« Double »


Robert Pinget

L'Inquisitoire 

suivi de Le procès du réalisme par Jean-Claude Lieber

Prix des Critiques 1963


1986
collection de poche double n°10
512 pages
ISBN : 9782707310705
8.80 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1962.


Enquêtant sur la disparition de l’intendant du château de Broy, on interroge un ancien domestique, presque sourd, qui a servi longtemps dans cette place. Il raconte son travail au château, la curieuse vie qu’y menaient ses patrons au milieu de nombreux amis, les faits et gestes du village, Sirancy-la-Louve, de la ville voisine, Agapa. Sous le feu ininterrompu d’un questionnaire imperturbable se dégagent peu à peu une foule de visages, d’évènements et de passions. Cependant la voix qui parle en révèle moins par ce qu’elle dit que par ce qu’elle tait, et l’on devine bientôt que sa vérité est à double fond…

* Robert Pinget a adapté pour le théâtre son roman L’Inquisitoire. Ce travail a été mis en scène par Joël Jouhanneau et interprété par David Warrilow, au théâtre au bord de l’eau de Vidy / Lausanne, le 5 mars 1992.

‑‑‑‑‑ Extrait de la postface de Jean-Claude Lieber‑‑‑‑‑


En trente ans, Robert Pinget a produit une vingtaine d'œuvres qui ont fait de lui un des écrivains majeurs du Nouveau Roman.
Ses premiers titres semblent baliser le territoire de la fiction (Entre Fantoine et Agapa), engendrer conjointement un narrateur protéiforme et son monde en gestation (Mahu ou le matériau), inaugurer une quête partagée entre le symbolisme et la dérision (Le Renard et la boussole, Graal flibuste).
Avec Baga, Le Fiston et Clope au dossier, l'œuvre se fait allégorique. L'enfance, la maturité et la mort forment la trame du récit. La parabole (l'enfant prodigue) s'installe au cœur de la fable. La transposition du roman à la scène révèle la nature métaphysique de l'interrogation. Architruc, M. Levert (Lettre morte) et Mortin (L'Hypothèse) cherchent désespérément réponse à leur inquiétude et justification à leur vie. Les personnages tournent en rond à l'image de la ritournelle de La Manivelle.
L'Inquisitoire – suivi de Quelqu'un et du Libera – ouvre le cycle  réaliste . La nature sert de modèle à l'œuvre d'art. Il ne s'agit plus de produire mais de reproduire l'objet, ou du moins le langage utilitaire. Mais l'entreprise avorte. Plus on cherche à cerner et à circonscrire un sujet, plus celui-ci échappe et se démultiplie. Dans Autour de Mortin, pièce radiophonique, les témoignages contradictoires viennent ruiner le fondement de l'enquête et interdire tout jugement sur l'homme et son destin.
Autant en prendre son parti, accepter franchement la prolifération, le dédoublement, le dérapage du récit, tout en cherchant, par des contraintes formelles empruntées à l'art musical, à garder le contrôle sur une création de plus en plus menacée par l'ésotérisme et l'hermétisme. L'écriture ne produit plus que des parodies d'existence : fantômes et simulacres se mettent à hanter le récit (Passacaille, Fable, Cette voix, Paralchimie). Le théâtre est envahi par l'hallucination, les échos, les reflets (Identité, Abel et Bela, Paralchimie).
Monsieur Songe et ses appendices, Le Harnais, Charrue, renouent avec les origines. Sans renier ses diverses expériences, l'écrivain est enfin  rendu en poésie  et distille dans son journal aphorismes boiteux et anecdotes souriantes.
L'Inquisitoire (prix des Critiques en 1963) est à mes yeux le roman le plus remarquable de Robert Pinget. Il fait la somme de son univers imaginaire et c'est en même temps un ouvrage expérimental. Le procès qui s'ouvre avec l'interrogatoire du domestique est à la fois celui d'un monde archaïque et d'une forme périmée. Le Réel n'est qu'une illusion, une construction de l'esprit, un effet d'art. Plus qu'à l'aspect documentaire de l'œuvre – son côté  balzacien  – le lecteur d'aujourd'hui est sensible à son air de science-fiction. Le domestique est traité comme un animal de laboratoire, un rat dans un labyrinthe obligé de répondre instinctivement à des questions de type digital (oui ou non) qui permettent de classer l'information sans tenir compte des affects ou des pulsions du narrateur. 
Jean-Claude Lieber

 




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