Critique


François Roustang

Elle ne le lâche plus


1981
Collection Critique , 224 pages
ISBN : 9782707303196
12.35 €


“ Celui que la psychanalyse a empoigné, elle ne le lâche plus ”, disait Biswanger. Pourquoi les fidèles de la psychanalyse sont-ils enfermés dans un discours qui n’est cohérent et rigoureux que pour eux-mêmes ? Pourquoi finalement la gent psychanalytique (analystes et analysants) se comporte-t-elle peu ou prou comme une secte ? Cela s’explique d’abord par la nature très particulière du discours de Freud. Il fallait donc étudier son style dans sa spécificité. Comment une théorie, reconnaissant qu’elle ne peut ni être prouvée, ni réfutée, réussit-elle à former un lecteur qui va se mettre progressivement à penser comme l’auteur ? Freud a su inventer une écriture particulière à cette fin.
Cela s’explique davantage encore par l’importance du transfert dans la cure. Freud estimait, non sans hésitation, que la technique de libre association, le tout dire, permettait de délivrer la psychanalyse de ce qui pouvait la rattacher à l’hypnose. Ses successeurs n’ont plus aucun doute à ce sujet. Pourtant on peut se demander si le véritable ressort du transfert n’est pas identique à celui de l’hypnose : la passion de se fondre dans l’autre et de l’absorber.
Est-il possible de trouver une issue à l’épaisseur de ces questions ? Peut-être faudrait-il d’abord ne pas se voiler la face pour ne rien voir des difficultés réelles et passer son temps à résoudre des problèmes d’écoles ? Si la psychanalyse renonçait à ses prétentions scientifiques, peut-être pourrait-elle lâcher quelques-uns de ses adeptes et leur permettre d’inventer leurs légendes, celles qui permettent d’errer et de rire.

‑‑‑‑‑ Table des matières ‑‑‑‑‑

1. Du style de Freud – 2. Assez souvent – 3. Suggestion au long cours – 4. Transfert : Le rêve – 5. Le jeu de l’autre – 6. Sur les effets de l’analyse – 7. L’analysant, un romancier ?

Roland Jaccard (Le Monde, 9 janvier 1981)

La façon de François Roustang
La dissidence est-elle le prix de l’originalité.
 
 François Roustang a une façon bien à lui, à la fois originale et insolente, d’envisager l’histoire de la psychanalyse. On se souvient sans doute qu’il y a quatre ans son essai Un destin si funeste (Éditions de Minuit) avait provoqué quelques remous dans les milieux analytiques : il y ridiculisait, entre autres, ses confrères lacaniens, qu’il décrivait comme des perroquets prétentieux, bavards et fanatiquement attachés aux basques de leur maître comme des enfants aux jupes de leur mère.
On se tromperait lourdement cependant en faisant de François Roustang un adversaire de la psychanalyse. Certes, il raille ses sectes (et quel esprit libre ne s’en réjouirait ?) ; certes, il nie sa scientificité (et comment lui donner tort ?) ; certes, il critique son mode de transmission (comme, d’ailleurs, à peu près tout le monde) ; certes, il redoute que le patient, après avoir été exproprié de lui-même par son entourage, ne le soit aussi par la théorie (et, là, il ébranle les tables sacrées freudiennes). Mais ses réserves, visent en définitive à rendre la relation analytique plus libre et plus féconde.
Deux exemples permettront peut-être d’illustrer la démarche de François Roustang. Le premier concerne la guérison en analyse. Pour Freud, elle est rendue possible par le travail d’interprétation, voire par les constructions de l’analyste, travail qui a pour finalité de rendre l’inconscient conscient. Hélas ! il arrive trop souvent de constater que comprendre ne sert à rien, que savoir comment on fonctionne, ce que l’on répète, ne modifie rien d’essentiel ! “ Par contre, écrit Roustang, si l’on réussit à susciter une production onirique ou fantasmatique qui rend manifeste un état de régression jusqu’alors inaccessible, des remaniements s’opèrent sans qu’il soit possible au psychanalyste de produire un système de références qui englobe le dire du patient. Comme si ce qui était atteint par ce dernier, à travers ses formulations étranges, devenait pour lui une nouvelle assise et de nouvelles racines. Il s’agit non pas tant de faire passer le sommeil dans la veille que de déployer le sommeil jusqu’à ce qu’il trouve sa propre consistance. ”
Voilà, insinuera-t-on vraisemblablement, une démarche plus jungienne que freudienne ! À cette objection, Roustang répond qu’il n’y aurait là nulle gravité et que les dogmes l’ennuient, non sans préciser ensuite qu’il s’agit d’autre chose non pas de la découverte d’archétypes ou de quelque gnose susceptible de donner accès aux secrets de la nature, mais bien plutôt d’une expérience de la folie dans la raison et de la raison dans la folie qui court-circuite une réalité trop oppressante, permettant ainsi à l’imagination de prendre son envol. C’est dire, d’autre part, que l’analyste doit croire au génie de son patient et que la guérison n’est peut-être rien d’autre que la génialité en acte. Sur ces deux points, Roustang se rapproche de Ronald Laing et de Harold Searles.
Un second exemple, plus mondain mais moins frivole qu’il n’y paraît, mettra, lui, en évidence l’insolence et la lucidité de l’auteur. Les psychanalystes, on le sait, aiment à se présenter comme des êtres infiniment subversifs que la société tolère à peine. Cette croyance, si elle flatte incontestablement leur narcissisme, ne résiste pas à l’analyse, et celle de Roustang est cinglante.
On souhaiterait la reproduire entièrement, ce qui bien évidemment n’est pas possible, heureusement d’ailleurs, car ce serait priver le lecteur du plaisir de la découvrir. Disons simplement, juste question de donner à humer le fumet, que les psychanalystes dans leur ensemble sont décrits comme des marginaux du secteur tertiaire, incapables, par grandeur ou par misère, de s’intégrer au circuit économico-politique de la production, mais qu’ils sont en même temps des marginaux reconvertis au social par le détour lucratif de la gestion du non-rationalisable, c’est-à-dire de l’inconscient. Cela dit, qu’ils permettent à quelques personnes de mieux vivre ou de vivre moins mal, c’est déjà précieux. “ Mais quel besoin, conclut Roustang, de se donner des airs de révolutionnaire de peau de lapin ! ”
Le titre de son livre ... Elle ne le lâche plus est tiré d’un passage d’une lettre adressée à Freud par le psychiatre suisse Ludwig Binswanger dans laquelle ce dernier écrit : “ Celui que la psychanalyse a empoigné, elle ne le lâche plus. ” “ C’est sans doute, déplore Roustang, qu’analysants ou analystes adoptent presque malgré eux le style de Freud, quand ils ne miment pas celui de Lacan. Mais un style ne s’imite pas, si ce n’est pour ne rien dire et pour faire rire. Alors, autant écrire, autant travailler à sa façon, quitte à être qualifié de dissident ou d’hérésiarque. ” L’originalité et l’inventivité sont à ce prix. Freud le savait bien lui qui méprisait secrètement ses disciples les plus fidèles. Gageons qu’il aurait apprécié les audaces de Roustang, quitte à l’accuser de trahir la “ cause ”. Il n’y a pas de liberté sans parricide. 

 




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