sa féérique fresque impressionniste. A côté de lui, « dans quelques jarres, en bouquet, des éclosions de pinceaux ». Durant des années, les panneaux vont s’éclaircir, bleuir, rosir, dorer. « Monet met tout son énergie, non pas à terminer les « Nymphéas » mais à poursuivre leur « inachèvement », à le polir, à le parfaire. » En quelques pages, Jean-Philippe Toussaint a tout dit. Il a saisi Monet au seuil de son grand œuvre, à l’entrée de son génie et au bord de sa propre disparition. Et nous, on saisit le romancier de « Fuir » au sommet de son art. et de sa technique, dont, pour la première fois, il livre les secrets dans « C’est vous l’écrivain ». on y découvre les horizons devant lesquels en Corse ou à Ostende, il écrit en étant « super coulant avec les virgules », pourquoi il a sept yeux, ce qu’il doit à feu son éditeur Jérôme Lindon, comment il a failli créer le mouvement littéraire « Les déménageurs », et la raison pour laquelle il considère son bureau comme « un refuge contre le monde extérieur ». En somme, c’est l’atelier de Toussaint.

 




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