Romans


Jean Echenoz

Jérôme Lindon


2001
64 pages
ISBN : 9782707317742
9.50 €
89 exemplaires numérotés sur Vergé des papeteries de Vizille


Ça s’arrête un matin gris, dans une rue de Trouville, le jeudi 12 avril 2001. Je suis en train de faire des courses quand mon téléphone sonne dans ma poche. C’est Irène qui m’annonce que Jérôme Lindon est mort lundi, et enterré ce jeudi matin même. Les heures qui suivent, je n’ai pas envie d’en parler.

ISBN
PDF : 9782707324795
ePub : 9782707324788

Prix : 6.99 €

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Jean-Baptiste Harang (Libération, 18 octobre 2001)

Tout droit, réservé
Devenir un titre de son catalogue, quel plus beau sort pour un éditeur ? Jean Echenoz publie Jérôme Lindon.
 
« Lorsque nous apprîmes la mort de Jérôme Lindon, la plupart d'entre nous, à l'exception de très peu de très proches, le patron des Éditions de Minuit était déjà inhumé, on avait retardé l'information de soixante-douze heures pour des raisons qui ne nous regardent pas. Jérôme Lindon est mort le lundi 9 avril 2001, et fut enterré le jeudi 12 en fin de matinée au cimetière du Montparnasse, dans les parages de Samuel Beckett et autres fantômes. Ainsi lorsque le téléphone sonna dans la poche de Jean Echenoz, ce jeudi même, à Trouville, alors qu'il faisait des courses avec une amie, et qu'Irène Lindon, la fille de Jérôme, lui annonça la mauvaise nouvelle, il était de fait l'un des premiers avertis.
Des journalistes, avec plus ou moins de compassion, plus ou moins de conscience professionnelle, de vergogne, cherchèrent à joindre Jean Echenoz pour, avec plus ou moins de tact et de précaution, recueillir sa réaction à la mort de son unique éditeur. Il ne fut là pour personne. Et les hommages, unanimes, de la presse à un éditeur hors du commun se rendirent sans lui. Le lundi suivant, Jean Echenoz appelait quelques-uns de ceux qui encombrèrent son répondeur téléphonique pour se faire pardonner son silence, cette désertion du chagrin. Je me souviens qu'il était inconsolable.
Six mois ont passé et l'on peut trouver en librairie un petit livre de 64 pages, sans indication de genre, avec, comme tous les livres de Jean Echenoz, le liseré bleu et l'étoile qu'avait dessinée Vercors pour les Éditions de Minuit, et ce titre inédit Jérôme Lindon, comme si, et c'est peut-être vrai, le plus bel hommage qu'un éditeur puisse recevoir fût de devenir un titre de son propre catalogue, non pas un nom gravé sur un monument aux morts, mais une simple ligne vivante parmi tous les textes qu'il a fait naître pour qu'ils nous survivent. Jérôme Lindon n'est pas un hommage convenu, encore moins une hagiographie, ni un discours de circonstance, de funérailles, ni une biographie expresse, ni un règlement de comptes (il y a des comptes positifs), ni même un exercice de nostalgie, ni une lettre d'excuse de n'avoir pas su être là, ni le regret d'un esprit d'escalier qui se fait pardonner d'avoir manqué la marche. Non, Jérôme Lindon est un texte. Jérôme Lindon est l'essence même de ce qui liait Jean Echenoz à Jérôme Lindon : l'auteur porte un texte à son éditeur, parce que c'est ce que l'un fait de mieux, et c'est ce que l'autre préfère.
Une promenade dans plus de vingt ans de commerce, d'un long apprivoisement entre deux caractères compliqués, entre deux générations, deux timidités contrariées, deux générosités cachées, deux rétifs à l'exposition de l'intime, deux adeptes de cet orgueil modeste qui permet l'admiration. “ Ça commence un jour de neige, rue de Fleurus à Paris, le 9 janvier 1979 ”, Jean apprend que Jérôme veut le voir, il a déposé la veille un manuscrit refusé par tous et Jérôme veut le voir. On écrit “ Jérôme ”, parce que ça viendra, mais ce jour-là au téléphone, la dame dit : “ Je vous passe monsieur Lindon président-directeur-général des Éditions de Minuit. ” Il y aura la période “ Monsieur Lindon ” : “ Monsieur Lindon est un homme mince et de haute taille, de morphologie sèche, au long visage austère mais souriant, quoique pas toujours si souriant que ça, au regard aigu, bref c'est un homme très intimidant qui est en train de me parler de mon roman avec enthousiasme, et moi je ne réponds rien, je ne comprends rien à cet enthousiasme. ” La période “ Jérôme Lindon ” : “ En tout cas, Jérôme Lindon a vraiment l'air d'y croire, à mon roman : Vous savez qu'avec ce livre, me dit-il, vous allez peut-être pouvoir changer de voiture. Je le trouve bien optimiste mais je comprendrai plus tard qu'en règle générale il ne l'est pas. Pas profondément pessimiste non plus, d'ailleurs, disons d'un pessimisme actif, d'un pessimisme combattant. ” Echenoz devra attendre la période “ Lindon ” pour changer la 4L : “ Je me retrouve même sur là liste du prix Médicis. Vous n'avez pas une chance, me dit Lindon. ” Mais avant de savoir dire “ Jérôme ”, Jean Echenoz en aura entendu de belles, un manuscrit refusé : “ Jérôme Lindon ne se borne pas à m'expliquer pourquoi mon livre est mauvais, mais aussi comment il est mauvais, mais aussi pourquoi et comment j'ai procédé ainsi, pourquoi et comment je me suis trompé, pourquoi et comment j'ai eu tort de me tromper (...). S'il confirme qu'il ne publiera pas mon livre, il me précise aussi qu'il me fera une crise de jalousie si je tente de le faire paraître ailleurs ”, et pire : “ Vous ne faites plus partie des Éditions de Minuit. ” Echenoz devra esquiver la demande de changer de prénom, faire disparaître d'un manuscrit une allusion à Louison Bobet (“ Qu'est-ce que vous avez contre Louison Bobet ? Rien de particulier, me répondit-il, ou plutôt si : la thalassothérapie ”). Il lui faudra suivre quelques “ déconseils ”, puisque J. Lindon déconseille bien plus qu'il ne conseille, il déconseille le pluriel lorsque le singulier est possible, l'abus de la virgule (Echenoz résiste),les textes de commandes, les voyages, les adaptations cinématographiques (“ L'idéal avec le cinéma, c'est qu'on puisse vendre les droits et qu'ensuite le film ne se fasse pas ”).
Et puis un jour, parce qu'il s'était énervé de s'entendre appeler “ Echenoz ! ” au travers des étages du 7 de la rue Bernard-Palissy et qu'il avait rétorqué “ Appelez-moi Jean ! ”, Echenoz reçoit une lettre de Lindon : “ Sa lettre commence par : Cher Jean. À partir de ce jour-là je me permets de l'appeler Jérôme. Jusque-là, il n'y avait que mon fils que j'appelais comme ça. ” »

Nelly Kaprièlian (Les InrockuptibIes, 16 octobre 2001)

Nous deux
Hommage pudique et juste de Jean Echenoz à Jérôme Lindon, disparu l'année dernière.
 
« À la mort de son éditeur, Jean Echenoz est le seul à avoir refusé tout tribut à la presse. Il est vrai que les autres le firent déjà avec une telle intelligence, une vraie admiration, via des propos pleins d'une rare cohérence dès qu'on parle d'un tiers. Quelques mois plus tard, on apprenait la parution imminente de son bref opus au beau titre définitif : Jérôme Lindon. En somme, seulement deux noms sur la couverture et, entre les blancs, toute une histoire : la leur. Jean Echenoz, ou le premier auteur post-Nouveau Roman aux Éditions de Minuit, le premier d'une famille qui allait se créer, s'affirmer, et compter. En 1979, il a trente et un ans, il boucle un premier roman, qu'il n'ose même pas adresser aux Éditions de Minuit : “ Maison trop sérieuse, trop austère et rigoureuse, essence de la vertu littéraire, trop bien pour moi. ” Parce que tous les autres le refusent, il essaie et l'aventure commence avec Le Méridien de Greenwich. Le ton du livre, celui d'une liaison de vingt-deux ans, est lancé : une belle économie pudique. Le pathos, l'admiration béate, on ne comptait naturellement pas sur Echenoz, mais quand même. Une écriture juste et minimale qui n'évite aucun effet d'humour, n'évacue aucune des aspérités de Lindon – un brin de cruauté, une certaine froideur, un refus radical de s'emmerder – pour mieux éviter tout effet de canonisation. “ Qu'on ne pense pas non plus qu'il n'est pas sympathique, la question n'est pas là, c'est un homme parfaitement aimable. La question, c'est qu'il a autre chose à faire qu’être sympathique, la sympathie n'est pas son souci. ” Ce qu'Echenoz serre au plus près, c'est la vérité d'un rapport particulier – celui qui se noue pendant des années entre l'éditeur et l'écrivain. L'attente, le désir, la déception, les années de silence, les codes, les longues discussions autour d'une virgule. Les déjeuners au Sybarite s'enchaînent, les années filent, Lindon présente sa fille Irène, qui lui succède déjà de son vivant (et mène un travail toujours exemplaire). Se dessinent alors deux portraits en palimpseste : un jeune auteur timide qui prend de l'assurance ; un éditeur pas si austère que ça, toujours ancré dans le contemporain, qui lui conseille d'aller voir Ghost Dog de Jarmusch. Le livre s'arrête quand Lindon meurt : le reste ne nous regarde pas. Beau geste. »

 




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