« Double »


Tony Duvert

L'Ile atlantique 


2005
collection de poche double n°33, 328 p.
ISBN : 9782707319333
9.05 €
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1979.


Dans une île de la côte atlantique, des garçons, âgés de sept à quatorze ans, vivent clandestinement une existence autonome. Issus de familles que tout oppose, du fils de maraîcher au fils de notable, leur bande se livre à des chapardages, puis à des cambriolages en règle, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent.
Avec Duvert, pour la première fois, peut-être, dans la littérature, on découvre le monde uniquement du point de vue de l’enfant. Les adultes, dans leur comportement le plus intime, restent des parents. Ce récit, d’une écriture aussi claire que maîtrisée, est la fois plein d’humour et de violence.Lire l'article du Monde à propos du tournage du film de Gérard Mordillat en 2005

François Nourrissier (Le Figaro magazine, 17 mars 1979)

 C’est énorme, irrespirable et d’un réalisme à faire peur. Caricature ? Oui, bien sûr, mais outre que la caricature est légitime, sommes-nous bien certains que la réalité ne vaille pas la fiction ? Les saoûleries de M. Seignelet, les monologues furibonds de son épouse, les rêveries de Laure Boitard, journaliste au Républicain réuni, le discours éthylique et emphatique de Glairat, le penseur local : peu d’écrivains sont aujourd’hui capables de ce domptage “ en férocité ”, de cette verve enivrée de méchanceté. Car Tony Duvert est un étonnant écrivain ! Sur fond de langue classique et très “ tenue ”, il brode toutes les arabesques de l’invention délirante, de l’argot, du jeu de mots juvénile, de la vulgarité la plus pâteuse. C’est de la grande virtuosité. Pour l’amateur de prouesses littéraires, un régal. 

Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde, 6 avril 1979)


 L’île Atlantique pourrait être l’île de Ré. Même site, même climat, mais surtout même population à la fois entretenue et détraquée par les invasions estivales. Le chef-lieu, vingt-cinq mille âmes, compte en fait vingt-cinq mille corps, que ne réfrènent plus les craintes du curé et du qu’en-dira-t-on.
Quand ces peurs ancestrales régnaient, les enfants trouvaient déjà le moyen de les braver. Maintenant que les interdits vacillent, ils s’en donnent à cœur joie. Le vieil adage a vécu : les enfants du Bon Dieu doivent être pris, bel et bien, pour des canards sauvages. Ceux que Duvert a réunis en bande et suivis à la trace n’écoutent que leur instinct : caresses sans aucun tabou, chapardages, coups de couteau, et, à l’occasion, meurtres de vieilles dames. Scrupules et remords ont disparu des consciences, comme du vocabulaire. Même entre eux, on chercherait trace en vain de l’esprit chevaleresque dont les collections bien-pensantes créditent les jeunes, comme pour rassurer leurs parents.
Ces derniers, chez Duvert, rivalisent de perversité avec les enfants, et ne s’en cachent plus comme autrefois. Seules quelques ouvrières célibataires cultivent encore, faute d’occasions, la morale proprette de l’encaustique et des patins. Les autres volent, violent, tuent au besoin. Des canards sauvages, eux aussi, en plus bêtes, en plus bavards, et avec le droit à la raclée, puis à la taule, sur les petits qui font comme eux.
L’auteur laisse percer son sentiment sur cette jungle. Il I’impute aux nantis, aux quinquagénaires à “ moumoutes ” qui miment, en vacances, la liberté confisquée aux vrais adolescents. Il en veut aux notables d’engluer les jeunes dans le piège de la charité. Les parents sont suspects de haïr leur progéniture, de ne veiller qu’à la “ mangeaille ” et aux lessives, de ne croire qu’au “ talion ” – “ il faut payer ”, – qu’à la taloche. Une mère voit-elle mourir son fils ? Duvert suggère qu’elle singe la douleur pour être déchargée des corvées.
Les enfants sont approuvés de répliquer en barbares tranquilles à cette gérontocratie sans cœur ni idéal, d’en vouloir à leurs médiocres parents de ne pas savoir se vendre aux riches. Faire le Mal, si tant est que l’éducation l’identifie encore, devient la seule façon d’échapper à ce que l’un d’eux appelle “ une marée de dégoût ”.
Mais L’Île Atlantique ne fait que sous-entendre cette opinion sur la crise des valeurs et des liens familiaux. Le roman se veut avant tout descriptif. Et il se révèle, dans les moindres détails d’une bonne quinzaine de personnages, criant de vérité.
Qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes, d’épiciers radoteurs ou d’enseignants cuistres, d’une mère et d’une fille parlant rôtissoire, ou d’un pilier de bistrot causant croustade aux fruits de mer, c’est d’une observation, d’une justesse et d’une cocasserie exceptionnelles. Obsédés par la sexualité enfantine, les précédents livres de Duvert ne laissaient pas prévoir cette ouverture à tous les aspects d’une réalité sociale complexe, grouillante, savoureuse.
On songe évidemment à La Guerre des boutons, de Louis Pergaud, mais aussi à la saga villageoise de Clochemerle. On pense surtout à Marcel Aymé, dont Duvert rejoint le sens de l’intimité petite-bourgeoise, la crudité tonique, I’acuité rieuse. Quiconque s’inquiète, ou s’amuse, du regard sans merci que posent les enfants sur nos morales en miettes devrait se régaler à chaque page de L’Île Atlantique

Madeleine Chapsal (Le Matin, 1979)

 Non, ça n’est pas commode, de lire Duvert. Il est du côté – qui fut toujours rude et désert – du désir. Pourtant c’est un classique, par la beauté simple et savante de l’écriture, par son indéniable tendresse – ce “ lait ” du cœur – et aussi parce qu’en suivant ses chemins à lui, tortueux, ensanglantés, souvent pervers, il va vers le plus pur. 

François Rivière (Les Nouvelles littéraires, 1979)


 Cette fois, l’on nage en plein romanesque, avec une délectation perceptible, hyper-balzacienne parfois. Un petit monde sur une île, et en quelque sorte à l’envers, puisque les fascinants enfants qui la nuit dérangent avec jubilation les rites des adultes font apparaître ceux-ci comme d’atroces caricatures. Et Duvert ne se prive pas : son humour, un humour au vitriol, n’épargne ni les bourreaux (d’enfants, bien sûr), ni les imbéciles, encore moins les tarés de la civilisation. 

 




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